Vous cherchez un média alternatif ? Un média engagé sur l'écologie et l'environnement ? La Relève et la Peste est un média indépendant, sans actionnaire et sans pub.

L’exploitation minière des fonds marins risque de ravager toute la chaîne alimentaire océanique

« Cela montre que les impacts ne se limitent pas à l’abyssal : ils touchent toute la colonne d’eau, perturbent des zones clés de pêche et les puits de carbone océaniques »

Une étude publiée dans Nature Communications montre qu’un rejet de déchets miniers en eaux profonds peut perturber tout le réseau alimentaire jusqu’à 1 500 mètres de profondeur. De nouveaux arguments qui renforcent l’appel international à un moratoire sur le deep-sea mining.

L’exploitation minière des fonds marins

Nouveau coup porté au deep-sea mining. Une étude publiée le 6 novembre dans Nature Communications apporte la première preuve empirique qu’un rejet en pleine eau de déchets miniers peut désorganiser tout le réseau alimentaire entre 1 000 et 1 500 mètres de profondeur.

La perturbation commence avec le zooplancton, dont la nourriture est remplacée par des sédiments pauvres, puis se propage au micronecton – petits poissons, crevettes, céphalopodes – qui s’en nourrit. L’effet de cascade atteint ensuite les prédateurs, jusqu’aux espèces exploitées par les pêcheries.

Ce résultat s’ajoute à celui d’une autre étude, menée par le Natural History Museum, qui a révélé que les traces d’un test minier réalisé en 1979 dans le Pacifique demeurent visibles plus de quarante ans plus tard. Signe d’une récupération extrêmement lente et incomplète des écosystèmes abyssaux.

Les traces sur le plancher océanique semblent avoir été faites hier, alors qu’elles ont 40 ans. La vie n’a pas repris © National Oceanography Centre and The Trustees of the Natural History Museum / SMARTEX project

Le deep-sea mining (ou exploitation minière en eaux profondes) consiste à extraire, dans les sous-sols océaniques, des nodules riches en nickel, cobalt, cuivre ou manganèse, indispensables à de nombreuses technologies électroniques. Une perspective qui aiguise les appétits de plusieurs puissances.

À commencer par Donald Trump, qui a signé le 24 avril un décret autorisant le démarrage d’extractions minières dans les eaux américaines et internationales, en rupture avec les cadres juridiques existants. Selon Anne-Sophie Roux, co-autrice de Océans pour La Relève et La Peste, ce texte a profondément modifié l’équilibre diplomatique.

« Ce geste unilatéral a eu un effet paradoxal : même des États historiquement favorables à l’exploitation – l’Inde, la Chine – défendent désormais le respect du droit international, sans forcément prononcer le mot “moratoire”. Ils cherchent surtout à empêcher une fuite en avant impulsée par Washington ».

40 pays en faveur d’un moratoire 

Ces nouvelles études renforcent la position des quarante pays qui appellent aujourd’hui à un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds.

« Elles montrent que les impacts ne se limitent pas à l’abyssal : ils touchent toute la colonne d’eau, perturbent des zones clés de pêche et les puits de carbone océaniques », insiste Anne-Sophie Roux.

La zone Clarion–Clipperton (située dans l’océan Pacifique) cristallise les inquiétudes. Près de 90 % des espèces qui y vivent n’ont jamais été identifiées. Elle constitue pourtant la cible prioritaire des entreprises minières. La dynamique politique en faveur d’une pause réglementaire s’intensifie.

« Nous comptons désormais quarante pays en faveur d’un moratoire. Certains sont très actifs, comme le Brésil, le Chili, le Costa Rica, la France ou encore le Vanuatu, d’autres plus discrets. Mais tous convergent sur un point fondamental : aucune exploitation minière ne doit débuter sans conditions scientifiques strictes ».

Parmi les derniers États à avoir rejoint l’appel : la Croatie, en septembre, puis Antigua-et-Barbuda et la Roumanie, en octobre. La ligne de fracture est particulièrement nette dans le Pacifique, première région susceptible d’être industrialisée en raison de la densité de ses gisements.

Nodules sur le fond abyssal de la zone Clarion–Clipperton et nuage de boue soulevé par l’atterrissage d’un ROV. © UH/NOAA Deep CCZ

« Les impacts seraient directs sur la pêche, l’économie locale, la résilience climatique… Les États du Pacifique ont été les premiers à alerter », rappelle Anne-Sophie Roux, en citant notamment Fidji et le Vanuatu.

Mais trois pays demeurent favorables à l’exploitation : Nauru (dont l’île a été ravagée par l’exploitation des gisements de phosphate), Tonga et les Îles Cook. Leur motivation ?

« On leur a fait miroiter des retombées économiques considérables. Or ces bénéfices sont hautement incertains : déployer des machines à 4 000 ou 6 000 mètres relève déjà de la prouesse technique, avec des coûts exorbitants et des revenus hypothétiques ».

L’activiste pointe également une dépendance structurelle : « Toutes les compagnies impliquées dans ces zones sont occidentales. On est face à un schéma très clair de néocolonialisme : les bénéfices iraient aux entreprises minières, pas aux communautés locales ».

À Nauru, la situation se serait dégradée depuis le rapprochement entre The Metals Company (TMC) et l’administration Trump. Aux Îles Cook, où opère l’entreprise belge GSR, les tensions sont similaires : « Les activistes se battent simplement pour que les communautés soient informées ».

De grandes entreprises opposées au deep-sea mining

L’un des arguments majeurs des partisans du deep-sea mining repose sur l’exploitation des nodules polymétalliques, supposés indispensables à la fabrication de batteries. Un raisonnement trompeur, selon Anne-Sophie Roux.

« Les publications scientifiques montrent que le cobalt et le nickel – les métaux clé mis en avant – sont de moins en moins utilisés dans les batteries. Plus de la moitié des batteries actuelles n’en contiennent déjà plus. Et les fonds marins ne contiennent pas de lithium, pourtant crucial aujourd’hui ».

Elle poursuit : « Si nous investissions sérieusement dans le recyclage et l’économie circulaire, nous pourrions couvrir jusqu’à 60 % de la demande en métaux critiques. Pourquoi prendre un risque écologique irréversible pour exploiter le plus grand puits de carbone de la planète, alors que des solutions existent déjà ? »

Le paysage industriel lui-même est en train d’évoluer : « Samsung, Google, Volvo, BMW et d’autres annoncent qu’ils n’achèteront pas de métaux provenant des grands fonds. Certaines banques se désengagent aussi ».

Un autre tournant majeur s’est joué à la tête de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), l’agence onusienne qui supervise les négociations sur l’exploitation des grands fonds. L’élection, en août 2024, de l’océanographe Leticia Carvalho.

« Son élection a complètement rebattu les cartes. Elle a promis transparence, neutralité et réforme de la gouvernance. C’est la première femme élue à ce poste, issue d’un pays des BRICS. Cela donne à l’institution une respiration nouvelle », souligne Anne-Sophie Roux.

« Jusqu’en janvier 2025, l’opacité était réelle : soupçons de conflits d’intérêts, partialité du secrétaire général, absence d’accès pour les journalistes…», rappelle-t-elle.

Aucun moratoire formel ne se dessine encore, mais un autre signal politique a retenu l’attention. En décembre dernier, la Norvège a décidé de suspendre ses licences d’exploitation minière en eaux profondes. Un report crucial qui a contribué à freiner l’élan international vers une ruée minière dans les abysses.

Un autre monde est possible. Tout comme vivre en harmonie avec le reste du Vivant. Notre équipe de journalistes œuvre partout en France et en Europe pour mettre en lumière celles et ceux qui incarnent leur utopie. Nous vous offrons au quotidien des articles en accès libre car nous estimons que l’information doit être gratuite à tou.te.s. Si vous souhaitez nous soutenir, la vente de nos livres financent notre liberté.

Joanna Blain

Faire un don
"Le plus souvent, les gens renoncent à leur pouvoir car ils pensent qu'il n'en ont pas"

Votre soutien compte plus que tout

Animal, un nouveau livre puissant qui va vous émerveiller 🐺

Notre livre Animal vous invite à vous émerveiller face à la beauté du peuple animal. Des dernières découvertes scientifiques sur le génie animal jusqu’au rôle primordial de chaque espèce qui peuple notre terre, notre livre vous plonge au cœur du monde animal et vous invite à retrouver votre instinct.

Après une année de travail, nous avons réalisé l’un des plus beaux ouvrages tant sur le fond que sur la forme.

Articles sur le même thème

Revenir au thème

Pour vous informer librement, faites partie de nos 80 000 abonnés.
Deux emails par semaine.

Conçu pour vous éveiller et vous donner les clés pour agir au quotidien.

Les informations recueillies sont confidentielles et conservées en toute sécurité. Désabonnez-vous rapidement.

^