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Montagne d’Or : la défense faiblarde de l’Etat français ne convainc pas la justice

Lors de l’audience qui s’est tenue le 3 décembre dernier, le rapporteur public a relevé la « faiblesse » et l’absence de « pertinence » des arguments de l’État pour justifier son refus, un « point difficile du dossier » qui n’était « pas à l’avantage de l’administration ». Comme l’explique le jugement du tribunal, le ministère des finances n’a pas même mandaté de représentant à l’audience et n’a « produit aucune pièce justificative pour appuyer ses allégations au cours de l’instruction ».

Le tribunal administratif de Cayenne, en Guyane, donne six mois à l’État pour prolonger pendant vingt-cinq ans les deux concessions de la Compagnie Montagne d’Or, rouvrant la voie au plus grand projet d’extraction d’or de France.

Mauvaise nouvelle en Guyane, à la veille de Noël. Jeudi 24 décembre, le tribunal administratif de Cayenne a ordonné à l’État de prolonger sur une durée de vingt-cinq ans les concessions minières de la Compagnie Montagne d’Or, « dans un délai de six mois ». C’est un revers immense pour la centaine d’associations et les milliers de citoyens qui luttent depuis des années contre les deux plus grands projets d’extraction d’or de France.

Les deux concessions mentionnées par le jugement se trouvent à la frontière nord-ouest de la Guyane, dans le territoire des communes de Saint-Laurent du Maroni et Apatou, entre deux réserves biologiques intégrales (RBI Lucifer et Dékou-Dékou), à très haute valeur de biodiversité. Il s’agit de Montagne d’or (15 km2) et d’Élysée (25 km2), des gisements d’or primaire, c’est-à-dire situés dans la roche et devant être exploités à ciel ouvert. Sur une piste historique, le projet remonte au début des années 2010.

Le concessionnaire, la Compagnie Montagne d’or (CMO), est une filiale des sociétés canadienne Colombus Gold (exploitation) et russe Nordgold (extraction), propriété du milliardaire Alexeï Mordachov. La CMO envisage d’extraire sur les deux sites, en douze ans, une somme de 85 tonnes d’or, à l’aide du procédé de cyanuration en circuit fermé.

Les porteurs du projet ne cessent de marteler l’argument de l’emploi: dans une région où le chômage est endémique (il touche 30 % des jeunes), l’ouverture de telles mines pourrait selon eux nourrir 750 emplois directs et 3 000 indirects.

L’industrie minière est la plus polluante du monde

Soutenu par le patronat local, des élus et dans une certaine mesure la préfecture elle-même, le projet Montagne d’or suscite depuis ses débuts une opposition catégorique de la part des associations environnementales et des organisations représentatives des populations autochtones.

De fait, comme le rappellent les 1 700 scientifiques signataires d’une tribune publiée par Le Monde le 5 octobre 2018, sa mise en œuvre serait une véritable catastrophe écologique : elle signerait la destruction de 1 500 hectares de forêt amazonienne primaire recelant 1 700 espèces sauvages protégées, élèverait l’empreinte carbone de la région d’au moins 50 %, scinderait définitivement les deux réserves biologiques et porterait atteinte à un sanctuaire des peuples amérindiens.  

Mais surtout, l’exploitation de ces gisements aurifères entraînera, conséquence la plus prévisible, des pollutions irrémédiables et de très grande envergure.

L’extraction d’une seule tonne d’or exige cent cinquante tonnes de cyanure, une composé chimique dont quelques millilitres suffisent à faire passer un être humain au royaume des morts. La seule présence de ce poison dans une industrie au contact direct de l’environnement devrait être rédhibitoire.

Par ailleurs, les deux concessions consommeront des centaines de milliers de litres d’eau par heure et nécessiteront de générer et stocker 350 millions de tonnes de déchets toxiques (soit 20 tonnes pour une bague en or), retenus par une digue de 57 mètres de haut et 1,9 kilomètre de long qui pourrait un jour céder, comme ce fut le cas au Brésil.

En 2015, la rupture du barrage de Fundao, dans l’État du Minas Gerais, a libéré 60 millions de mètres cubes de déchets d’une mine de fer, causant des dégâts irréversibles sur le fleuve Rio Doce et les terres adjacentes.

This file photo taken on May 3, 2017 shows an aerial view of the future « Montagne d’Or » drilling site of the gold mining project of international company Nordgold, 180 kilometres west of the capital, Cayenne, and 80 kilometres south of the department capital, Saint-Laurent-du-Maroni. – French government rejected on May 23, 2019 the controversial industrial gold mining project « Montagne D’Or » (Gold Mountain) in Guiana, a point of tension between supporters of economic development and environmental associations that remain sceptical. At the end of the first Council for Environmental Protection (Conseil de Defense Ecologique) and three days prior to the european elections, French Prime minister and French Minister for the Ecological and Inclusive Transition confirmed the abandonment of the project, deeming it « incompatible with the requirements of environmental protection « . (Photo by jody amiet / AFP)

Le jeu de dupes du gouvernement

Sommé par le collectif citoyen « Or de question », que soutiennent cent dix ONG, de mettre fin aux exploitations aurifères en Guyane, le gouvernement ne cesse de louvoyer depuis deux ans. Le 21 janvier 2019, sous pression médiatique, le ministre des finances, Bruno Le Maire, en charge des mines, effectue un « rejet implicite » des deux concessions, en laissant tout simplement sans réponse la demande de prolongation déposée fin 2016 par la CMO. Un premier signal est alors donné.

Le 6 mai de la même année, le président de la République reçoit une délégation de scientifiques de l’IPBES, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité, et déclare à l’issue de la rencontre que « de manière très claire aujourd’hui, l’état de l’art du projet [Montagne d’or] ne le rend pas compatible avec une ambition écologique et en matière de biodiversité ».

Quelques semaines plus tard, le 23 mai, le tout nouveau Conseil de défense écologique, garant de la cohérence des politiques de l’État, se réunit pour la première fois à l’Élysée, qui annonce en grande pompe « l’annulation du projet minier Montagne d’or en Guyane, jugé incompatible avec nos exigences environnementales ». Plusieurs ministres s’en félicitent. Cette fois-ci, le combat semble gagné.

C’était sans compter l’esprit retors de ceux qui nous gouvernent et savent tirer les ficelles juridiques en temps opportun. Car à peine six mois après cette décision, voilà que le tribunal administratif de Cayenne, saisi comme il se devait par la CMO, annule le rejet implicite du ministère des finances, rouvrant la voie au projet. Tous les éléments indiquent que le gouvernement avait anticipé l’issue du jugement.

Lors de l’audience qui s’est tenue le 3 décembre dernier, le rapporteur public a relevé la « faiblesse » et l’absence de « pertinence » des arguments de l’État pour justifier son refus, un « point difficile du dossier » qui n’était « pas à l’avantage de l’administration ». Comme l’explique le jugement du tribunal, le ministère des finances n’a pas même mandaté de représentant à l’audience et n’a « produit aucune pièce justificative pour appuyer ses allégations au cours de l’instruction ».

La préfecture de Cayenne, quant à elle, « n’a pas [non plus] été en mesure de fournir une quelconque défense » et n’a fait aucune observation, selon les mots de journal Guyaweb, qui était sur place. En somme, d’une évidente passivité, l’exécutif a laissé l’instance judiciaire annuler sa décision.

Pendant ce temps, le cours mondial de l’or a culminé et le consortium russo-canadien eu toute latitude pour élaborer un nouveau projet. En se fondant sur de nouvelles études d’ingénierie et d’environnement, il affirme désormais être en mesure de développer de manière plus sûre ses mines, en accord avec les exigences du législateur, qui procède actuellement à une réforme attendue du code minier. Et si l’autorisation étatique ne vient jamais, la CMO pourra toujours, avec ce nouveau projet, exiger de grasses indemnités…

L’État français a maintenant six mois pour prolonger les deux concessions ou faire appel. Le gouvernement n’a pas encore réagi, ce 30 décembre, à la décision du tribunal administratif de Cayenne.

Si ce projet minier venait à entrer en activité, il marquerait un précédent terrible pour la Guyane, assaillie depuis longtemps par les compagnies désireuses d’y extraire de l’or : la France va-t-elle ouvrir la boîte de Pandore ? Rappelons que la Convention citoyenne pour le climat a voté à 94,4 % en faveur de l’adoption d’un moratoire sur l’exploitation industrielle minière en Guyane : qu’attendons-nous pour l’appliquer ?

Augustin Langlade

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