Samedi 13 février, près de 600 personnes ont défilé à Corcoué sur Logne en Loire-Atlantique pour protester contre le projet d’implantation du plus gros méthaniseur de France. Quatre fois plus grand que ceux actuellement en service dans le pays, il artificialiserait 7 hectares de terres agricoles et aurait les dimensions d’un immeuble de 5 étages. Ce « méthaniseur XXL » devrait entrer en service en 2023. La mobilisation de samedi a été une belle réussite pour le Collectif vigilance méthanisation Corcoué (CVMC) dont le combat dépasse maintenant cet unique projet pour dénoncer les dérives de la méthanisation industrielle dans son ensemble. Accaparement de terres agricoles, pollution de l’eau, de l’air et des sols, risques d’accidents et menace sanitaire, intensification de l’élevage… Pour ces citoyens, peu importe l’endroit, la méthanisation industrielle est un danger pour nos systèmes alimentaires et agricoles.
Un méthaniseur XXL
Le projet est à l’image de notre société thermo-industrielle, démesuré. Au Sud de Nantes, dans la commune de Corcoué-sur-Logne de 2800 habitants, la coopérative d’Herbauges et le groupe danois Nature Energy veulent construire un méthaniseur gigantesque aux dimensions hors-norme.
Sur 10 hectares, le regroupement d’entreprises Méta-Herbauges projette de construire huit cuves de 22 mètres de haut et 3 cheminées de 50 mètres pour transformer chaque année 680.000 tonnes de lisier et de fumier en « biogaz ». D’un coût de 70 millions d’euros, l’enquête publique pourrait démarrer à l’automne 2021 dès le feu vert du préfet. La mise en service de l’usine est envisagée en juillet 2023.
Dès qu’ils ont eu vent du projet en décembre 1029, les riverains se sont constitués en collectif pour dénoncer les dangers posés par ce « méthaniseur XXL ». Et la mobilisation grandit. Samedi, malgré une température à 0°C, ils étaient près de 600 à défiler pour affirmer leur opposition aux projets de méthanisation industrielle. Quasiment le double de la première manifestation.
« La première fois qu’on a entendu parler du méthaniseur, on était 10 à se retrouver en se demandant ce qu’est la méthanisation. On a fait des recherches et de 10, on est passés à une centaine de personnes pour alerter les gens. On a été rejoint par de nombreuses associations environnementales et paysannes également. Plus on creuse, et plus on trouve des problèmes à la méthanisation industrielle. Si la méthanisation est faite à petite échelle et bien gérée, il y a beaucoup moins de risques. » précise Mauricette Coueron, membre du Collectif vigilance méthanisation Corcoué (CVMC), pour La Relève et La Peste
Couvre-feu oblige, la manifestation a dû se terminer en fin de journée. Mais une ambiance conviviale était au rendez-vous et de nouveaux signataires se se sont joint à leur pétition.
Quelques tracteurs ont même participé au défilé. Pour ces agriculteurs, ce projet de méthanisation industrielle est radicalement opposé aux mesures à mettre en œuvre pour assurer la résilience écologique et alimentaire des territoires.
Une vision de l’agriculture à contre-courant des enjeux écologiques et sanitaires
Selon le collectif opposé au projet, cette industrialisation de leur territoire n’est rien de moins que le reflet de « l’escroquerie des fausses énergies vertes ». Risques d’accidents sur les routes et de leur dégradation à cause de l’augmentation du trafic routier (170 passages quotidien à l’entrée du site), pollution des sols, de l’air et de l’eau alors que 90% des cours d’eau sont déjà contaminés en Loire Atlantique, nuisances sonores et olfactives… La liste de leurs griefs est longue !
« On a peur des pollutions. Au mois d’août, la fuite d’une cuve de méthaniseur a privé 180 000 personnes d’eau potable ! Ce projet de méthaniseur XXL est symptomatique de la folle course en avant de notre consommation énergétique, or l’agriculture doit d’abord nourrir les humains et les bêtes avant de devenir productrice d’énergie ! » détaille Mauricette Coueron, membre du Collectif vigilance méthanisation Corcoué (CVMC), pour La Relève et La Peste
Si, dans une interview accordée à France3, Jean-Michel Bréchet, directeur de la Coopérative d’Herbauges, justifie la taille du projet par des raisons de coût et de rentabilité, les menaces posées par ce gigantisme entraînent un vrai débat de société.
En effet, l’usine aura la capacité de traiter près de 700.000 tonnes de déjections animales et de cultures intermédiaires, approvisionné par plus de 200 fermes d’élevage intensif. Pour récupérer le lisier, les animaux doivent en effet être enfermés en permanence.
La Confédération Paysanne alerte sur les conséquences de ces projets de méthanisation agricole qui voient le jour partout en France :
- L’accaparement des terres agricoles et hausse du prix du foncier.
- L’utilisation incontrôlée de cultures végétales pour nourrir le méthaniseur, et tensions sur les ressources fourragères.
- La dégradation de la qualité de l’eau et disparition des haies, conséquence directe du recul de l’élevage et des systèmes pâturants qui sont associés.
Pour Marie Savoy, porte-parole de la confédération paysanne de Loire-Atlantique, ce débat peut être résumé en une simple question : « Est-ce qu’on veut des vaches qui restent en stabulation pour produire le lisier qui va nourrir le méthaniseur ou est-ce qu’on veut des vaches qui sortent et pâturent ? »
En Europe, l’Allemagne, qui est pionnière dans ce domaine, a dû ralentir brusquement le développement des méthaniseurs industriels en raison de la hausse du prix des terres agricoles et des cultures fourragères en lien avec leur développement. Certains paysans n’avaient même plus assez de terres pour nourrir leurs animaux.
Les déchets de la méthanisation, appelés digestats, posent également des problèmes. Rendus aux éleveurs qui peuvent l’utiliser comme engrais, la faible teneur en carbone des digestats les rendent inefficaces selon l’association GREFFE (Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable).
Surtout, les digestats peuvent contribuer à la propagation de pathogènes et de bactéries antiobiorésistantes, ainsi que le précise l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans un document de travail.
Les digestats peuvent donc non seulement contaminer l’eau, mais entraînent aussi des risques sanitaires importants alors que nous traversons une pandémie qui nous invite à désintensifier les élevages.
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« On demande avant tout des études d’impact sur la terre, l’air et l’eau, mais aussi sur la santé ! On aimerait qu’avant de se lancer tête baissée dans ce genre d’entreprises on en connaisse les risques, aussi bien pour la population locale que pour la biodiversité. Ce qu’on demande depuis le départ, c’est des rencontres avec les porteurs de projets. La seule réunion qu’il y a eu a été à notre demande, mais pour l’instant ils ne veulent pas faire de débat public. Le projet est prévu pour 2023 est les seules réponses qu’on obtient se font via journaux interposés, même le maire n’a pas de contact. » raconte Mauricette Coueron, membre du Collectif vigilance méthanisation Corcoué (CVMC), pour La Relève et La Peste
De nombreuses questions restent ainsi en suspens, comme l’approvisionnement en bois pour faire chauffer les trois cheminées de 50 mètres de haut, et si le transport pour ces combustibles a bien été pris en compte dans le trafic routier.
Preuve que les élus prennent au sérieux les inquiétudes de la population, ceux de la région de Nozay (Loire-Atlantique) ont voté l’abandon d’un plan de méthanisation industrielle à Puceul, faute de garanties suffisantes apportées par les industriels, un projet jumeau à celui de Corcoué sur Logne. Certains maires locaux et élus régionaux étaient d’ailleurs présents samedi en soutien au collectif.
« On a des petits enfants, alors l’environnement ça nous touche. On boit l’eau de notre puits mais pour combien de temps s’il est contaminé ? On a la chance d’habiter au vert, on mange les produits de notre potager et on complète avec des circuits courts. Une vraie vie de village. Les entreprises font leur business dans leur coin et on se retrouve avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ce qui nous a alerté, c’est la proximité et les risques, mais aujourd’hui on se bat quel que soit l’endroit où ça va être car c’est devenu un enjeu national. » conclut Mauricette d’un ton déterminé
Pour soutenir le collectif s’opposant au projet de méthaniseur XXL de Corcoué sur Logne et suivre l’actu des mobilisations, c’est par ici