La nouvelle vient de tomber : après bientôt trois années remuées par les scandales, émaillées de critiques internes et de défections en série, La République en Marche (LREM) a perdu sa majorité absolue à l’Assemblée nationale, établie à 289 sièges sur 577. Le mardi 19 mai, en pleine crise sanitaire, sept députés ont officiellement quitté le groupe mis sur pied par le président de la République afin d’en créer un nouveau, le neuvième de la chambre basse du Parlement.
Baptisé « Écologie, démocratie, solidarité » et se déclarant « indépendant », ce neuvième groupe est pour le moment composé de dix-sept députés ; mais « d’autres nous rejoindront dès les prochaines semaines », a confirmé Matthieu Orphelin, député proche de Nicolas Hulot et co-président du nouveau mouvement avec Paula Forteza.
Qu’un parti présidentiel perde sa majorité au beau milieu de son mandat, c’est inédit sous la Ve République, tout comme le nombre de groupes désormais présents à l’Assemblée, qui n’en a jamais comporté autant. Cette présidence aura battu tous les records. Mais comment en est-on arrivé là ?
En juin 2017, au début de la législature actuelle, LREM comptait 314 députés, recrutés au sein de la société civile ou débauchés dans les rangs des partis traditionnels. Melting-pot cacophonique et désordonné, sans véritable identité, ce mouvement majoritaire s’était jusqu’ici illustré par une obéissance aveugle au gouvernement, qui faisait dire à bon nombre de ses détracteurs que ses membres se voyaient « condamnés à n’être que des godillots ».
Pour accéder à leur députation au sein de ce parti, les « marcheurs » avaient dû signer un « contrat avec la nation », qui stipulait, selon les mots d’Emmanuel Macron lui-même, « [qu’]aucun candidat investi ne pourra[it] exprimer de désaccord avec le cœur de notre projet », bien qu’une telle ligne de conduite au Parlement soit à la limite de la légalité.
Mais ce vernis de concorde et d’harmonie n’a pas même résisté à la première année du mandat présidentiel.
À mesure que les affaires judiciaires comme celle de Benalla en 2018, les mouvements sociaux comme les « Gilets Jaunes », les lois liberticides, les scandales de compromission dans les cercles les plus proches du président se succédaient, donnant une triste allure au paysage politique, toute contestation dans la majorité parlementaire était mise au pas, étouffée, et les élus du peuple forcés de voter les yeux fermés toutes les lois que présentait le gouvernement, bien décidé à mener à terme son cycle de réformes « à marche forcée ». Cette perte intégrale de crédibilité explique certainement les défections en série qui ont ponctué la courte histoire de LREM.
Le 22 avril 2018, un premier député de l’aile gauche, Jean-Michel Clément, en désaccord avec la loi « asile et immigration », quitte la majorité présidentielle. Depuis lors, le groupe a perdu 18 autres membres, dont certains sont partis discrètement, quand d’autres claquaient la porte en clamant haut et fort leur indépendance.
Ainsi, jusqu’au mardi 19 mai, les « marcheurs » avaient perdu environ un représentant à l’Assemblée tous les deux mois et n’étaient plus que 295. C’était sans compter la fronde en gestation depuis longtemps, que la crise du coronavirus, sur fond de traçage numérique, et de mensonge d’État concernant les masques, a fait éclater.
Le 19 mai, sept députés LREM ont donc rejoint le nouveau groupe « Écologie, démocratie, solidarité », qui comprend une proportion de 65 % de femmes, un autre record dans notre pays, toutes époques confondues.
Les « marcheurs » ne sont plus que 288 à l’Assemblée, juste un point en-dessous du seuil de la majorité absolue, et perdent des membres emblématiques de leur fameuse aile gauche censée mettre en œuvre le monde de demain. À l’avenir, il se pourrait bien que l’hémorragie continue, comme l’a assuré Matthieu Orphelin. Mais la victoire est loin d’être garantie, et il est très probable que LREM récupère rapidement la majorité, en absorbant un ou plusieurs membres des autres groupes.
D’ailleurs, même si de nouveaux députés en viennent à quitter le parti présidentiel, le gouvernement dispose encore d’un atout considérable pour faire passer ses textes au Parlement : les 46 députés du MoDem, qui n’ont cessé depuis 2017 de voter en faveur des réformes et de la casse sociale.
Il reste également la petite dizaine de députés appartenant à « la droite constructive », autrement nommée groupe « Agir », qui soutiendront comme ils l’ont fait jusqu’à présent les va-et-vient du président Macron.
Autrement dit, l’Assemblée bouge mais ne se renouvelle pas. Le seul changement se trouve en ce que le MoDem risque de devenir l’élément incontournable des prochaines réformes.
Le gouvernement devra composer, peut-être infléchir sa politique triomphante et condescendante. Peut-être rencontrera-t-il davantage de difficultés à faire passer de nouveaux textes au pas de charge, sans opposition, dans une chambre au garde-à-vous. Un certain suspense fera (peut-être) son grand retour dans les débats de l’Assemblée nationale, où il n’y a plus aucun enjeu à s’exprimer depuis maintenant trois ans, pas même pour les députés de la majorité.
Peut-être le spectre politique évoluera-t-il encore, à présent que la brèche est ouverte et le signal donné. Mais une chose est certaine, c’est que la démocratie devra attendre le prochain mandat, car si la majorité théorique est perdue, la majorité pratique est bien conservée.
Dans sa première profession de foi, le groupe « Écologie, démocratie, solidarité » affirme qu’il ne se situe « ni dans la majorité, ni dans l’opposition » et qu’il veut « répondre à l’urgence écologique, moderniser la démocratie, réduire les inégalités sociales et territoriales », dans une « ambition forte de transformation sociale et écologique ». De jolis mots, et une posture politique mitoyenne, louvoyante, qui rappelle celle du président de la République.
Quel est le programme des dix-sept députés ? Leur quinze premières propositions les placent plutôt dans une mouvance de gauche sociale : priorité y est donnée à la lutte contre la précarité, les lobbies et le grand capital, à la souveraineté industrielle, politique et numérique de la France, ainsi qu’à la transition écologique, que les frondeurs veulent introduire dans la constitution. Reste à voir si le groupe réussira à faire changer quoi que ce soit. Au moins, les cartes sont rebattues.
Voici la liste provisoire des députés du groupe « Écologie, démocratie, solidarité » :
Delphine Bagarry (Alpes-de-Haute-Provence)
Delphine Batho (Deux-Sèvres)
Émilie Cariou (Meuse)
Annie Chapelier (Gard)
Guillaume Chiche (Deux-Sèvres)
Yolaine de Courson (Côte-d’Or)
Paula Forteza (Français établis hors de France)
Albane Gaillot (Val-de-Marne)
Hubert Julien-Laferrière (Rhône)
Sébastien Nadot (Haute-Garonne)
Matthieu Orphelin (Maine-et-Loire)
Aurélien Taché (Val-d’Oise)
Jennifer de Temmerman (Nord)
Sabine Thillaye (Indre-et-Loire)
Frédérique Tuffnell (Charente-Maritime)
Cédric Villani (Essonne) Martine Wonner (Bas-Rhin)