Sur les cimes enneigées des Andes, dans les arènes de catch bondées d’El Alto et les rues pentues de La Paz, les Cholitas boliviennes d’origine autochtone, longtemps marginalisées et stigmatisées, sont désormais devenues les porte-drapeaux de l'émancipation féminine en Bolivie. Reconnaissables à leurs jupes bouffantes, châles colorés et chapeaux melon, ces symboles de lutte et revendication incarnent une résilience et une détermination qui transcendent les siècles de discrimination à leur égard.
Le combat de réappropriation de leur place dans la société
Soumission et pauvreté ont longtemps été associées aux Cholitas, descendantes des femmes indigènes aymaras et quechuas, réduites à travailler sur les marchés ou à s’occuper des tâches ménagères et domestiques. Victimes de discriminations depuis l’époque de la conquête espagnole, elles ont été exclues de la société bolivienne pendant des décennies. Mais suite à l’élection du président Evo Morales en 2006, qui œuvra dès son arrivée au pouvoir à la revalorisation de leur identité et leur culture, elles ont réussi à se faire une place en tant que femmes indépendantes et à investir les lieux publics, les médias, le monde des affaires et la sphère politique.
Puissantes figures de la lutte contre les stéréotypes de genre et pour l’égalité, les Cholitas brisent les conventions sociales et redéfinissent le rôle des femmes à travers trois disciplines sportives : l’alpinisme, le catch et le skateboard, toujours vêtues de leurs costumes traditionnels volumineux.
Emblème de la lutte féminine pour l’égalité
Dans l’arène d’El Alto, une ville perchée à plus de 4 000 mètres d’altitude, les « Cholitas Luchadoras » ont investi les rings depuis les années 2000, pour se livrer à des combats de « Lucha Libre » et affronter des adversaires masculins et féminins. Au-delà de l’acte physique de ce sport de combat traditionnellement pratiqué par les hommes, c’est aussi un acte de justice, une déclaration de résistance face à un système patriarcal profondément ancré et un combat pour s’émanciper de la violence conjugale. En effet, d’après les rapports des Nations unies et l’Organisation Panaméricaine de la Santé de 2013, qui qualifient la Bolivie comme le pire pays d’Amérique Latine à ce sujet, environ 7 femmes sur 10 en sont victimes.
Comme l’explique Lissel Quiroz (docteure en histoire et professeure en études latino-américaines à CY Cergy Paris Université) dans le magazine canadien L’Apostrophe :
« Les Cholas ne sont pas reconnues, à la base, comme étant de ‘ vraies femmes ‘. La société voudrait que les femmes soient délicates, douces et féminines, alors que les Cholas sont beaucoup plus brusques. Les Cholitas vont donc reprendre ce terme, utilisé par les autres de façon péjorative, et se l’approprier. Elles vont se servir du fait qu’elles soient plus rudes, plus fortes, pour faire des choses dites ‘plus masculines’, comme faire de la lutte, jouer au foot ou boire comme un homme ».
L’ascension contre le machisme
Les « Cholitas Escaladoras », un groupe de femmes alpinistes, ont choisi de lutter contre le machisme en gravissant les montagnes légendaires de la cordillère des Andes. C’est en 2015 que l’aventure de ces femmes, âgées de 24 à 52 ans cette année-là, débute avec l’envie d’accomplir des exploits et de dépasser les limites imposées par la société. Elles ont, à ce jour, grimpé des sommets par douzaine, en Bolivie, au Pérou et en Argentique, dont le plus haut d’Amérique du Sud « Aconcagua » en 2019.
Devenues des figures emblématiques de l’alpinisme en Bolivie et le visage d’une révolution silencieuse mais profonde, ces femmes autochtones continuent de s’élever au-dessus des nuages et rêvent maintenant de monter l’Everest à 8848 mètres d’altitude. Leur notoriété joue un rôle de sensibilisation à la préservation de l’environnement et à la promotion des droits des femmes.
Une révolution sur roulettes
Plus récemment, leurs actes de revendication passent également par la culture urbaine. En roulant sur les trottoirs de La Paz et dans le plus haut skatepark du monde, niché à 3 500 mètres d’altitude, les Cholitas Skateuses s’approprient l’espace public. Baptisé « Warmis sobre ruedas » – « femmes sur roues » en espagnol et dans la langue aymara – ce collectif, sur le point de fêter son troisième anniversaire, a pour objectif d’encourager un nombre croissant de skateuses, notamment les plus jeunes et celles qui n’osent pas.
Un mouvement qui inspire au-delà des frontières
De nombreuses associations, initiatives, évènements et ateliers ont vu le jour pour encourager les Cholitas à s’affirmer et sensibiliser le public à la nécessité de soutenir les femmes indigènes.
Les Cholitas, qui ont donné naissance à un mouvement social et culturel en Bolivie, inspirent désormais des milliers de femmes bien au-delà des frontières boliviennes et deviennent des modèles pour les jeunes filles des communautés indigènes. Là où le plaisir partagé, la cohésion et l’engagement social priment sur la performance individuelle, elles prouvent que émancipation ne rime pas avec abandon des traditions.
En pratiquant des sports encore largement masculin, ces femmes autochtones brisent les stéréotypes et surmonte l’adversité. En attirant l’attention des médias internationaux, en étant visibles aux yeux du monde à travers des vidéos publiées sur les réseaux sociaux ou des documentaires qui leurs sont dédiés, elles tentent de montrer un nouveau chemin pour les générations à venir.