La nouvelle a fait le tour du monde : des loups géants préhistoriques auraient été recréés par des scientifiques. Un exemple de « dé-extinction », une pratique très controversée.
« Ce moment marque non seulement une étape importante pour notre entreprise, mais également un bond en avant pour la science, la conservation et l’humanité », s’est réjoui Colossal Biosciences le 7 avril sur X.
Depuis quelques années, les projets visant à faire renaître des espèces disparues se multiplient. Ils sont rendus possibles grâce aux avancées récentes en génétique et biologie synthétique.
Des tentatives de « dé-extinction »
Colossal Biosciences est à l’origine de divers projets de « dé-extinction » : des tentatives de re-création d’espèces disparues. Ils sont rendus possibles grâce aux avancées récentes en génétique et biologie synthétique. Le plus médiatisé d’entre-deux était jusqu’à présent celui visant à recréer des mammouths.
Des chercheurs de Colossal Biosciences veulent en effet modifier génétiquement des cellules d’éléphant d’Asie (Elephas maximus) après avoir séquencer le génome de mammouth laineux (Mammuthus primigenius) pour donner aux éléphants des caractéristiques et capacités physiques de ces derniers : notamment la résistance au froid.
Ils espèrent ensuite « implanter l’embryon dans les mères porteuses d’éléphants d’Asie ou d’Afrique. »
L’objectif affiché est de pouvoir réintroduire ces animaux génétiquement modifiés en Sibérie afin de « contribuer à restaurer un monde déséquilibré ». Les Mammouths laineux jouaient en effet un rôle clé dans le fonctionnement de l’écosystème appelé « steppes à Mammouth » : caractéristique de la dernière période glaciaire.
« Si l’écosystème des steppes à mammouths pouvait être réhabilité, cela pourrait contribuer à inverser le réchauffement climatique rapide et, plus important encore, à protéger le pergélisol arctique, l’un des plus grands réservoirs de carbone au monde » justifie Colossal Biosciences sur son site internet.
Pour l’heure l’entreprise Colossal a seulement réussi à créer une souris laineuse, née en octobre 2024 – Crédit : Colossal Biosciences
Des loups OGM
Depuis quelques jours, Colossal Biosciences affiche aussi sur son site internet et dans le Time magazine des images de trois jeunes animaux au pelage blanc et épais, née en octobre et en janvier dernier.
L’entreprise prétend avoir réussi à recréer des représentants d’une espèce éteinte : trois « loups sinistres » (Aenocyon dirus). Cette espèce de canidés, plus massifs que les loups gris actuels, a vécu en Amérique et en Asie avant de disparaître, il y a plus de 10 000 ans.
Ces derniers sont issus d’une manipulation génétique. Les scientifiques de l’entreprise ont extrait et analysé de l’ADN d’une dent de loup sinistre vieille de 13 000 ans ainsi que d’un fragment de crâne daté de 72 000 ans.
Ils ont ensuite modifié des gènes de cellules de loup gris – une vingtaine seulement sur les près de 20 000 des canidés -, pour que les futurs loups puissent posséder certains attributs semblables à ceux des loups sinistres : taille imposante, fourrure blanche, etc. Puis, ils ont transféré ce matériel génétique dans un ovule de chienne domestique. Une fois des embryons obtenus, ils ont été inséminés dans l’utérus d’autres chiennes.
En somme : les trois canidés sont des loups gris (canis lupus) génétiquement modifiés.
Ils possèdent quelques caractéristiques les rapprochant physiquement des loups sinistres, mais sont loin d’être des représentants de cette espèce. D’autant plus que les loups sinistres sont en réalité très éloignés du loup gris : leur lignée s’est séparée des canidés actuels, il y a environ 5,7 millions d’années.
De quoi nuancer les déclarations plus qu’enthousiastes de l’entreprise de biogénétique : « Après plus de 10 000 ans d’absence, notre équipe est fière de redonner au loup géant, la place qui lui revient dans l’écosystème » pérore-t-elle sur son site internet.
« Il faut appeler un chat un chat. Et là, ce sont des OGM de loup gris », réplique Nadir Alvarez, professeur de l’Université de Genève sur France Info.
Jouer aux apprentis sorciers avec le vivant ?
Les membres de cette entreprise vantent les bienfaits – notamment climatiques – que représenterait la re-création de simili mammouths et de loups géants, ces projets de dé-extinctions restent largement controversés. De très nombreux scientifiques dénoncent l’irréalisme de ces projets et une fuite en avant techno-solutionniste.
Ils mettent ainsi en garde contre le danger que représente la présentation des technologies génomiques comme une solution face à l’effondrement de la biodiversité. Colossal Biosciences s’appuie en effet largement sur le risque imminent d’extinction de masse pour justifier ses pratiques :
« Le problème est plus qu’énorme, il est humain. Et la solution l’est aussi : la science de la dé-extinction » affirme l’entreprise.
Or, pour une large majorité des scientifiques, protéger le vivant en recréant des espèces est une chimère qui détourne l’attention, l’énergie et les moyens financiers des actions de conservation des écosystèmes et des espèces encore existantes.
Évidemment, se posent également des questions éthiques : est-il moralement acceptable de jouer aux apprentis sorciers avec le vivant et des espèces disparues ?