Considéré comme le premier planteur d’arbres en France, le Geai des chênes joue un rôle de « jardinier-forestier » à fort impact dans le retour spontané du sauvage. En dissimulant des glands dans le sol pour ses réserves hivernales, cet oiseau favorise la pousse de nouveaux chênes et participe ainsi à la régénération naturelle de la forêt. En Isère, des tables à fruits ont été installées pour contribuer naturellement à la migration du chêne, avec l’aide de cet ami des arbres. Un exemple qui illustre une fois de plus l'efficacité de travailler en harmonie avec la nature, pour contrer durablement la dégradation environnementale.
Le geai des chênes, pépiniériste de la forêt
Très répandu en France, notamment en milieu forestier et arboré, le Geai des chênes est un oiseau sédentaire appartenant à la famille des corvidés. Considéré comme un allié des forêts, ce passereau omnivore reconnaissable grâce son plumage aux couleurs vives joue un rôle essentiel, notamment pour les chênes fragilisés par le changement climatique.
« Selon les projections, le climat de la région pourrait se déplacer de 600 à 800 mètres en altitude d’ici la fin du siècle » alerte Henri Moulin, animateur sylvicole à l’agence ONF de l’Isère, pour La Relève et La Peste.
Depuis plusieurs années, l’Office National des Forêts (ONF) observe comment le chêne s’adapte face à cette menace climatique. La montée des températures et l’irrégularité des précipitations, qui menacent l’équilibre des écosystèmes, entraînent une migration nécessaire de certaines espèces. Mais le chêne ne parvient pas à remonter aussi rapidement en altitude à cause de la lourdeur de ses graines.
« Son pouvoir de migration en distance est assez long, contrairement aux graines légères du bouleau dispersées par le vent, qui lui permettent de progresser vingt fois plus rapidement » continue Henri pour La Relève et La Peste.
D’où le rôle-clé du Geai des chênes pendant la période automnale, qui cache dans le sol des provisions de glands, jusqu’à 5000 par saison, afin d’assurer ses réserves de nourriture pour l’hiver.
Capable de transporter jusqu’à six glands dans son jabot, il ne sélectionne que les glands en bon état, favorables à la pousse de nouveaux arbres, qu’il disperse dans un périmètre pouvant atteindre cinq kilomètres autour de son nid ou de sa zone d’alimentation.
Environ la moitié des glands dissimulés dans des zones propices à la germination sont oubliés, provoquant ainsi la naissance de nouveaux plants de chênes au printemps. Une action de semis involontaire qui participe naturellement au reboisement des forêts.
Déjà des alliés dans d’autres pays européens
Pourtant, en France, le Geai des chênes est considéré comme une espèce nuisible et n’est pas protégé, ce qui autorise sa chasse. Son appétit pour les fruits lui vaut même d’être classé parmi les ESOD (Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts) dans sept départements. Bien heureusement, cette classification ne menace pas sa survie. Selon une étude de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) BirdLife, la population du Geai des chênes a augmenté de plus de 23 % entre 2001 et 2019.
En Angleterre, il bénéficie d’une protection légale. Une étude scientifique menée en 2021 a mis en lumière son action de planteur d’arbres dans deux anciennes parcelles agricoles du Cambridgeshire – “Réserves de Vie sauvage” -, laissées en libre évolution entre 1961 et 1996. Ces zones ont vu la forêt se reconstituer naturellement, sans intervention humaine.
Du côté du Portugal, certaines organisations environnementales considèrent le Geai des chênes comme un allié fondamental au reboisement naturel des zones brûlées par les incendies dévastateurs. Selon les experts, sa capacité à disperser les glands s’avère souvent plus rapide et plus efficace que les méthodes humaines dans les plantations. En 2017, l’association environnementale Montis a même lancé une campagne de financement participatif pour collecter un maximum de glands afin qu’ils puissent ensuite être disséminés par l’oiseau dans les zones touchées.
L’installation de tables à fruits en Isère
« La dispersion des glands par le Geai se passe naturellement, mais ne va pas très vite » explique Henri. Cette réflexion a donc amené l’ONF à mener une expérimentation d’aménagement de tables à fruits en Isère, inspirée par nos voisins allemands.
Au sein des forêts iséroises, six tables en bois jonchées de glands, châtaignes et noix ont été installées à des endroits stratégiques dès l’automne 2022, puis douze autres en 2023. On les comptabilise au nombre de vingt-cinq à ce jour. Disposées dans un espace forestier ni trop ouvert, ni trop fermé, afin que le Geai des chênes se sente en sécurité pour venir picorer, les tables sont régulièrement rechargées par les ouvriers de l’ONF.
Henri détaille : « Au mois de septembre, je repère les sites où les arbres sont chargés en glands ainsi que les terrains les plus propices au ramassage. Avec l’aide des jeunes apprentis et stagiaires de l’ONF, 110 kg de glands ont été récoltés lors d’une opération. Un volume est ensuite réparti dans les différentes forêts, puis les techniciens forestiers locaux prennent le relais pour la gestion des tables ».
Les pièges-photos déployés pour évaluer l’efficacité de ce dispositif ont démontré son succès. Et les résultats sont prometteurs. En forêt domaniale du Boutat, les premiers semis de chênes ont déjà fait leur apparition.
Henri ajoute : « une fois que les semis seront plus grands, j’ai mis au point un protocole de suivi, des transects autour des tables à fruits, qu’on pourra parcourir pour vraiment quantifier ».
D’autres espèces telles que les chouettes hulottes et les hiboux petit-duc ont également pu être observés, chassant les rongeurs qui viennent récupérer les glands tombés de la table. « Tout participe à enrichir l’écosystème forestier, contribuer à son équilibre et à la biodiversité en général ».
« À l’échelle du département de l’Isère, on va essayer de déployer ce système sur plusieurs forêts domaniales et pour d’autres espèces de chênes. Toujours avec cette idée de favoriser la migration des espèces forestières ». Et l’initiative ne risque pas de s’arrêter à cet espace. « J’ai récemment été contacté par plusieurs personnes souhaitant mettre en place le même dispositif dans des forêts d’autres départements » termine Henri.