Face à l’augmentation des populations de sangliers et les dégâts qu’ils entraînent sur les cultures, mais aussi des risques sanitaires et routiers, la préfecture d’Indre-et-Loire a pris des mesures fortes. Elle interdit aux chasseurs de nourrir les sangliers durant Janvier et Février, que ce soit par l’agrainage ou l’affouragement, sur l’ensemble du département.
La prolifération des sangliers
En quarante-cinq ans, le nombre de sangliers en France a été multiplié par vingt, selon des estimations réalisées à partir des tableaux de chasse. Il y en aurait aujourd’hui entre 1 et 2 millions dans l’Hexagone. Une tendance que l’on retrouve dans la plupart des pays voisins.
Cette augmentation effrénée du nombre de sangliers dans les forêts et campagnes françaises s’explique essentiellement par l’intervention de l’humain sur la nature, et de la relation qui s’est nouée entre chasse et agriculture depuis les années 1970.
« D’une part, la raréfaction des petits animaux chassables, due en grande partie à l’agriculture intensive, a renforcé l’intérêt des chasseurs pour les sangliers. Les chasseurs en ont lâchés à partir d’élevages. Ils les ont nourris dans la nature et ont pratiqué une chasse sélective épargnant les femelles reproductrices. D’autre part, le développement des cultures intensives de maïs a profité aux sangliers qui en raffolent. Enfin et surtout, les agriculteurs ont pu accepter les dégâts causés par les sangliers dans les cultures, grâce à l’indemnisation automatique par les chasseurs eux-mêmes. Ajoutez à cela des conditions climatiques propices, l’éradication ancienne des prédateurs naturels, ainsi qu’une remarquable capacité des sangliers à accélérer leur reproduction en réaction à certains modes de chasse, et vous obtenez la recette parfaite pour un « gibier » abondant. » détaille ainsi le naturaliste Pierre Rigaux
Aujourd’hui, les sangliers font donc des dégâts de plus en plus importants sur les cultures, et notamment celles de maïs, dont seul 1,7% est destiné à nourrir les humains sur le territoire français. Et ces pertes ont un coût :
Depuis les années 2000, les dommages agricoles imputés aux sangliers représentent chaque année 20 à 30 millions d’euros en France.
L’Indre-et-Loire est un département particulièrement touché par ce phénomène, à tel point que la fédération de chasse du département a dû verser 1 million d’euros de dédommagement aux agriculteurs, un record jamais atteint auparavant.
« Si on ne fait rien, elle sera de l’ordre de 1,2 M € l’an prochain, compte tenu de la hausse des prix des céréales », s’alarme Alain Belloy, le président de la Fédération des chasseurs, pour La Nouvelle République. « Il y a encore cinq ans, on pensait être en mesure de maîtriser la situation mais on s’est fait déborder. Les chasseurs n’ont pas suffisamment pris la mesure de ce problème qui a un prix. Celui-ci est devenu insupportable. »
Les cultures ne sont pas les seules concernées par de potentiels dégâts, une trop grande concentration de sangliers dans un endroit peuplé par les humains peut également entraîner des collisions routières, dont le nombre est estimé à environ 5 000 par an, et des risques sanitaires.
L’agrainage mis en cause
Face à cette situation « catastrophique », la préfecture d’Indre-et-Loire a pris des mesures fortes : elle a décidé d’interdire toute forme d’agrainage et d’affouragement durant les deux mois de janvier et février sur l’ensemble du département. L’interdiction a été mise en place pour les 14 000 chasseurs concernés dès le début du mois de décembre dans le Bourgueillois, où la chasse a été rendue difficile par les dégâts d’une tornade du mois de juin.
Si la fédération de chasse d’Indre-et-Loire justifie ces pratiques de nourrissage pour maintenir les sangliers dans des zones de chasse précises, et pas dans les champs, plusieurs études ont montré comment l’agrainage et l’affouragement participent en fait à augmenter le nombre de sangliers.
Ainsi, l’étude menée sur cette pratique en 2014, par Gérard Bédarida, président de l’Association nationale des chasseurs de grands gibiers, concluait que l’agrainage favorise la reproduction des sangliers, notamment pendant la période hivernale.
Une autre étude conduite aux Pays-Bas détaillait comment l’agrainage augmente la prise de poids des laies, accélérant ainsi leur maturité sexuelle et favorisant leur taux de reproduction. Les laies font alors plus de marcassins durant les années d’agrainage. De même, dans les Yvelines, une diminution significative de 24 % des populations de sangliers a été observée lorsque l’agrainage hivernal a été interrompu.
Lorsque l’agrainage est supprimé, cela disperse les populations de sangliers qui doivent alors parcourir de plus grandes distances pour trouver de la nourriture, diminue leurs interactions et donc leur reproduction et les rend plus vulnérables aux chasseurs. De même, interdire l’agrainage permet de limiter les risques sanitaires.
« L’agrainage contribue à maintenir de fortes populations de sangliers souvent au-delà de la capacité biologique du territoire. Or, cette concentration d’animaux dans un espace restreint peut favoriser les épidémies et les contaminations des cours d’eau. On observe par ailleurs une très forte corrélation entre l’agrégation générée par un agrainage intensif et le pourcentage de sangliers et de cerfs porteurs de la tuberculose bovine. Ainsi, lorsque des foyers d’infection apparaissent, la première action vise à supprimer l’agrainage. » explique l’association Animal Cross
Si le nourrissage des sangliers a été interdit en 2019 par la loi créant l’Office français de la biodiversité (OFB), l’agrainage dissuasif pour la protection des cultures en période de sensibilité de celles-ci, hors saison de chasse, reste possible en France, et continue d’être largement utilisé. Dans le pays, des arrêtés préfectoraux réglementent l’agrainage et l’affouragement du gibier et parfois l’interdisent à l’instar de la préfecture d’Indre-et-Loire.
En plus de cette interdiction d’agrainage, la préfecture d’Indre-et-Loire veut également augmenter les battues de 25% lors de la campagne de chasse 2021/2022, et mettre en œuvre « de nombreuses battues administratives » pour tuer plus de sangliers.
Certains naturalistes, comme Pierre Rigaux, proposent aux collectivités d’explorer d’autres solutions comme le recours à la stérilisation et à la réintroduction de prédateurs naturels, capables de rétablir l’équilibre des écosystèmes forestiers.
« Le nombre faramineux de sangliers abattus chaque année est la conséquence mal maîtrisée d’une volonté politique et historique de disposer d’une abondance de « gibier » à « réguler » par la chasse de loisir. Pourtant, les sangliers représentent à peine 1 à 2% de la totalité des animaux tués à la chasse en France. Ne faudrait-il pas changer de paradigme ? » interroge-t-il en guise de conclusion
crédit photo couv : Philippe RICHARD
Pour aller plus loin : Nouvelle étude : les prédateurs naturels sont bien plus efficaces que les chasseurs dans l’équilibre des forêts