Bonne nouvelle pour le futur ! Une étude démontre qu’il est possible de convertir toute l’Union Européenne à l’agroécologie en assurant la subsistance alimentaire de sa population. Les pertes de rendements des champs pourraient être compensées en réduisant du régime alimentaire européen le bétail nourri aux céréales.
Produire moins, mais mieux
Les débats font souvent rage entre les défenseurs de l’agroécologie et ses détracteurs autour de la baisse des rendements induits par cette méthode agricole. S’il est possible de cultiver la terre de façon vertueuse, la quantité de nourriture produite serait-elle suffisante pour nourrir tout le monde ? L’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), un institut de recherche français et indépendant, a mené une étude qui tranche le débat : oui, une Europe construite autour de l’agroécologie peut nourrir une population croissante avec une alimentation saine.
L’agroécologie conçoit des systèmes de production qui utilisent les fonctionnalités offertes par les écosystèmes. Elle les amplifie tout en diminuant les pressions exercées sur l’environnement (comme les émissions de gaz à effet de serre, les intrants chimiques que sont les pesticides) et en préservant les ressources naturelles. Il s’agit donc d’utiliser au maximum la nature comme facteur de production en maintenant ses capacités de renouvellement.
« L’idée d’une Europe entièrement agroécologique est souvent considérée comme irréaliste en termes de sécurité alimentaire car l’agroécologie est parfois synonyme de rendements plus faibles », a déclaré à The Guardian Rob Percival, responsable de la politique alimentaire à la Soil Association. « Mais cette recherche montre qu’en recentrant les régimes alimentaires des humains sur les protéines végétales et le bétail nourri aux pâturages, une Europe entièrement agroécologique est possible. »
Malgré une baisse induite de la production de 35 % par rapport à 2010 (en Kcal), le scénario proposé par l’IDDRI, nommée « 10 ans pour l’agroécologie en Europe » (TYFA en anglais), dépeint un avenir radieux où l’agriculture en Europe pourra faire face au changement climatique en réduisant de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre, éliminer les pesticides, maintenir sa capacité d’exportation, restaurer une biodiversité vitale en protégeant ses ressources naturelles, le tout en fournissant un régime alimentaire suffisant et sain pour une population en hausse. L’étude prédit ainsi que l’agroécologie peut nourrir 530 millions d’européens en 2050 (nous sommes 512 millions aujourd’hui).
La nécessité de changer de modèle agricole
Le rapport de l’IDDRI commence par présenter les réussites du système alimentaire industriel européen :
« les volumes produits, la structuration d’un appareil agro-alimentaire capable à la fois de nourrir plus de 500 millions d’Européens et de contribuer positivement à la balance commerciale, fournissant 4,2 millions d’emplois en Europe. Une certaine amélioration en termes de gaz à effets de serre (– 20 % entre 1990 et 2015), du fait notamment d’une concentration de l’élevage et d’une meilleure efficacité dans l’usage de l’azote. »
Mais l’étude dénonce le prix à payer très élevé de ces succès, avec des conséquences sociales et environnementales de plus en plus marquées : explosion des maladies liées à une alimentation trop importante et déséquilibrée (diabète, obésité, maladies cardio-vasculaires), usage massif d’intrants chimiques – pesticides et fertilisants de synthèse qui ont de nombreux effets délétères sur la santé de nos agriculteurs, de nos sols, de nos eaux et des conséquences sur la qualité nutritionnelle de notre alimentation, effondrement de la biodiversité dans les champs, destruction de la forêt tropicale que l’on « importe » indirectement via le soja produit en Amérique du Sud, détresse et misère des agriculteurs endettés…
Le scénario TYFA (Ten Years for Agroecology) repose sur l’abandon des pesticides et des fertilisants de synthèse pour les remplacer par les auxiliaires de cultures (la régulation naturelle d’un milieu grâce à l’équilibre proie/prédateur), le redéploiement des prairies naturelles et l’extension des infrastructures agroécologiques (haies, arbres, mares, habitats pierreux) à hauteur de 10 % de la sole cultivée, qui s’ajoutent aux prairies extensives qui constituent la principale composante de ces infrastructures. Pour assurer la fertilité des sols, TYFA mise sur l’apport d’azote grâce aux légumineuses et les engrais organiques créés par le fumier de l’élevage.
Le scénario remet en question nos besoins et préconise un régime alimentaire plus sain, moins riche en produits animaux et accordant une plus grande place aux fruits et légumes. Pour l’établir, les chercheurs se sont basés sur les recommandations nutritionnelles en vigueur (EFSA, OMS et PNNS).
« Si les bénéfices de TYFA sont centrés sur l’Europe, les enjeux globaux ne sont pas pour autant sacrifiés dans le passage à une Europe agroécologique – qui n’en devient pas par ailleurs autarcique. En matière de sécurité alimentaire, la réduction de la consommation et de la production de produits animaux, notamment granivores, se traduit par une moindre mobilisation des céréales pour ce secteur, libérant un surplus de céréales comparable, en volume, à la balance net export-import de la dernière décennie (6 % de la production européenne). Cette quantité n’a pas vocation à « nourrir le monde » – ce sont en première instance les pays qui doivent se nourrir eux-mêmes – mais à fournir un stock mobilisable en cas de crise alimentaire, en particulier dans la zone méditerranéenne. Mais la principale contribution à la sécurité alimentaire consiste à envisager une agriculture européenne plus autonome, qui cesse d’importer près de 35 millions d’hectares de soja. Pour les pays exportateurs de soja, c’est une pression moindre sur la déforestation. » Extrait du rapport
Alors qu’une étude récente nous a alerté sur l’effondrement des populations d’insectes dans le monde entier et que nous affrontons des aléas climatiques de plus en plus forts, le modèle agricole TYFA donne des objectifs désirables et réalisables pour assurer la résilience de notre alimentation : une « ferme Europe » agroécologique productive et très efficiente dans l’usage des ressources rares en 2050.
Pour les auteurs du rapport, ce scénario reste perfectible et doit permettre d’enrichir le débat autour de la transition vers l’agroécologie. Ils ont posé l’enjeu dans le titre même de TYFA : les dix ans (« Ten Years ») sont, pour eux, le laps de temps nécessaire pour engager un mouvement qui permette d’arriver à une Europe entièrement agroécologique en 2050. Le Salon de l’Agriculture en France s’ouvre samedi, combien seront-ils à promouvoir et débattre autour de l’agroécologie ?