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L’immersion régulière des enfants en nature est essentielle à leur éducation

« D'un point de vue naturaliste, conservationniste de la nature, le réensauvagement c'est le fait de presque « guérir » les espaces naturels qu'on a dégradés. Mais l'être humain aussi a besoin de se ré-ensauvager : on est devenus « trop modernes », trop dociles. Tout est fait et géré pour nous. On a perdu notre nature un peu sauvage ». 

Dans une forêt de Creuse, une cabane de bois se dresse au milieu des noisetiers. Elle sert d’abri aux membres du « Pic Noir » : une association de pédagogie par la nature. Tous les mercredis, quelques bénévoles accueillent les enfants de 6 à 12 ans venus passer un moment en forêt. Au programme : ateliers, jeux et balades dans la nature.

Le plaisir d’être dans la nature 

Les enfants et les adultes sont réunis en cercle sous la cabane, assis sur des rondins disposés autour du feu. La matinée est ensoleillée, mais la chaleur du foyer reste bienvenue en cette fin d’hiver. Chaque séance au Pic Noir commence par ces retrouvailles sous la cabane surnommée « le terrier », notamment pour que chacun puisse exprimer son humeur et découvrir le programme de la matinée. 

Ce matin, Maryne, bénévole au Pic Noir, a préparé un jeu d’identification d’animaux forestiers. Les enfants doivent lire une description et deviner l’espèce correspondante. Ils vérifient ensuite la justesse de leur réponse en allant chercher une image de l’animal, cachée dans les bois.  

Par le jeu, les enfants développent leurs connaissances naturalistes. Maryne leur explique ainsi que les différents animaux sont classés par familles et que le blaireau fait partie de celle des mustélidés. Elle leur raconte comment la rainette survit à l’hiver en s’enfouissant dans le sol et qu’écureuils et geais des chênes participent à la dispersion des glands. 

La plupart des enfants n’ont aucune difficulté à deviner les espèces : « Je suis souvent confondu avec un serpent, mais je suis inoffensif » lit l’un d’entre eux. « Un orvet ! » s’exclament plusieurs autres.   

Maryne explique comment le geai des chênes cache des glands pour l’hiver

Après cet atelier partagé, les enfants se divisent en divers groupes : certains vont tailler des bâtons ou fabriquer des objets en bois, d’autres jouent à cuisiner avec de la boue ou construisent des cabanes.

Ces temps libres sont également l’occasion de faire des jeux collectifs dont raffolent les enfants : « S’ils pouvaient, ils feraient un loup-touche-touche – le nom donné par les enfants au jeu du chat – pendant deux heures, constate Maryne auprès de La Relève et La Peste. Ils peuvent courir et crier : c’est aussi un moment de liberté ».

Dans la forêt, les enfants révèlent toute l’étendue de leur curiosité : « l’ornithorynque, c’est un canard ou un mulot ? » demande Nil, âgé de 6 ans. De leur côté, Eden et Laya, parties à la recherche de lutins, trouvent un magnifique coléoptère à la carapace bleutée, et rassemblent leur courage pour le prendre en main et l’observer. Sous la cabane, autour du feu, Martin s’émerveille des propriétés inflammables de l’écorce de bouleau.

Quelle que soit la saison et la météo, la plupart des enfants semblent apprécier ce temps passé en forêt : « Je suis contente d’être ici » affirme l’une d’entre eux, « J’aime bien être là » confirme un autre.

Chaque mercredi, les enfants font part avec enthousiasme de ce qu’ils aimeraient faire la semaine suivante : « des jeux collectifs » demande Goran. « Faire une cabane », propose Martin.  « Je vois le plaisir que le fait d’être dans la nature donne aux jeunes, affirme Matthew, bénévole de l’association. Et aussi aux adultes ! »

Les bénévoles et enfants en plein atelier de devinettes naturalistes

Réunir l’humain et son milieu     

Le projet était en germination depuis plus de 15 ans dans l’esprit de Matthew, un maçon anglais installé de longue date en Creuse. « Passionné de la nature, des animaux et des arbres », ce dernier avait l’envie de « réunir l’être humain avec son milieu »

« Une faille s’est créée entre l’humain et son milieu naturel, constate-t-il pour La Relève et La Peste. Le projet est né de l’envie de mieux comprendre la nature et d’être plus à l’aise dedans. »

Au fil des années, Matthew mûrit son projet et l’oriente vers l’accueil d’enfants en forêt : « C’est durant l’enfance qu’on développe les liens avec le monde naturel, explique-t-il. C’est à ce moment qu’on peut prendre les bonnes habitudes, les bonnes connaissances. Si on est capables de donner un bon cadre dans la nature à des enfants, ils seront peut-être des adultes qui comprendrons mieux le milieu naturel et qui en prendrons soin ».

Il y a quatre ans, il achète une parcelle forestière à un agriculteur de sa commune. À la recherche de personnes pour partager la construction de ce projet, il rencontre Maryne, éducatrice à l’environnement qui vient de s’installer en Creuse.  

« Je travaillais en Ardèche dans une association de pédagogie par la nature, explique-t-elle. L’idée, c’était de continuer, de partir à la découverte de la nature à travers l’immersion et l’expérience ».

Les membres de l’association sont convaincus que l’immersion régulière des enfants dans la nature est essentielle à leur éducation, y compris dans ce territoire rural.

« Même ici, les enfants ne sortent pas beaucoup, explique Matthew pour La Relève et La Peste. Il y a pas mal de gens venus des villes et ils ne prennent pas forcément l’initiative d’aller dans la nature, même s’ils aiment l’idée. Ce n’est donc pas forcément quelque chose présent dans le quotidien des enfants. »

 « On ne va pas énormément en forêt, confirme Ziad, père de Laya et Nil. On va au lac quand il fait beau, ils sont beaucoup dehors, mais on n’a pas beaucoup de forêts autour de nous : on habite dans le village. » 

Laya maquille Eden avec de la boue

“Se ré-ensauvager”  

Selon Matthew, le rapprochement entre le milieu naturel et l’humain passe par le réensauvagement de ce dernier.  

« D’un point de vue naturaliste, conservationniste de la nature, le réensauvagement c’est le fait de presque « guérir » les espaces naturels qu’on a dégradés, explique-t-il à La Relève et La peste. Mais l’être humain aussi a besoin de se ré-ensauvager : on est devenus « trop modernes », trop dociles. Tout est fait et géré pour nous. On a perdu notre nature un peu sauvage ».

Selon lui, ce réensauvagement et l’apprentissage de l’autonomie passent notamment par l’acceptation d’une certaine prise de risques. Ainsi, au Pic Noir, les enfants – sous le regard attentif des adultes – s’approchent du feu, utilisent des outils comme des scies ou des couteaux, grimpent sur des branches d’arbres, etc. 

« Pour moi, justement, le projet d’être dans la nature, c’est aussi de se mettre parfois en danger, dans une prise de risque mesurée », explique Nina, bénévole au Pic Noir. 

« La prise de risques est importante, parce qu’elle nous aide à trouver notre autonomie, à mieux se connaître, ajoute Matthew. Cela donne de la confiance en soi :  on peut faire les choses ! C’est essentiel dans notre développement. »

« Tous les quatre, on a pas du tout le même rapport à la prise de risque, tempère Nina. On a tous des curseurs un peu différents. » 

La cabane du Pic Noir, surnommée « le terrier »

Elle et Matthew, acceptent par exemple plus facilement de laisser les enfants grimper aux arbres. De leurs côtés, Constance et Maryne sont plus regardantes sur les règles de sécurité.

« J‘ai vu certains enfants qui étaient des vrais singes, qui géraient dans les arbres, raconte Maryne. Mais ils montaient haut, et là, tu n’as aucun contrôle. Je pense que ça, c’est mon rapport avec moi-même : d’aimer avoir le contrôle sur ce qui se passe, un minimum. Pas le contrôle sur les humains, mais au moins sur les dangers potentiels. »

Néanmoins, Maryne insiste sur l’importance de ne pas « déresponsabiliser » les enfants.

« L’idée ici, c’est d’accompagner l’enfant vers l’autonomie. Nous, on amène les outils et l’enfant découvre par lui-même. On essaye d’attiser la curiositéet de s’adapter aux envies, aux besoins des enfants. C’est aussi important de les questionner : comment vivre son expérience tout en minimisant le risque ? ajoute-t-elle pour La Relève et La Peste. C’est tout le travail : de laisser l’enfant vivre toutes les expériences potentielles, mais en se sentant en sécurité. L’adulte connaît les capacités de l’enfant et lui fait aussi confiance ».

Cette conception de l’éducation est partagée par le père de Nil et Laya : « On n’a jamais trop été derrière eux, explique-t-il. On les laisse grimper, escalader, faire des acrobaties. On préfère qu’ils apprennent par eux-mêmes et en général, ça se passe bien. »

Pour autant, Nina rappelle l’importance de donner un cadre aux enfants. Par exemple, au Pic Noir, ces derniers doivent rester dans un certain périmètre de la forêt, matérialisé par des ficelles rouges enroulées autour de quelques arbres. Cette délimitation discrète est respectée par les enfants, qui n’en sortent qu’en présence d’un adulte. 

Développer les initiatives de pédagogie par la nature ?  

Si la démarche du Pic Noir semble rencontrer un réel succès, l’association peine à convaincre de nouveaux adhérents. « On essaie de faire en sorte que cela puisse être ouvert le plus possible, mais ce n’est pas évident, » constate Nina. « Cela reste quand même des enfants d’un même milieu social, de parents d’un même réseau avec les mêmes valeurs politiques » complète Maryne. 

Pour toucher un public plus large, les bénévoles de « Le Pic Noir » envisagent notamment des collaborations avec les écoles. Ainsi, l’association développe un partenariat avec l’école maternelle du village voisin. L’objectif : organiser des sorties scolaires régulières au Pic Noir pour tous les enfants, accompagnés par leur maîtresse.  

Aujourd’hui, l’association fonctionne avec environ 6 bénévoles, mais ne dispose d’aucun salarié, faute de moyens financiers.

« On a décidé de ne pas être un accueil collectif de mineurs, explique Maryne, car il faudrait pour ça respecter toute une réglementation, et notamment avoir un bâtiment en dur, etc. Ces règles ne vont pas avec la nature d’un tel projet. Cela implique qu’on ne peut pas recevoir des aides de la CAF, faire des appels à projets, etc. »

Sans subventions, le faible nombre d’enfants accueillis simultanément – 12 au maximum – obligerait à augmenter significativement les tarifs des inscriptions pour payer un salaire.

Malgré ces contraintes, Matthew constate que les projets de pédagogie par la nature essaiment : « Il y a beaucoup de législation, en France, pour protéger les enfants, et c’est normal. Mais cela dissuade beaucoup de gens à se lancer dans ce genre de projets, parce qu’ils ont peur. Mais il faut juste bien se renseigner, bien communiquer avec les parents, et les enfants. 

Il y a moyen d’en tirer un projet : la preuve, c’est qu’ils existent partout. Le réseau Pédagogie par la Nature, a d’ailleurs été créé par des gens expérimentés, pour conseiller et guider les porteurs de projets. » 

Eloi Boye

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