L’Observatoire des Médias sur l'Écologie (OMÉ) a été lancé. Mis en place par un consortium d'associations et d’experts, il vise à analyser le traitement médiatique des enjeux écologiques. Leur constat sonne comme un euphémisme : le traitement médiatique des enjeux écologiques « pourrait s’améliorer en quantité comme en qualité ».
Un observatoire pour surveiller les médias
« Les Médias peuvent contribuer à façonner les attitudes, les comportements et les politiques […] en faveur de la transition écologique en la rendant désirable. »
Quelques centaines de personnes se sont réunies au théâtre de la Concorde à Paris pour la soirée du 7 novembre, à l’occasion du lancement de l’Observatoire des Médias sur l’Écologie (OMÉ). Parmi elles, beaucoup de jeunes journalistes.
Cet observatoire est le fruit de la collaboration des associations Pour plus de climat dans les médias, Quota Climat, Expertises Climat et Data For Good, du cabinet de conseil Eleven strategy et de la société de mesure d’audience Mediatree. Il bénéficie du soutien de l’ADEME, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, et de l’ARCOM, l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Tous partagent l’objectif de contribuer à l’amélioration du traitement médiatique des enjeux écologiques. Dans son sixième rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) insistait d’ailleurs sur le « rôle crucial [des médias] dans la perception qu’a le public [du changement climatique], sa compréhension et sa volonté d’agir ».
Un faible traitement médiatique des enjeux écologiques
Depuis quelques années, différentes organisations tentent de produire des données sur le traitement médiatique des enjeux écologiques. Avec cet observatoire, qui analyse via des algorithmes les verbatims de flux audiovisuels, ses initiateurs veulent obtenir « des données publiques, fiables et transparentes sur l’état de la couverture médiatique des crises environnementales ».
Après un peu plus d’un an de collecte de données sur les programmes d’information de onze chaînes de télévision et huit stations de radio, le constat est sans appel : ces médias n’accordent qu’une faible place au traitement des enjeux environnementaux. Au cours des 6 derniers mois, ces derniers n’ont représenté que 3,4 % des contenus d’information. En moyenne, ce sont les médias privés qui en parlent le moins : à hauteur de seulement 2,3 %, contre 4,5 % pour les médias publics.
Autre constat, lorsqu’ils parlent de sujets environnementaux, les médias se bornent généralement aux questions climatiques. Ainsi, selon l’OMÉ, « la biodiversité est en moyenne deux à quatre fois moins abordées dans l’information des médias audiovisuels que le changement climatique ». Sur les 6 derniers mois, les sujets de biodiversité ont représenté 1,1 % des contenus d’information, contre 1,5 % pour le sujet des ressources et 2,7 % pour les sujets liés au climat.
« On va parler de quelques figures très charismatiques du règne animal, constate Eva Morel, co-fondatrice de l’association QuotaClimat, c’est très réducteur par rapport à ce dont on parle quand on parle d’effondrement de la biodiversité. Si on considère que c’est juste quelques espèces qui vont s’éteindre, on ne comprend pas le lien que cela peut avoir avec notre santé, notre résilience alimentaire, la manière dont notre système économique repose sur la nature pour fonctionner. »
Si l’observatoire analyse les temps d’antenne consacrés à l’écologie d’un point de vue quantitatif, il s’intéresse aussi aux contenus médiatiques d’un point de vue qualitatif. Des membres du consortium comme QuotaClimat critiquent régulièrement la manière dont sont couverts les enjeux écologiques. Ils dénoncent notamment les angles « techno-solutionistes » ou le fait que certains médias, généralement marqués à droite, offrent de larges tribunes à des personnalités ouvertement anti-écologistes.
Lors de cette soirée de lancement, l’historien et enseignant à Science Po David Colon a illustré ce phénomène en présentant des unes de presse aux titres éloquents comme « Les bouffons du climat » du média d’extrême-droite Valeurs Actuelles, ou « La montée des violences de l’écolo-gauchisme » du Figaro.
« Il y a une polarisation du débat public sur les questions d’écologie, constate Eva Morel. Le risque, c’est qu’on tombe dans le même contexte qu’aux Etats-Unis, où l’écologie est devenue identitaire pour les républicains, qui considèrent comme normal le fait d’être climato-sceptique. On aimerait éviter cela en France, mais on constate que c’est en train de se produire. »
À cet égard, CNews, qui reçoit régulièrement des climatosceptiques, fait figure de cas d’école. Le 3 mars 2023 Pascal Praud, citait avec complaisance l’essayiste Christian Gerondeau invité dans son émission l’Heure des Pros : « sur les 7 dernières années, les relevés marquent plutôt une légère tendance à la baisse des températures ». Une faute déontologique grave.
Les causes de ce mauvais traitement médiatique ? « Une stratégie délibérée de longue date des industries polluantes » selon David Colon, qui rappelle également l’importance de la question de « la propriété et de l’actionnariat » au sein des médias dont les propriétaires sont liés aux industries les plus polluantes.
Le chercheur pointe l’utilisation par « les désinformateurs » du « souci journalistique de présenter une vision équilibrée de questions clivantes » : ainsi, par souci du pluralisme, les journalistes donnent l’impression de l’existence d’une controverse entre un fait scientifique faisant consensus et quelques pseudos-experts ultra-minoritaires.
Jean-Marc Jancovici, invité pour conclure cette soirée de lancement, a quant à lui pointé le « manque de temps des journalistes », ainsi que la difficulté à traiter de sujets environnementaux de façon transversale au sein des rédactions. Étonnamment, l’ingénieur pourtant très critique vis-à-vis des journalistes lors de certains passages médiatiques, a appelé à une forme « d’indulgence » envers les médias : « Vous ne pouvez pas leur demander de faire la totalité de l’éducation des gens sur un sujet comme ça : il n’y a juste pas la place pour ça » a-t-il affirmé.
Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique
Si les initiateurs de cet Observatoire appellent à une amélioration du traitement médiatique des enjeux écologiques, c’est qu’ils croient dans le rôle primordial des médias audiovisuels dans la construction de l’opinion publique. Valérie Martin, cheffe du service mobilisation citoyenne et médias au sein de l’ADEME, rappelle ainsi la « responsabilité » des médias et leur « devoir d’informer avec justesse sur les enjeux écologiques » : « Ils peuvent contribuer à façonner les attitudes, les comportements et les politiques […] en faveur de la transition écologique en la rendant désirable » explique-t-elle.
Cette responsabilité des médias est pointée depuis des années par un certain nombre de journalistes. Depuis septembre 2022, plus d’une centaine de rédactions et 1 800 journalistes ont signé la « Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique » que La Relève et La Peste a contribué à créer. À travers cette dernière, nous invitons la profession à : « traiter le climat, le vivant et la justice sociale de manière transversale », à « se former en continu » ou encore à « informer sur les réponses à la crise ». 200 personnes s’étaient réunies le 10 janvier 2024 à Paris pour faire un premier bilan depuis le lancement de cette charte.
Cette rencontre avait notamment permis de mettre en avant certaines améliorations dans le traitement des sujets écologiques et de lutter contre l’isolement des journalistes traitant des questions environnementales au sein de leur rédaction. De son côté, La Relève et La Peste continuera à vous informer avec rigueur des enjeux écologiques du XXIème siècle et des pistes de solutions pour y faire face.
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