À l’occasion de la sortie d’ANIMAL, son cinquième livre-journal, La Relève et la Peste brosse le portrait des huit auteurs qui ont contribué à faire de ce numéro « le seul tour d’horizon aussi complet du monde animal ». Aujourd’hui, nous vous présentons Hélène Thouy, autrice du texte « Pour un droit vecteur de justice pour les animaux ».
Comment faut-il l’appeler, flèche, fusée, faisceau ? D’un caractère trempé de convictions, Hélène Thouy semble avoir toujours su la voie qu’elle devait embrasser. Aujourd’hui, elle est l’une des étoiles montantes de la cause animale, fermement décidée à faire surgir cette question sur la scène politique dans les prochaines années.
Originaire des Bouches-du-Rhônes, Hélène a grandi entre Marseille et la région bordelaise, où se sont installés ses parents. Après des études de droit puis un bref passage à la Cour de justice de l’Union européenne, au Luxembourg, elle décide d’endosser la robe noire des avocats, convaincue qu’elle pourrait défendre à travers les hommes une certaine idée de la justice.
« Notre époque a un besoin profond de redonner un sens fort au mot de justice, dévoyé dans le langage commun », nous confie-t-elle.
C’est au cœur de la campagne qui a nourri son enfance, près des vignes les plus célèbres du monde, qu’Hélène choisit de monter le cabinet où elle exerce depuis dix ans. Spécialiste de droit public, elle multiplie peu à peu les fronts, s’occupant ici des étrangers sur le point d’être placés en détention administrative, là des familles qui se disputent ou s’entredéchirent.
De la petite ville de Langon à l’Institut de défense des étrangers du barreau de Bordeaux, il s’agit toujours de plaider en faveur des laissés-pour-compte.
Mais la cause de sa vie, ce sont les animaux. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Hélène nous raconte avoir toujours éprouvé une empathie irrésistible pour les êtres vivants qui l’entourent.
Un soir, à six ou sept ans, alors qu’elle allait croquer dans son burger d’enfant, un ami de famille en visite lui lâche une de ces phrases de rien du tout qui font parfois des bombes : « Et dire qu’elle courait avant ! »
« Pour la première fois, j’ai pris pleine conscience que ma nourriture était composée d’animaux, j’ai alors arrêté d’en manger. Mais je devais sûrement être parvenue au bout d’un processus. »
Au fil des ans, les fruits mûrissent, et Hélène se consacre de plus en plus au droit animal. Bénévole à la faculté, elle propose son aide aux militants ou aux associations, qu’elle oriente, prépare, défend gracieusement encore aujourd’hui, à l’image de L214, pour n’en citer qu’une seule. Pendant ce temps, elle part à la recherche de l’information, se documente sur les implications des œufs, les conséquences des produits laitiers, ou du miel. De végétarienne, Hélène devient végane.
Temps libre et engagement finissent par se confondre. Au cours de l’été 2014, elle rencontre d’autres militantes déterminées, avec lesquelles elle fonde le Parti animaliste, extension politique de son combat dans la société civile. À la genèse de ce groupe presque familial, un raisonnement :
« Il y a cinq ans, on s’est dit qu’un travail immense avait été fait par les associations, qui pourtant n’étaient pas écoutées. On s’est aperçu qu’on ne recevrait jamais que des promesses tant qu’on n’irait pas nous-mêmes sur le terrain politique. Maintenant, en faisant perdre des voix aux autres partis, nous voulons les forcer à prendre de réelles décisions. »
Après le scrutin des européennes en 2019 et celui des municipales en 2020, Hélène constate que plusieurs formations politiques se mettent à déclarer leurs intentions en faveur du monde animal. Pour elle, c’est la preuve que la stratégie fonctionne. Le regard à nouveau projeté dans le lointain, l’avocate nous dit comme à elle-même qu’il faudrait que des élus pèsent à l’Assemblée nationale.
« Le droit animal est un levier prodigieux pour faire avancer, évoluer la société. »
Hélène en est persuadée : le monde change, les mentalités progressent, les citoyens se préoccupent de plus en plus de la question animale.
« En réalité, c’est quelque chose de bien plus ancien. Mais auparavant, les gens qui se disaient sensibles au sort des animaux étaient constamment raillés, il fallait avoir une certaine force de caractère pour l’assumer publiquement. Le sujet était tabou. »
Depuis une dizaine d’années, celui-ci a fait une entrée fracassante dans l’espace public. Les verrous sautent, les langues se délient, les silencieux et les moqués osent enfin s’exprimer.
« On s’aperçoit que l’immense majorité des citoyens sont sensibles aux animaux. Il faut parler ! »
Mais dans un même mouvement, le modèle ancien résiste, se rigidifie.
« Il y a tant d’intérêts, tant de lobbies. Les forces qui veulent refermer cette ouverture sont immenses. »
Hélène mentionne en exemple la nouvelle cellule Déméter ; créée en 2019, cette branche de la Gendarmerie nationale a pour vocation officielle de protéger les agriculteurs, pour tâche officieuse d’intimider l’opposition.
« Nous faisons face à des décennies d’élevage intensif, l’État est gangréné par cette industrie, d’où le décalage entre les attentes de la population et l’action publique. »
Selon la juriste, le basculement est proche, car le déni politique de la cause animale engendre un problème de représentativité qui ne peut pas durer éternellement.
« Si vous m’aviez interrogée il y a dix ans, je n’aurais jamais imaginé qu’on en serait arrivé là si vite, qu’il y aurait eu autant de végétariens, d’associations, de critiques envers le traitement qu’on fait subir aux animaux. On est encore très loin d’avancées majeures, mais le point de bascule ne saurait tarder. »
Il s’agit de proposer aux citoyens une offre crédible, cohérente, de véritables alternatives qui leur feraient perdre leurs réticences. Le tout dans le respect des outils démocratiques. « D’où la création de notre parti politique », déclare celle qu’on ne serait pas étonné de retrouver un beau jour sur les bancs de l’Assemblée.
Mais pour le moment, notre flèche se concentre sur l’information, la défense de ceux qui luttent sur le terrain, la libération de la parole, en attendant d’atteindre un jour peut-être le centre de la cible.
Crédit photo couv : Récemment, l’association L214 a révélé les dessous sordides d’un élevage intensif Herta, pourtant utilisé par la marque comme « référence ».