Au nord de Montpellier, dans l’Hérault, la route départementale du LIEN n’en finit plus de défrayer la chronique. Véritable pomme de discorde, ce contournement de 32 kilomètres, menaçant des zones naturelles et des espèces protégées, est violemment rejeté par une partie de la population locale, en lutte ouverte depuis des années. Manifestations, recours juridiques et même ZAD, tous les moyens ont été employés pour empêcher le dernier tronçon du LIEN de voir le jour, entre Saint-Gély-du-Fesc et Bel-Air.
7,8 kilomètres de discorde
Sorte de seconde rocade de l’agglomération montpelliéraine, la Liaison intercantonale d’évitement du nord, baptisée « LIEN » par ses promoteurs, est une route départementale destinée à relier Castries, à l’est, à Bel-Air, à l’ouest, via les communes de Saint-Gély-du-Fesc et Grabels.
À terme, cette chaussée d’une trentaine de kilomètres servirait également de jonction, par le nord, entre deux autoroutes, l’A750 et l’A709, cette dernière faisant office de périphérique sud pour la métropole de Montpellier.
Portée depuis le début des années 1980 par le département de l’Hérault, la D68 – LIEN a été réalisée avec lenteur et difficulté, par tronçons successifs. À l’heure actuelle, seules les deux sections joignant Castries à Saint-Gély-du-Fesc ont été mises en service, mais plusieurs autres sont en préparation, pour un coût total de 200 millions d’euros.
La rhétorique des promoteurs du LIEN est simple : il s’agit de mieux desservir l’arrière-pays montpelliérain, de désengorger les petites routes départementales et communales par lesquelles des milliers d’automobilistes se rendent au travail le matin ou en reviennent le soir, en somme de réduire les embouteillages qui frappent chaque jour le nord de l’agglomération.
Parmi les tronçons manquants, celui devant relier la commune de Saint-Gély au hameau de Bel-Air est sans doute le plus important. D’une longueur de 7,8 kilomètres, il permettrait d’achever le grand contournement nord jusqu’à l’A750 ; c’est pourquoi le département fait tout pour en accélérer les travaux.
Seulement, ce projet rencontre une opposition aussi forte qu’obstinée qui, ces dix dernières années, n’a cessé de gagner en ampleur, à mesure que les promoteurs de la route se montraient sourds aux doléances des riverains.
En 2010, une première enquête publique est menée. Afin que les terrains convoités puissent être expropriés, la préfecture de l’Hérault publie alors une déclaration d’utilité publique (DUP), laissant imaginer que la route sera ouverte d’ici cinq ans.
Mais en 2013, saisi par une association de riverains, le tribunal administratif de Montpellier annule l’arrêté de DUP, au motif que le public aurait été trompé par de nombreuses inexactitudes.
En 2014, rebelote, une nouvelle enquête publique a lieu et en 2015, un nouvel arrêté de DUP est publié, proposant un tracé à peu près identique au premier. Les travaux sont cette fois-ci annoncés pour 2020, et l’ouverture de la route en 2025.
Deux défaites, un désastre
À partir de cette date, entre opposants et promoteurs, le bras de fer se double d’une course contre la montre. Alors que le département poursuit les acquisitions de terrains et ouvre les marchés publics, les riverains, rejoints par des associations environnementales, multiplient les recours juridiques.
C’est peine perdue : soutenu par la préfecture, le département, maître d’ouvrage, obtient en 2019 une dérogation à la destruction ou à la perturbation de 109 espèces protégées — des lézards et des couleuvres, des buses, coucous, faucons, pics, une espèce d’écureuils, une de hérissons, plusieurs de chauves-souris, et bien d’autres.
Quelques mois plus tard, 28 hectares de forêts sont rasés en quelques jours (parmi lesquels le bois du Mas de Gentil, pourtant classé) et un référé-suspension que les riverains déposent en urgence pour entraver le massacre est rejeté par le tribunal administratif de Montpellier.
Cette défaite de février 2020 resserre les rangs des opposants : durant cette période difficile, le collectif SOS Oulala voit le jour, afin de coordonner la nébuleuse de personnes qui animaient auparavant la lutte. Dès mars, il reçoit le soutien des groupes locaux de Greenpeace, Extinction Rebellion, ANV-COP21, Alternatiba, la Confédération paysanne et France Nature Environnement (FNE).
À l’unisson, les détracteurs du LIEN reprochent au département, responsable des transports, de négliger la transition écologique en perpétuant une politique du « tout-voiture » qui a fait son temps, quitte à détruire les quelques poumons verts dont jouit encore l’agglomération montpelliéraine.
La zone de Bel-Air, plus particulièrement, qui couvre une surface de plusieurs centaines d’hectares, constitue un précieux réservoir de biodiversité, qu’il paraît inexcusable de découper ou d’imperméabiliser, à l’heure de l’effondrement du vivant et de la disparition catastrophique des espaces agricoles et naturels.
Par ailleurs, l’achèvement de la D68 ne viendrait pas seulement bétonner plusieurs dizaines d’hectares supplémentaires (environ 80), mais accélérerait l’étalement urbain, en ouvrant la voie à la création de nouvelles zones commerciales et industrielles, ou de pavillons.
Enfin, se référant à une analyse de Reporterre, les opposants au LIEN répètent que les contournements routiers ne peuvent régler, à long terme, le problème des embouteillages. Au contraire, les nouvelles infrastructures augmentent presque systématiquement la circulation.
Comme par appel d’air, la croissance de l’offre provoque une croissance de la demande : c’est ce qu’on nomme le « trafic induit », une loi bien connue des scientifiques.
L’espoir renaît
Après la création du collectif SOS Oulala, en septembre 2020, des naturalistes indépendants découvrent sur le tracé du futur tronçon six nouvelles espèces protégées, dont une libellule très rare (la Cordulie à corps fin) et la loutre d’Europe, mammifère particulièrement menacé sur notre territoire.
Révélant l’illégalité des travaux du LIEN, ces découvertes permettent aux opposants d’ouvrir un nouveau contentieux administratif contre la préfecture, dans l’espoir que ces démarches retarderont au moins le chantier.
Début octobre, pour concrétiser ses actions, le collectif SOS Oulala investit une bâtisse expropriée entre Saint-Gély et Combaillaux, là où un échangeur doit sortir de terre, et y inaugure la Maison de l’écologie et des résistances (MER). Mais ce lieu alternatif proposant des ateliers culturels et écologiques est violemment détruit par la gendarmerie le 22 du même mois.
Mais les opposants ne découragent pas, engageant tous les recours et entreprenant toutes les actions possibles pour faire avorter le projet.
Puis, en juin dernier, une zone à défendre (ZAD) émerge tout à coup sur un terrain de la future Liaison intercantonale, tout près des lotissements du Pradas, sur la commune de Grabels. Sans qu’on sache qui la compose, cette occupation semble résulter de l’expulsion de la MER, un peu moins d’un an plus tôt.
« On occupe la ZAD aujourd’hui parce que l’urgence climatique et sociale nous appelle à un blocage immédiat de tous les projets destructeurs. Et contrairement à ce qu’on entend souvent dans la bouche de nos chers élu.e.s, patrons et journalistes, une ZAD ce n’est pas un QG de terroristes anti-démocratie, ni un regroupement de « casseurs » cherchant la violence à tout prix. Bien au contraire c’est la réaction de personnes indigné.es par l’état actuel de notre société. C’est un lieu qui entremêle plein de luttes trop chouettes dans le but de créer un archipel de zones libres et d’inventer d’autres manières d’être et de faire. » expliquent les militant.e.s sur leur page
Le 9 juillet 2021, nouveau coup de théâtre. Saisi par SOS Oulala et ses soutiens, le Conseil d’État déclare que la procédure ayant conduit à la DUP du LIEN était viciée. Dans son arrêt, la plus haute juridiction administrative estime que la préfecture de l’Hérault n’était pas qualifiée pour statuer seule sur la destruction ou la perturbation d’espèces protégées.
Un organisme indépendant, la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE), est alors chargé de réévaluer l’étude d’impact de la préfecture ayant permis, en 2014, de déclarer le chantier d’utilité publique.
L’avis de la MRAE est rendu le 28 septembre dernier. « Ni favorable ni défavorable » au projet de route en lui-même, ce rapport de 26 pages souligne, à travers une série de recommandations au maître d’ouvrage, que la qualité de l’étude d’impact et la prise en compte de l’environnement ne sont pas assez précises ni suffisantes pour justifier la destruction d’« une surface totale d’environ 80 hectares » et de dizaines d’espèces protégées.
Désormais, c’est au Conseil d’État de dire si la situation exige qu’une nouvelle enquête publique soit effectuée, afin que le tronçon Saint-Géry – Bel-Air se mette en conformité avec les règlements environnementaux. Mais dans l’attente de cette décision cruciale, l’avis de la MRAE n’est pas suspensif. Les travaux peuvent donc commencer.
Passage en force
L’avenir étant plus que jamais incertain, le maître d’ouvrage a décidé de jouer son va-tout : mi-octobre, le président du conseil départemental de l’Hérault, Kléber Mesquida, a annoncé que le chantier de l’échangeur de Saint-Gély-du-Fesc, première étape du tronçon, démarrerait au début du mois de novembre.
C’est chose faite : il y a quelques jours, les engins de terrassement ont commencé à aménager ce nœud routier de 9 millions d’euros.
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Dans une lettre adressée au préfet de l’Hérault, le collectif SOS Oulala dénonce le passage en force du département, qui revient selon lui à violer « l’état de droit », mais « fait [aussi] peser sur le contribuable un énorme risque financier », si jamais le projet est annulé par le Conseil d’État.
Enfin, le 26 octobre, les forces de l’ordre sont intervenues sur la ZAD de Grabels, non loin du chantier, pour détruire les barricades et les petits baraquements qui y avaient été érigés en juin. Réaction ou intimidation, cet épisode n’a été suivi que de trois interpellations, la gendarmerie ne pouvant expulser les occupants en l’absence de plainte de la part du propriétaire du terrain.
Pour l’heure, la cause des opposants au LIEN est suspendue à la décision imminente du Conseil d’État, qui devrait sauver ou donner le coup de grâce à ces 80 hectares jusqu’ici préservés. De leur côté, les occupant.e.s de la ZAD organisent un grand rassemblement ce samedi 6 novembre à 11h devant la Préfecture de Montpellier pour demander l’arrêt des travaux.