Grâce à un lanceur d’alerte, l’association de défense animale One Voice a reçu de nouvelles images exclusives des chiens élevés et expérimentés au Centre d’élevage des Souches (CEDS) à Mézilles dans l’Yonne. Le lanceur d’alerte veut dénoncer le mode de détention des golden retrievers et beagles du plus grand élevage de chiens pour les laboratoires en France. Le pays est le troisième au monde à utiliser des chiens comme cobayes dans les laboratoires, tour d’horizon avec la fondatrice de One Voice, Muriel Arnal, qui milite pour la fin de l’expérimentation animale.
Point d’histoire
Si pour le plus grand nombre l’Antiquité évoque la naissance de l’écriture ou encore la constitution de l’Empire Romain puis sa chute, elle est aussi la période à laquelle on trouve les premières expérimentations animales. Tout du moins et en premier lieu, la dissection.
Puis, c’est à l’école de médecine d’Alexandrie que se pratiquèrent les premières vivisections tant sur les animaux que sur des criminels condamnés. La vivisection, tirée du latin scientifique vivisectio, signifie littéralement « la découpe du vivant ».
Dès lors, la question de l’éthique fut soulevée. On s’en doutera, elle était avant tout mise en avant vis-à-vis des êtres humains car il était déjà socialement accepté de traiter les animaux comme des moyens / outils au service des fins humaines. Néanmoins, des précurseurs comme Pythagore ou Porphyre ont porté leurs questionnements autour du respect dû aux animaux.
Aujourd’hui, l’expérimentation animale bat toujours son plein. L’Union Européenne annonce avec retard qu’en 2018 le chiffre de 8 921 759 animaux ont été utilisés pour la première fois à des fins expérimentales. Il faut ajouter à celui-ci ceux qui ont déjà été victimes d’expérimentations ainsi que la Norvège dont les données ne sont pas prises en compte.
Après recalcul, on culmine avec 10 572 305 animaux martyrisés au nom de la recherche et du progrès alors que des alternatives existent. Dans les espèces utilisées, les chiens sont en constante augmentation (29 % de plus). Dans ce constat mortifère, la France occupe la troisième place avec 4219 chiens exploités dans divers laboratoires.
Heureusement, à l’instar des penseurs du Ve siècle des voix s’élèvent pour l’arrêt des souffrances animales. Parmi elles, se trouve l’association One Voice. Récemment, elle a dévoilé des images terrifiantes de l’élevage de chiens à Mézilles.
Interview de la présidente et fondatrice de l’association Muriel Arnal
- Pouvez vous vous décrire brièvement, quel est votre combat ? Quels types d’actions menez-vous ?
Je suis la présidente et fondatrice de l’association One Voice. Je lutte pour les animaux avec une vision pour la globalité des combats : pour les animaux, pour les humains et la nature. Nous menons des enquêtes, nous portons des actions en justice. Et nous faisons aussi beaucoup de travail de sensibilisation du public et de responsabilisation qui peuvent vraiment changer les choses.
- Bilan de l’expérimentation animale en France ? Comment se fait-il que nous sommes l’un des pays d’Europe où l’on teste le plus sur les chiens ?
On a toujours été très en retard en France. Si on regarde les statistiques générales, on a l’impression d’être 2ème ou 3ème en termes d’utilisation d’animaux mais il y a énormément de chiffres qui ne sont pas mentionnés en France alors qu’ils le sont à l’étranger.
Par exemple, les statistiques ne prennent pas en compte les animaux transgéniques, les animaux qui sont tués pour être vendus en morceaux au laboratoire, les animaux qui sont là pour l’élevage et qui vont être euthanasiés.
Nous sommes les champions d’Europe pour les chiens et ça a toujours été le cas.
Malheureusement, c’est culturel, l’expérimentation animale est un sujet qui est moins traité que d’autres et le lobby a très bien su faire en empêchant qu’on en parle. Et comme aujourd’hui nous sommes une société de l’image, que les réseaux sociaux permettent de publier énormément de choses, que les gens vont pouvoir filmer eux-mêmes dans la rue avec leurs téléphones portables, ça “invisibilise” encore plus les animaux de laboratoire puisque personne n’y a accès, que c’est extrêmement surveillé et fermé.
C’est une vraie problématique, les gens les oublient par ce qu’on ne les voit pas.
- Comment cela se fait-il que la France ne donne pas tous ses chiffres ?
Cela vient de cette culture en France d’en dire le moins possible. Par exemple au Royaume-Uni, on sait qu’il y a 2 millions d’animaux transgéniques alors qu’en France, on ne sait pas. Pourtant, il y a une obligation chaque année de publier les statistiques.
Il y a deux ans, on a dû menacer le Ministère de faire un recours au niveau européen et de l’enclencher pour que les statistiques soient publiées. Tout est fait pour gagner du temps et occulter.
- Votre point de vue sur la conscience animale ?
On a été l’une des premières associations à parler de la sentience (La capacité d’un animal à ressentir des émotions comme la joie ou la souffrance). C’est extrêmement important que les gens se rendent compte de qui sont les animaux. On aura beau montrer des tonnes d’images horribles, si les gens ne savent pas leur capacité à ressentir, il ne se passera rien.
Par exemple, dans les laboratoires, il faut savoir que l’on choisit les beagles parce qu’ils sont une race assez compacte (grand, résistant et pas trop gros), mais surtout parce qu’ils sont gentils et qu’ils vont pouvoir être martyrisés sans vergogne. En ce qui concerne les goldens retrievers se sont aussi des chiens très sympas mais surtout aptes à développer des maladies. On les fait naître malades pour l’expérimentation animale.
- Qu’est-ce que le CEDS ?
C’est le Centre d’élevage des souches qui appartenait anciennement à Mr et Mme Carré. Ils l’ont maintenant vendu à BioMarshall (Marshall BioResources). C’est le plus grand élevage de France. Il se situe dans l’Yonne, qui a selon les dires du repreneur, la spécificité quasi unique au monde de contenir un laboratoire qui permet d’élever des chiens et de les tuer sur place, les découper en morceaux pour les revendre à d’autres laboratoires.
- Quels types d’expériences sont menées sur ces chiens ?
Ce sont des expériences pour l’industrie pharmaceutique notamment la toxicologie. On va gaver les chiens d’un produit ou alors en injection. Puis tous les chiens vont être tués et les organes analysés. On va aussi regarder leurs réactions, quels types d’effets secondaires ils ont. Est-ce qu’ils vomissent, font des syncopes etc. ? Ça, c’est la plus grosse partie.
On entend aussi parler des chiens du téléthon, mais c’est une toute petite partie par rapport au reste. Il y a aussi toutes sortes de produits qui sont testés sur les chiens comme les prothèses de dents, de hanches …
De plus, les employés ont interdiction formelle de toucher les chiens. Ils sont vraiment complètement démunis de tout.
Les mères mettent bas la nuit et s’il n’y a personne, elles se débrouillent, ce sont des usines à produire. Ensuite, on leur enlève leurs chiots qui sont mis dans des boxes le temps qu’ils grandissent avec juste du béton. Et puis après, c’est la vie en laboratoire.
- L’élevage aurait été racheté au printemps 2021 par BioMarshall. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est une très grosse entreprise de production d’animaux à destination des labos. On les a empêchés de s’installer une première fois dans l’Allier en 1999 et on a eu gain de cause. Puis, il y a eu une grosse campagne contre Air France qui faisait arriver les chiens de Marshall par avion. Malheureusement, ils ont tout de même réussi à s’installer et peuvent fournir la France et les pays autour avec facilité désormais.
- Parlez-nous de la visioconférence des gérants et des acquéreurs que vous avez réussi à regarder ?
C’est une conférence glaçante dans le sens où les chiens n’existent pas. Ce sont des produits au même titre que des éprouvettes ou du matériel. Il y a un fossé entre les discours officiels et ce qui se dit en interne.
C’est un business très lucratif et on comprend pourquoi notre combat est si difficile. Il y a énormément d’argent en jeu.
- Pouvez-vous nous parler de la plainte que vous avez déposée contre eux en 2018 ? Où cela en est-il ?
On a déposé une plainte pour mauvais traitements et détention ne respectant pas les animaux. Il me semble que la plainte est toujours en cours mais on sait très bien qu’il y a très peu de chances pour que cela aboutisse.
Par contre, on avait demandé au tribunal qu’un huissier puisse entrer dans l’élevage ce qui avait été accepté. Mais les Carré ont gagné en appel et nous n’avons finalement pas pu utiliser son rapport.
Là où nous avons gagné, c’est que l’élevage avait droit à 500 reproducteurs et que la préfecture avait autorisé à monter à 3600. Avant que cela n’ait officiellement cours, il y a eu des rapports d’enquêtes qui ont relevé la présence de plus de 1300 adultes reproducteurs au lieu de 500.
Forts de ces constats, nous sommes allés devant le tribunal administratif et avons gagné pour des raisons environnementales. 3600 adultes dont il faut gérer les déjections… cela aurait pollué tout autour, il n’y avait rien de prévu pour s’en débarrasser et ce point n’avait pas été contrôlé par la Préfecture. On a demandé à des experts d’aller inspecter les eaux usées pour avoir des preuves en béton.
- Quelles preuves concrètes avez-vous de ce qu’il se passe dans les laboratoires ?
Nous avons des vidéos, des images récentes par drone. Nous avons aussi des vidéos et des témoignages que nous ne pouvons pas utiliser pour ne pas mettre en difficulté certains employés. Nous avons enfin des scientifiques qui recherchent les études qui ont été publiées. Parce que dans certaines d’entre elles, la provenance des animaux est notée. Du coup, on sait que parfois ce sont des chiens qui viennent du CEDS.
- Selon vous que démontre l’expérimentation animale de notre société ? Et de l’homme dans son rapport au vivant ?
Il est clair que les mœurs concernant l’expérimentation animale n’ont pas évolué. Je pense qu’il y a un détachement.
J’ai dîné un jour avec un expérimentateur qui était aussi végétarien. C’est une forme de dissonance cognitive.
Comme c’est le travail, il y a une forme d’aveuglement sur ce qu’ils font réellement. Comme s’il y avait une forme de « non-conscience » de ce qu’ils font. Cette remarque subjective concerne surtout les employés car en ce qui concerne les PDG, ce n’est juste pas leur problème.
Après, il y a eu tout ce mythe du « chien de labos » : le fait qu’ils naissent pour être en labo ne serait plus gênant. Quand on a mené la campagne contre l’installation de Marshall en 99, les associations de protection animale à l’époque étaient favorables aux élevages comme le CEDS. Elles se disaient que c’était mieux car ces chiens étaient « conçus pour ça » plutôt que d’être achetés à des trafiquants.
Il y avait aussi cette idée que les chiens de labos souffrent moins que les chiens domestiques. Marshall BioResources possède le seul autre élevage de ce type à Gannat dans l’Allier. Il y a quelques années, nous nous sommes fait passer pour un faux laboratoire et nous avons réussi à leur acheter quatre chiens et obtenir ainsi de précieuses informations.
Nous avons pu montrer aux gens que ce sont des chiens comme tous les autres. Nous avons cassé ce mythe. Ce sont des chiens avec la même envie de jouer, d’avoir des câlins.
- Que faudrait-il changer dans les mentalités pour que les gens s’alarment ?
Il faut en parler, le plus possible, c’est grâce à ça qu’on y arrivera comme on a gagné le combat pour les animaux des cirques. Il faut que cette discussion entre dans l’espace intime des gens, leur quotidien.
- Quelles alternatives proposez-vous et quelles sont celles qui existent déjà ?
Il y a énormément d’alternatives mais elles manquent cruellement de financement, c’est une question éminemment politique. J’invite les gens à aller se renseigner sur notre site où nous expliquons quelles autres possibilités il y a sans passer par l’expérimentation animale.
Ces alternatives se traduisent dans les urnes quand les gens vont voter. La France ne donne pas d’argent pour les moyens substitutifs tandis que les autres pays en donnent.
Il faut aussi que les scientifiques se positionnent clairement sur le sujet. Il faut que la question de l’expérimentation animale devienne accessible au public et que l’on arrête de donner uniquement la parole au lobby quand on parle d’expérimentation animale.
- Quelles actions concrètes peut-on mener contre ce « business » ?
Dernièrement, à force de pression contre les compagnies aériennes, certaines d’entre elles ont décidé d’arrêter de participer au transfert des singes dans leurs avions. C’est vraiment un combat au quotidien qu’il faut relayer tout le temps. La pression publique est très importante.
En tant qu’associations, nous unir et relayer massivement ces informations sont nos moyens de pression les plus précieux pour faire évoluer les choses et forcer les politiques à investir financièrement dans la recherche des moyens de substitution à l’expérimentation animale. »
Et c’est le cas de le dire, il y a deux jours le parlement européen a appelé à constituer une commission afin d’établir un plan de sortie quant à l’expérimentation animale. L’idée étant de développer et de financer les méthodes alternatives prescrivant l’utilisation de cobayes vivants pour les recherches. Serait-ce le début de la lumière au bout du tunnel pour ces êtres vivants sacrifiés ?