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« Ne laissons pas abattre les deux Loups du Limousin ! »

Les deux prédateurs n’ont pas commis d'attaques reconnues sur les troupeaux domestiques depuis le mois de décembre dernier : « ça montre vraiment que c'est un acharnement et qu’ils veulent en finir avec ces loups, affirme Vincent. »

« Ne laissons pas abattre les deux Loups du Limousin ! », tel est le titre de la pétition lancée par deux membres de l’association naturaliste Carduelis. Ayant réalisé un suivi exceptionnel des loups depuis le retour de l’espèce sur le plateau de Millevaches, ils dévoilent des informations qu’ils avaient gardées secrètes jusqu’alors, pour tenter d’alerter sur la situation.

Un travail naturaliste exceptionnel  

Cela fait plusieurs années que Carmen et Vincent, deux naturalistes passionnés, sillonnent le plateau de Millevaches à la recherche d’indices de présence lupine. Réalisateurs de plusieurs documentaires animaliers, notamment La part du loup en 2024, ce sont des pisteurs aguerris.   

Pour cela, ils observent les empreintes, les excréments, et disposent des « pièges photo » à déclenchement automatique dans les forêts limousines. Après avoir suivi le premier loup installé sur ce territoire et abattu en 2023, ils se mettent en quête d’éventuels autres individus. Carmen et Vincent ne tardent pas à découvrir les indices d’une nouvelle présence lupine : « On savait qu’ils étaient là, raconte Vincent, mais on a eu les premières images fin juillet 2024 : avec un loup adulte et un tout jeune louveteau. »   

Les deux naturalistes obtiennent en effet des images exceptionnelles des deux loups, ensemble, sillonnant la forêt corrézienne. Sur les premières photos datées de la fin juillet 2024, la différence de gabarit entre les deux individus est flagrante. Grâce à leurs connaissances et leurs relations avec des naturalistes spécialisés dans le suivi des loups, ils estiment l’âge du jeune à environ 15 mois, et pensent qu’il s’agit d’une femelle. Selon eux, le jeune âge de l’animal rend probable l’hypothèse de sa naissance sur le plateau de Millevaches.

« Il est peu probable qu’un louveteau de cet âge soit arrivé sur le territoire, estime Vincent. En plus, on n’est pas formels, mais on pense avoir trouvé des petites traces de loups qui accompagnent des traces d’adulte. » Pour le moment, aucune information concernant une reproduction lupine sur le plateau de Millevaches n’a toutefois été confirmée par l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et le parc naturel régional de Millevaches en Limousin. 

Les deux naturalistes avancent d’autres hypothèses, comme celle de l’origine italienne de l’individu le plus jeune. Les loups présents en France sont, en effet, issus de deux lignées : une lignée italo-alpine issue des individus venus depuis l’Italie à partir de 1992, et une lignée germano-polonaise, dont l’arrivée est plus récente et dont faisait partie le mâle tué en 2023. Le nouveau mâle présent sur le territoire est également issu de cette lignée, d’après des analyses génétiques rendues publiques par l’Office Français de la Biodiversité (OFB).    

« La femelle a les caractéristiques des loups italo-alpins, affirme Vincent. Elle a des lignes noires sur ses pattes avant, ça se voit très bien sur les images :  c’est caractéristique de la lignée italo-alpine. Simplement, nous on soupçonne fortement le fait qu’elle soit issue d’un croisement entre les deux lignées : parce qu’elle est née sur le plateau. Elle a toujours été entourée de loups germano-polonais. »   

Si ces hypothèses étaient confirmées, ce loup serait donc issu de deux lignées européennes différentes : une première en France. Carmen et Vincent se basent notamment sur l’affirmation du caractère exceptionnel de l’individu pour appuyer leur demande au préfet de Corrèze de « stopper les tirs sur ces deux loups ».   

De son côté le PNR de Millevaches en Limousin, chargé du suivi du loup sur le territoire avec l’OFB, est plus prudent : sa page internet dédiée au loup confirme seulement « la présence de deux individus, dont un mâle, sur le plateau de Millevaches. » Ces organismes publics basent leurs conclusions sur des analyses génétiques : considérant que les observations visuelles ne suffisent pas à être catégorique. 

La semaine prochaine, la réunion de la cellule de veille loup se tiendra en Corrèze. Reste à voir si l’OFB, notamment à travers ses analyses génétiques, infirmera ou validera certaines des hypothèses avancées par les deux naturalistes.   

Les deux loups photographiés en octobre 2024

Un suivi « en toute discrétion »  

Ainsi, grâce à leurs connaissances de la faune sauvage, Carmen et Vincent ont obtenus des informations et des images exceptionnelles. Depuis plusieurs années, leur suivi des loups se fait en parallèle de celui réalisé par l’Office Français de la Biodiversité, à travers son réseau Loup-Lynx et celui réalisé par la chargée de mission grands prédateurs au sein du Parc naturel régional de Millevaches en Limousin. Si les deux naturalistes obtiennent parfois des informations avant la confirmation de ces dernières par les organismes publics, ils se gardent de les leur communiquer : de peur que ces informations ne servent à l’abattage des loups. 

« Si on donne nos informations, par exemple sur les coins où on les a le plus vu, l’OFB peut communiquer avec les lieutenants de louveterie, explique Vincent. Il peut communiquer avec des éleveurs et tout risque de se savoir. Et si on communique des crottes, ça leur donne le nombre d’individus différents et ça donne le nombre de loups à abattre en France. » 

Dans l’Hexagone, le nombre de loups pouvant être abattus chaque année est, en effet, défini en fonction d’une estimation du nombre de loups présents sur le territoire. Cette estimation est réalisée à partir des indices de présence collectés sur le terrain, notamment les crottes.    

« Jamais, jamais, jamais on ne dévoile quoi que ce soit, conclut Vincent. Là, si on l’a fait, c’est vraiment parce qu’il y avait urgence, il n’y avait plus le choix :  ils vont être abattus. Tous les matins, on croise les doigts parce que ça peut arriver à tout moment. On s’est dit essayons de jouer le tout pour le tout. »  

Des tirs tous azimuts en limousin 

Depuis l’installation du premier loup dans le Limousin et les premières attaques sur des troupeaux d’ovins fin 2021, la préfecture de Corrèze autorise régulièrement des tirs de défense sur les loups : une mesure dérogatoire à leur statut de protection. 

Le préfet de Corrèze signe ainsi 15 arrêtés autorisant les tirs de défense entre janvier 2022 et la mort du loup mai 2023. Depuis l’arrivée de ces deux derniers individus, des autorisations de tirs ont à nouveau été accordées par la préfecture de Corrèze.   

Des tirs sur l’un de ces loups ont ainsi déjà été tentés par les lieutenants de louveterie : le 29 juillet 2024, le mâle est touché et grièvement blessé alors qu’il poursuivait un troupeau de bovins.  

« Après le tir, ils ont perdu la trace, raconte Vincent. Nous, on l’a retrouvé, tout de suite après, au piège photo. Il avait un énorme impact sur la cuisse arrière gauche. Il ne posait plus du tout la patte.  Ça a duré vraiment longtemps, et on avait peur que ça s’infecte. Au bout d’un moment, quand il a recommencé à la poser, il marchait comme un lapin : il s’appuyait sur les deux pattes avant, et puis il soulevait les deux pattes arrière en même temps.  Je ne sais même pas comment il a chassé, s’il n’a plus mangé. Je ne sais pas. »  

Le loup avait été gravement blessé par un tir

Grâce à leurs pièges photos, Carmen et Vincent suivent l’évolution du loup, qui se rétablit peu à peu : « maintenant, il va super bien, conclut Vincent. Il court et il chasse sans problème. » 

Mais le loup n’est pas tiré d’affaire pour autant. En début d’année, des louvetiers sont encore postés sur le plateau de Millevaches : une information confirmée par la préfecture de Corrèze. « L’issue pourrait être fatale de manière imminente pour les deux loups » s’alarment donc les naturalistes de Carduelis dans leur pétition.  

Les deux prédateurs n’ont pas commis d’attaques reconnues sur les troupeaux domestiques depuis le mois de décembre dernier : « ça montre vraiment que c’est un acharnement et qu’ils veulent en finir avec ces loups, affirme Vincent. Ils ne cherchent pas à savoir quoi que ce soit sur la biologie du loup, sur la cohabitation et tout ça. Ils ont abattu celui de 2023, maintenant, ils veulent tirer rapidement ces deux-là et qu’on n’en parle plus ! ».

À savoir qu’aujourd’hui en France, les tirs de défense permettent d’abattre des loups, mais uniquement en situation d’attaque sur un troupeau : les louvetiers sont ainsi postés en situation d’observation et de surveillance.  

De leur côté, Carment et Vincent rappellent que l’efficacité des tirs pour réduire la prédation sur le long terme n’est pas prouvée scientifiquement. La présence de ces deux loups témoigne par ailleurs du fait qu’un loup tué peut être rapidement remplacé par l’arrivée de nouveaux individus : ces deux loups occupent un territoire chevauchant en partie celui du loup abattu en 2023. Comme de nombreux naturalistes et spécialistes du loup, Vincent et Carmen appellent à baser la politique de gestion du loup sur les connaissances scientifiques plutôt que sur des tirs tous azimuts.

« On est tout à fait conscients que ce n’est pas du tout facile pour les éleveurs, affirme Vincent. On sait que cela remet en cause beaucoup de choses dans leur travail, même dans leurs conditions de vie en général. Mais la solution, ce n’est pas de tuer ces loups : il faut chercher ensemble des solutions qui seront adaptées au plateau de Millevaches et à ces loups ».  

« Plus on connaît les loups qui sont présents, plus on peut essayer de faire quelque chose d’adapté à eux, ajoute-t-il. Quand on tue ceux qu’on connaît, on se retrouve avec des loups dispersants qu’on ne connaît pas du tout et qui sont totalement imprévisibles : ils vont attaquer un troupeau un soir, et le lendemain, on les retrouve à 50 km. Alors que quand on les connaît individuellement, on peut essayer de bosser sur la protection de certains troupeaux plus ciblés, en fonction de l’endroit où les loups vont le plus être ».  

Leur pétition, toujours en ligne, recueille à ce jour plus de 45 000 signatures.  

Eloi Boye

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