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Mettre le RN au pouvoir, Macron avait tout prévu

« Quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet… mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. » Albert Camus

Avait-il tout prévu ? A force de désigner le Rassemblement National comme le seul camp politique d’opposition, Emmanuel Macron a énormément contribué à la banalisation de l’extrême-droite en France. Après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, des experts politiques dénoncent une stratégie savamment calculée pour ses trois dernières années au pouvoir, décryptage.

Dissolution de l’Assemblée nationale, 20 ans après

Le Rassemblement national est arrivé en tête en France aux Européennes avec 31,5 % des voix. Il devient ainsi le parti avec le plus de sièges au Parlement européen, tous pays confondus. Moins d’un quart d’heure après cette victoire écrasante de l’extrême-droite, le président Emmanuel Macron a annoncé ce 9 juin la dissolution de l’Assemblée nationale.

Ce dimanche soir, il n’y a donc plus de député·es en France et le palais Bourbon suspend ses activités jusqu’au 8 juillet. Cela termine les discussions sur les lois en cours comme celle sur la fin de vie ou la cruciale Loi d’Orientation Agricole, ajourne la réforme de l’audiovisuel public, etc. De nouvelles élections législatives auront lieu les dimanches 30 juin et 7 juillet, laissant à peine 20 jours, le strict minimum légal requis, aux partis politiques pour s’organiser.

C’est la sixième dissolution de l’Assemblée nationale depuis le début de la Vème République. La dernière remonte 20 ans en arrière, lorsque Jacques Chirac a cédé aux revendications du peuple français dans la rue. En 1997, cette dissolution a abouti à une cohabitation entre Lionel Jospin, qui avait réussi à unir les partis de gauches, et la majorité présidentielle de droite. La gauche plurielle avait alors obtenu 312 sièges de députés contre 251 pour le camp de l’exécutif.

20 ans plus tard, ce n’est pas la colère du peuple contre la réforme des retraites, ayant pourtant mis des millions de français sur le pavé, mais le résultat des élections européennes qui a décidé le président à rebattre les cartes législatives.

A première vue, Emmanuel Macron aurait répondu à la provocation du Rassemblement National qui, par la figure de Jordan Bardella suite à sa victoire aux Européennes, a demandé la dissolution de l’Assemblée. De là à dire que le Rassemblement National donne désormais le « la » de l’agenda politique, alors que de nombreux partis de droite renchérissent sur sa ligne xénophobe comme le projet de loi Asile et Immigration l’a montré, il n’y a qu’un pas.

Marine Le Pen et Jordan Bardella ont d’ailleurs accueilli la nouvelle de la dissolution avec un plaisir évident, en se déclarant « prêts » depuis longtemps à cette nouvelle bataille législative. Les listes de leurs députés et suppléants sont d’ailleurs déjà rédigées, leur donnant une belle longueur d’avance sur les autres partis politiques.

L’objectif du RN : obtenir une majorité d’élus à l’Assemblée nationale afin que son président, Jordan Bardella, soit nommé Premier ministre à l’issue des législatives.

Une dissolution prévue dans l’ombre

Si l’annonce a été perçue comme un coup d’éclat pour la majorité des français.es, de nombreux acteurs de la vie publique l’avait pressentie. Depuis quelques jours, face à l’annonce de la victoire du RN dans les sondages, plusieurs hypothèses alimentaient les pronostics : remaniement gouvernemental, référendum, accord avec la droite d’opposition, et même dissolution.

Seule différence : la plupart estimait que le Président attendrait tout de même la fin des Jeux Olympiques, voire de l’été, afin de ne pas laisser au RN la possibilité de profiter de cette victoire récente pour agrandir son nombre de soutiens, et encore plus son nombre d’aspirant.e.s élu.e.s.

Les politiques faisant avant tout carrière, c’était notamment l’ouverture du RN aux jeunes qui briguaient des postes-clés, à l’image de Jordan Bardella encore aujourd’hui seulement âgé de 28 ans, qui avait attiré de nouveaux membres au RN avant la présidentielle de 2022.

En réalité, la dissolution de l’Assemblée nationale était en gestation depuis quelques mois, ainsi que le révèle une enquête de LeMonde. Une petite cellule de moins de dix personnes, principalement des conseillers d’Emmanuel Macron, planchait sur le sujet dans l’ombre.

Et pour cause, voilà deux ans que le président de la République doit souvent imposer ses réformes à coups de 49.3 au Palais-Bourbon, en l’absence de majorité absolue (239 sièges pour le camp macroniste sur 577 députés). Ses opposants prévoyaient d’ailleurs déjà d’opposer une mention de censure au prochain vote du budget de la France à l’automne. Motion qui aurait été même lancée par le groupe politique autour duquel tout se cristallise : Les Républicains.

En effet, les 61 députés de la droite LR sont devenus la variable d’ajustement dans les votes faits à l’Assemblée, pesant par leur décision en faveur ou non des textes. Ce 3 juin, c’est leur absence de soutien aux motions de censure respectivement déposées par la gauche et le RN qui a validé la sulfureuse politique budgétaire du gouvernement. Mais le groupe LR s’est déclaré prêt à déposer sa propre motion de censure cet automne, lors de la présentation du budget 2025, s’il n’était pas écouté.

« Il est hors de question d’augmenter les impôts et de raboter les retraites, avait ainsi prévenu la semaine dernière le président du groupe LR, Olivier Marleix, lors de son passage à la tribune de l’Assemblée nationale. Une motion de censure de LR ne serait pas un pétard mouillé. Elle ouvrirait une grave crise politique ».

Une stratégie politique hasardeuse

Ce serait notamment pour forcer les Républicains à conclure un accord avec son camp pour empêcher le RN d’accéder au pouvoir que Macron aurait précipité cette dissolution. Mais, une autre théorie circule au sein du pouvoir, que le média Politis révélait il y a plus d’un an déjà.

« Ce qui nous arrangerait, c’est une dissolution et un score suffisamment haut pour le RN, pour qu’on puisse mettre Le Pen à Matignon. Qu’on montre qu’elle est incompétente, comme ça on la décrédibilise pour 2027. Et elle devient inopérante. Donc plus de problème. » confiait anonymement un conseiller national du parti présidentiel

Une idée tellement folle qu’elle paraîtrait sortie du tout droit du Gorafi, et pourtant. Cette théorie est reconnue comme hautement probable par le RN lui-même, ainsi que l’a lâché un cadre du parti lors des résultats des élections européennes devant un de nos confrères de LeMonde :

« C’est chaud, c’est très, très chaud. Il veut montrer qu’on ne peut pas gérer, pour nous couper les jambes avant 2027. »

Même la presse internationale, comme TheTimes, dénonce cette stratégie selon laquelle « Macron fait peut-être le pari que le RN, en remportant les élections et en dirigeant le pays en temps de crise, verra sa popularité chuter avant 2027, lorsque la France devra choisir son nouveau président ».

Or, le coup politique est plus qu’hasardeux, au moment où des pans entiers de la population française sont prêts, pour la première fois de son Histoire, à voter RN. Les enquêtes d’opinion ont notamment montré la progression de l’extrême-droite au sein de catégories de la population jusque-là plutôt fermées à l’héritage pétainiste, poujadiste et néo-nazi : les plus âgés, certains dans la fonction publique et d’autres parmi les cadres. Une tendance qui s’est traduite dans les urnes avec l’arrivée en tête du RN dans toutes les régions, y compris en Bretagne et en Ile-de-France, deux territoires normalement opposés à l’extrême droite.

A l’heure où il n’y a plus aucun cordon sanitaire, la faute entre autres aux médias mainstream déroulant le tapis rouge aux idées d’extrême-droite et participant à leur banalisation, la perspective que la France ait un Premier ministre d’extrême-droite à Matignon cet été est désormais réelle.

Reste à savoir si la gauche parviendra à s’unir pour lutter contre ce raz-de-marée électoral brun, et si les abstentionnistes, dégoûtés par les scandales politiques récurrents dans le pays, se rendront le 30 juin aux urnes pour faire la différence. Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles.

Laurie Debove

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