« Nous sommes la dernière génération capable d’empêcher un effondrement sociétal. » Lundi 31 octobre, des membres du collectif Dernière Rénovation ont mené une nouvelle série d’actions de désobéissance civile, à Paris, pour obtenir une « rénovation globale et performante du parc immobilier français d’ici 2040 ». Le moment est crucial : l’Assemblée nationale vient de voter deux amendements débloquant près de 12 milliards d’euros pour la rénovation thermique des bâtiments. Dernière Rénovation exige la sanctuarisation de ces aides, même en cas de 49.3.
Sept millions de passoires thermiques en France
La première action a eu lieu dans le cinquième arrondissement de la capitale. En milieu de matinée, Sasha, un jeune homme de 24 ans se présentant comme un sympathisant du collectif a escaladé le toit du Panthéon et s’est accroché au mât du drapeau tricolore qu’il avait auparavant mis en berne, sous le regard interloqué des touristes.
« Je suis un citoyen ordinaire. J’aime mon pays, et je ne supporte plus de voir sa population et ses paysages sacrifiés par un gouvernement mensonger et criminel », a expliqué le militant, finalement délogé par les pompiers.
« Si je mets le drapeau en berne aujourd’hui, ajoute-t-il, c’est parce qu’on devrait être en deuil pour tous les gens qui meurent déjà d’inondations, d’incendies, de famines, bref du dérèglement climatique. Et ce n’est rien face aux milliards de personnes qui seront sur les routes dans les décennies à venir. »
Un peu plus tard dans la journée, vers 18 h 30, une dizaine de membres de Dernière Rénovation ont également bloqué la circulation sur le très fréquenté pont de Sèvres, à Boulogne-Billancourt, pendant une quarantaine de minutes.
Suivant leur mode opératoire habituel, les activistes, munis de chasubles, se sont assis en travers de la route en tenant une banderole rose et jaune où l’on pouvait lire : « Dernière Rénovation ».
Furieux, les automobilistes ont d’abord tenté de déloger les militants qui, passifs et non violents, se sont laissés traîner sur le sol, et copieusement insulter. Une quinzaine de minutes plus tard, des policiers municipaux ont tenté tant bien que mal de rétablir la circulation, quitte à rudoyer les manifestants, ainsi qu’on peut le voir sur plusieurs vidéos.
« J’ai marché, signé des pétitions, cru en la Convention citoyenne pour le climat, espéré que la condamnation du gouvernement le ferait enfin agir, témoigne ainsi Catherine, présente sur le pont de Sèvres. Devant l’urgence climatique et l’inaction du gouvernement, c’est la boule au ventre qu’aujourd’hui, à 65 ans, je rentre en résistance civile. »
Comme la précédente, le but de cette action était de demander à l’État de rénover en urgence les cinq millions de passoires thermiques que compte le parc immobilier français et d’engager une transition écologique radicale du secteur du bâtiment, qui représente à lui seul 40 % de la consommation d’énergie en France, et 20 % des émissions directes de gaz à effet de serre (GES).
« Si je suis là ce soir, ce n’est pas par plaisir… »
Alors que, trempés par la pluie, les militants du pont de Sèvres étaient placés (comme de coutume) en garde à vue, un autre membre du collectif a interrompu une représentation de La Flûte enchantée qui était donnée à l’Opéra Bastille.
Surgissant au milieu de la scène devant des acteurs hésitants, le jeune homme, vêtu d’un tee-shirt où était écrit « We have 879 days left » (« Il nous reste 879 jours »), s’est attaché le cou à un élément de décor, au moyen d’un antivol pour vélo.
Impressionné par les injures du public, qui le sifflait et lui criait « dégage ! », il n’a pas eu le temps de dire autre chose que : « Si je suis là ce soir, ce n’est pas par plaisir… » Vingt secondes n’étaient pas passées que, déjà, le rideau se refermait sur lui.
Quinze minutes plus tard, la représentation de La Flûte enchantée reprenait, et le militant était escorté au commissariat par des policiers…
1 095… 1 028… 879 jours…
Le chiffre de « 879 jours » arboré par le jeune homme provient du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont la dernière partie, publiée en avril 2022, avertissait que le pic des émissions mondiales de GES devait être atteint au plus tard en 2025 pour que le réchauffement soit maintenu en deçà de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle.
Début avril, il restait donc trois ans aux gouvernements du monde entier pour adopter des mesures drastiques de réduction de nos émissions, soit 1 095 jours environ – un décompte passé, le 31 octobre, à 879.
Lors d’une action menée le 3 juin dernier à Roland-Garros, une jeune militante de Dernière Rénovation avait déjà endossé ce symbole. Il restait alors « 1 028 jours » pour limiter la catastrophe climatique à un niveau supportable pour la majeure partie de l’humanité.
Près de 150 jours plus tard, le temps presse d’autant plus. Dans une note publiée le 28 octobre, la Cour des comptes a même étrillé le gouvernement sur sa politique de rénovation énergétique des bâtiments, que la juridiction financière juge incohérente, probablement insuffisante, et quoi qu’il en soit mal pilotée et trop peu chiffrée.
Un sursaut d’espoir est arrivé de l’Assemblée nationale cette semaine. Lundi soir, le parlement a voté coup sur coup deux amendement débloquant respectivement un amendement écologiste de 6,85 milliards de crédits, puis un autre socialiste de 5 milliards pour la rénovation thermique des bâtiments lors de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2023.
« Par ces amendements, l’Assemblée nationale choisit de ne plus ignorer la tragédie des 2200 personnes qui décèdent chaque année du simple fait de vivre dans une passoire thermique. Elle choisit de rendre 1000 euros de pouvoir d’achat aux Français pris à la gorge par leurs factures d’énergie assassines. Elle choisit de garantir le confort chez soi à 12 millions de personnes en situation de précarité énergétique qui souffrent du froid et du chaud chaque année. En bref, elle choisit de rendre sa dignité à la population qu’elle représente, comme il se doit » a réagi le collectif
Seulement, le gouvernement risque tout simplement de supprimer ces deux amendements en recourant au 49.3. C’est pourquoi Léo, membre de 21 ans chez Dernière Rénovation, a tenté de s’accrocher à la porte de l’Hôtel de Matignon vers 19h30, hier soir. Il arborait un t-shirt avec l’inscription “Gardez les 12 milliards”. Le collectif a également lancé une pétition.
« Le moment est historique. Dernière Rénovation demande à la Première ministre, Elisabeth Borne, qui s’apprête à engager la responsabilité du gouvernement via le 49.3, de sanctuariser ces crédits pour le bien-être des générations futures » conclut le collectif