La Pologne a commencé la construction d’un mur anti-migrants. De 186km de long et 5m de haut, d’un coût de 353 millions d’euros, ce mur va non seulement aggraver la crise humanitaire à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, mais menace aussi la dernière forêt primaire d’Europe. Habitants, scientifiques et environnementalistes s’opposent à ce projet écocidaire et antihumaniste qui aura des « conséquences irréversibles » sur la forêt de Bialowieza, sanctuaire pour la biodiversité et classée au patrimoine mondial de l’Unesco.
Un mur antihumaniste et écocidaire
Après les barbelés, le mur. La militarisation de la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, où sont déjà mobilisés 15 000 soldats, prend une tournure dramatique. Le gouvernement polonais a lancé la construction de son mur anti-migrants qu’il souhaite finir fin juin. Pour y parvenir, les ouvriers et leurs machines vont se relayer jour et nuit.
Aux manettes : trois entreprises polonaises vont édifier cet ouvrage de 5 mètres de haut et 186 km de long. « L’ensemble reposera sur quelque 50 000 poteaux en acier surmonté d’une bobine de barbelés de 50 cm et d’un système électronique de détection de mouvement. » nous apprend le journal LaCroix
Ces derniers mois, des milliers de migrants ont tenté de traverser la frontière suite à la crise migratoire orchestrée par le régime biélorusse, en représailles aux sanctions européennes imposées contre le régime du dictateur Alexandre Loukachenko. Une répression qui conduit des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à errer dans la forêt, par des températures glaciales. Dans la forêt, plus d’une dizaine de personnes ont déjà trouvé la mort.
En plus d’un drame humanitaire, c’est désormais une faune et une flore uniques en Europe qui sont menacées. La forêt de Bialowieza, vieille de plus de 10 000 ans, est la dernière forêt primaire d’Europe. D’une superficie de 3086km2, elle fait 125 000 ha.
Elle abrite plus de 12 000 espèces animales, dont la plus grande population de bisons d’Europe, des loups, des ours, des lynx ; et regroupe les plus grands vestiges de la forêt vierge qui couvrait autrefois la majeure partie des basses terres d’Europe.
Pour les scientifiques, ce mur catastrophique est une barrière écologique où plus rien ne pourrait passer, y compris les oiseaux volant à basse altitude comme les Tétraoninés.
« Ce mur serait bien sûr une contrainte très importante pour la conservation de ce site, et surtout la conservation de certaines espèces comme le lynx, dont la population est déjà extrêmement réduite, explique Guy Debonnet, chef de l’unité patrimoine naturel à l’Unesco, pour Franceinfo. Il y a des estimations qui parlent d’une dizaine de lynx pour toute la forêt de Bialowieza. Si la forêt est divisée en deux parties, la viabilité génétique de cette population pourrait être remise en question. »
Ce mur va couper les routes migratoires des animaux, empêchant par exemple les ours bruns de recoloniser la partie polonaise de la forêt où ils ont été récemment observés après une longue absence. Ce mur pourrait aussi entraîner la prolifération de plantes invasives, et entraîner une pollution sonore et lumineuse qui nuirait à la faune.
« L’afflux de personnes et de véhicules, et les déchets déjà accumulés (principalement des plastiques) présentent également des risques, y compris des maladies – nous savons déjà que les humains peuvent transmettre le COVID à des espèces sauvages, comme les cerfs. » expliquent des biologistes polonais opposés à la construction de ce mur
L’utilisation de véhicules militaires lourds et les barbelés installés le long de la frontière ont déjà eu des impacts désastreux sur les animaux sauvages : un bison a été retrouvé mort sur les barbelés.
« On sait aussi qu’ils veulent faire des coupes sur une largeur de 200 mètres à partir du mur ce qui aurait des conséquences terribles pour la forêt car cela veut dire couper environ 1 000 hectares. » alerte Tomasz Pezold Knežević, spécialiste de la conservation de la biodiversité chez WWF
Des enjeux géopolitiques
Le gouvernement polonais d’Andrzej Duda fait la sourde oreille à ces préoccupations humaines et environnementales. Il y a quelques jours, il a nié que la mort du bison à la frontière soit liée aux barbelés. Les gardes-frontières ont avancé l’argument incongru que 22 passages seraient créés pour permettre la migration des animaux.
Impossible de le vérifier : la zone à la frontière est quasiment interdite d’accès aux ONG et aux journalistes, tandis que les habitants de Podlasie, la région riveraine, vivent dans un climat de peur nourri par la militarisation de la zone. Il est donc très difficile d’évaluer l’ampleur réelle des dégâts sur la forêt primaire.
Pour l’heure, le ministère polonais de l’Environnement n’a pas voulu répondre aux questions posées par les organes de presse du monde entier. En 2017, les coupes qu’il avait autorisées dans cet écrin de biodiversité avait provoqué la colère de Bruxelles, dont la Cour de Justice avait ordonné l’arrêt des coupes d’arbre. Ces dernières avaient triplé depuis l’arrivée au pouvoir à Varsovie du parti ultraconservateur Droit et justice (PiS) en 2015.
Malheureusement, depuis octobre dernier, le tribunal constitutionnel polonais, inféodé au pouvoir exécutif, a décrété la primauté du droit national sur les jugements européens. En représailles de cette décision, l’UE a ouvert une procédure d’infraction contre la Pologne.
L’UE a aussi décidé de geler les fonds européens du plan de relance normalement destinés à la Pologne (23,9 milliards d’euros de subventions et 12,1 milliards d’euros de prêts) et lui réclame 69 millions d’euros de pénalités, sans aucun succès pour l’instant. La Pologne quitte peu à peu un Etat de droit pour s’enfoncer dans un régime autoritaire nationaliste.
Sur la construction du mur, l’UE est plus frileuse à interférer en raison de tensions géopolitiques très fortes. A l’occasion d’une conférence sur la gestion migratoire organisée à Vilnius (Lituanie), ce vendredi 21 janvier, 16 pays européens ont signé une déclaration commune demandant à Bruxelles un « soutien financier adéquat » pour la construction « d’infrastructures physiques ».
L’Estonie, la Lettonie, et la Lituanie se sont ralliés à la Pologne, l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, le Danemark, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, Malte, la Roumanie, la Slovaquie, et la Slovénie pour ériger des infrastructures et des murs anti-migrants.
La commissaire en charge des migrations, Ylva Johansson, s’est opposée au financement européen de murs ou barbelés et a rappelé que les « refoulements de migrants n’ont pas leur place dans le système juridique de l’Union européenne ». Pour l’UE, les demandes d’asile doivent être instruites, quitte à être déboutées par un juge. Mais elle n’a pas encore condamnée officiellement la construction du mur.
Emmanuel Macron, chargé de la présidence française du Conseil de l’UE, a déclaré lors du Conseil européen des 21 et 22 octobre :
« Nous devons avoir des modes de protection coordonnée et commune de nos frontières extérieures. Beaucoup de migrants arrivent par les voies aériennes ou maritimes. J’ai peur qu’un mur n’y suffise pas. Nous devons nous protéger. Mais nous ne devons jamais le faire en oubliant les principes qui sont les nôtres. »
Le conflit monte en puissance dans les pays de l’ancien bloc de l’Est. Les mouvements militaires d’exercices communs des troupes russes et biélorusses ont inquiété la scène internationale, notamment après les annonces d’Alexandre Loukachenko sur de nouvelles manœuvres militaires avec la Russie aux portes de l’Europe entre le 10 et le 20 février. L’UE est donc très prudente à ne pas jeter d’huile sur le feu.
Reste à savoir si la menace écologique que représente ce mur anti-migrants pour ce joyau naturel, couplée à une crise humanitaire qui s’aggrave, poussera l’UE à se prononcer officiellement contre la construction de ce mur mortifère.
Crédit photo couv : Ministry of Foreign Affairs of the Republic of Poland