La logique du tout éphémère et du tout jetable est entrée et ancrée dans nos vies de manière irrépressible… Un monde dans lequel tout ce qui ne nous convient pas à la perfection ou qui est passé de mode doit être jeté sans aucun remord, sans pitié, sans réflexion. Ainsi, il est possible de consommer du tissu à l’infini sans se questionner autour de la production, de l’énergie consommée voire de la nécessité d’acheter toujours plus. Derrière les promesses du « tout recyclable » se cache un « business de la seconde main », une marchandisation qui finit souvent sur les plages africaines. Telles sont les sournoiseries des politiques capitalistes : la pollution chez nous, non. Ailleurs, c’est mieux. Qu’advient-il de tous nos vêtements une fois qu’ils sont déposés dans nos bennes de recyclage ? Comment la qualité de ces derniers a-t-elle évolué ces dernières années notamment avec le phénomène de la fast-fashion ? Qu’en est-il de la seconde main ? Est-elle une illusion pour continuer à consommer avec frénésie ? Quels sont les acteurs qui se battent dans l’ombre afin de promouvoir une production et une consommation raisonnées de l’industrie de la mode ?
La fast-fashion, le mode de consommation du tout-jetable
Dans un monde où la culture est régie non par la raison mais sur l’apparence, il est évident que le secteur le mieux placé pour véhiculer ce mode de vie est celui du prêt-à-porter. Il est tellement palpable qu’on lui a même donné un nom : la fast-fashion.
Cette tendance du « wear-it-once », propagée par les réseaux sociaux depuis 2015, consiste à utiliser un vêtement pour des occasions particulières avant de le reléguer aux oubliettes. Ce phénomène est facilité par la mondialisation de la chaîne de production ainsi que l’expansion commerciale. Ces derniers ont inévitablement réduit les prix depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Pour quelle conséquence ? Celle d’être devenue l’une des activités les plus polluantes de la planète : l’industrie textile rejette 17 milliards de CO2 par année, soit deux fois plus que tous les avions de ligne de la planète.
Pour la conception d’un jean, on utilise 8000L d’eau et 75g de pesticides. L’utilisation des teintures est aussi une cause de pollution majeure. En effet, les métaux lourds comme le plomb, le mercure ou le chrome, ainsi que les produits chimiques utilisés dans ce procédé, sont déversés directement dans les rivières.
Résultat, les stations d’épuration de certains pays comme le Bangladesh sont fermées car personne ne veut les payer afin que l’industrie reste compétitive. Ainsi 15000m3 par jour de rejets toxiques sont éparpillés dans la nature. Les rivières meurent, le business flambe.
Ces chiffres vertigineux sont pourtant en pleine expansion. Selon une étude de l’ONG britannique Barnado’s, un tiers des femmes interrogées estiment qu’après avoir été porté plus de trois fois, un vêtement est déjà « ancien » et par voie de conséquence jetable.
Pour évoquer d’autres chiffres tout aussi étourdissants, penchons-nous sur ceux publiés par un collectif de chercheurs dans une étude appelée « The environmental price of fast-fashion », sortie au printemps dernier.
+40 % : c’est l’augmentation depuis le début du millénaire du nombre de vêtements achetés chaque année en Europe. Moitié moins, c’est la diminution du nombre de fois qu’un même habit est porté par une personne.
Les dépenses moyennes des Européens en terme vestimentaire atteignaient 30 % de leur budget dans les années 50 pour arriver à 5 % en 2020. Ce gain de budget n’est possible que par le biais de site comme ASOS ou Amazon dont l’impact désastreux sur l’environnement ainsi que sur les conditions de travail ne sont plus à démontrer.
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Une fois le cerveau engrainé dans les méandres du cercle du désir, il est évident que les prix de plus en plus bas sont des appâts redoutables vers cette consommation effrénée. La dernière trouvaille en date pour entretenir cette tendance à la toute consommation : le tout recyclable.
Les grandes marques proposent de reprendre les vêtements usagés contre un bon d’achat. Une aubaine pour les personnes à faible revenu ou pour les familles nombreuses, mais aussi une stratégie pour donner conscience tranquille au consommateur compulsif.
Mais où partent nos vieux vêtements ? Quel est leur destin une fois déposé au comptoir ou encore dans ces bennes tant connues à la couleur blanche défraîchie ?
Du recyclage à une marchandisation du don
Au même titre que l’on ne nous apprend pas à penser la chaîne de production d’un objet fini, notre réflexion s’arrête bien souvent lorsqu’on a claqué la benne, débarrassé de notre besace de vieux vêtements. Et pourtant.
3 % : pourcentage de la quantité de vêtements incinérés ? Il n’en est rien. C’est le nombre ridicule d’habillement redistribué aux plus démunis.
Qu’en est-il du reste ? Ils sont amenés par de grandes entreprises comme GEBETEX et triés dans de grands entrepôts comme SOEX en Allemagne ou encore en Belgique. 320 tonnes y sont traités par semaine.
En moyenne, un français achète 23 nouveaux vêtements par an. Une fois revendus et entassés dans ces hangars, ils attendent patiemment pour être de nouveau triés en trois catégories : ceux en parfait état, ceux aux petits défauts et les derniers avec des tâches.
De plus, avec le phénomène de la fast fashion, la qualité des habits a drastiquement diminué ces dernières années. Sur l’ensemble de ce qui a été minutieusement classé par une armée de petites mains : 3 % vont être réutilisés en France, 10 % brûlés dans le but de chauffer des maisons, 33 % recyclés pour se transformer en isolant pour maison et 54 % exportés sur le marché mondial de la seconde main.
Bien souvent, la destination finale de ces grands paquebots est le port d’Accra au Ghana. 80 millions de vêtements terminent leur croisière au débarcadère, prêts à être rachetés par des commerçants puis revendus au marché… ou pas. C’est trois fois plus qu’il y a 25 ans. Pour cause, la logique suit son cours : plus de vêtements, moins de qualité et plus de quantité.
Chaque semaine, le marché de Kantamanto écoule 15 millions d’habits. Ces marchés d’occasion sont une excuse pour les pays riches afin de continuer à consommer impunément.
Avant d’aller plus loin, voici un petit récapitulatif monétaire. La tonne de vêtements coûte 130€, ils sont ensuite envoyés et triés dans de grands entrepôts. La partie exportée est revendue 650€ la tonne pour finir par être rachetée 1800€ au Ghana. In fine, les industriels du recyclage touchent un large bénéfice dessus.
Pire, une grande majorité de ces vêtements n’est pas adaptée au climat des pays d’Afrique, différent de ceux de nos pays occidentaux. Ou alors, ils sont tout simplement de trop mauvaise qualité. Résultat, les petits revendeurs sont obligés de casser les prix de leur marchandise qu’ils ont achetée 100€ le ballot au port à l’aveuglette.
Après chaque marché hebdomadaire, 40 % des vêtements partent à la poubelle ou finissent dans la nature, dans d’immenses décharges à ciel ouvert souvent déjà bien débordantes.
Dans les décharges, les vêtements ont deux options. Soit ils sont brûlés, soit ils se décomposent, lentement, laissant échapper leur polyester en direction des plages et des océans. C’est l’une des causes principales de l’augmentation des microfibres dans ces derniers.
Seulement 10 % de ces déchets seraient visibles tandis que le reste s’effilocherait au ralenti dans les fonds marins, procurant une nourriture toxique à ses habitants.
Pour tenter de pallier à ce problème, une gigantesque décharge a été construite au Ghana. Cette dernière devait fonctionner pour les 25 prochaines années. En moins de trois ans, elle était déjà pleine à craquer. Plus efficace, un de ses pays voisins, le Rwanda, a imposé une taxe en 2016 sur les vêtements exportés. Cela a divisé l’importation par deux.
Les alternatives pour une production et consommation éthique
Face à ce carnage vestimentaire, des acteurs agissent partout dans le monde afin de transformer les mentalités, et mieux organiser nos modes de production et consommation.
Liz Ricketts est une militante américaine, ancienne styliste et co-fondatrice de « the Or foundation ». Son objectif est de former des stylistes au Ghana afin de transformer des pièces inutilisables en pièce unique. Ainsi, avec ses apprentis, elle écume les plages africaines où elle y trouve ses tissus.
Dans le Tarn en France, Fabrice Lodetti a créé une machine pour récupérer les fibres des vêtements afin d’en produire des neufs. Sa machine est capable d’en isoler chaque fil. Selon lui, ce qui reste d’un vêtement après utilisation est d’une qualité nec plus ultra car il s’agit des fils les plus résistants. De plus, il trie aussi ces fibres par couleurs, ce qui évite l’utilisation de teinture et par voie de conséquence la pollution de la tannerie.
Dans un autre domaine, il y a Julia Faure du collectif « En Mode Climat » qui milite pour plus de régulation dans l’industrie du textile. Même si elle a cofondé une marque de vêtements éthiques, elle incite les personnes à acheter le moins de vêtements possible.
Beaucoup d’alternatives et d’initiatives existent pour lutter contre une consommation effrénée du prêt-à-porter. Utiliser ses habits au maximum, les réparer, acheter de la seconde main quand cela est nécessaire. Déposer soi-même les vêtements que nous voulons donner directement à des Associations comme la Croix-Rouge.
Mais, pour aller au fond du problème, il faut s’interroger sur les raisons qui nous poussent à acheter de manière immodérée. Le besoin irrésistible de soigner notre apparence l’emporte souvent au détriment de notre santé et celle de notre planète
La pollution générée, les plages polluées, l’énergie utilisée sont autant de problématiques qui ne pourront être résolues que le jour où nos schémas mentaux et nos priorités auront changé de direction. D’ici-là, prenons le temps de réfléchir à deux fois avant de jeter quelque chose et favorisons les circuits courts pour les échanges de biens matériels.
Pour aller plus loin : Le documentaire « Où finissent nos vêtements » avec Hugo Clément.
Crédit : Décharge de Dandora, Nairobi, Kenya © Caitriona Rogerson