Une étude révèle que les chaussons d’escalade libèrent des substances chimiques dans l’air des salles, atteignant des niveaux préoccupants de pollution comparables à ceux mesurés en bordure d’autoroutes.
Une équipe de scientifiques de l’EPFL et de l’Université de Viennes a récemment mis en lumière une forme de pollution particulièrement alarmante. Leur étude, publiée fin avril 2025 dans la revue américaine ACS ES&T Air, fait un constat pour le moins inattendu : l’air des salles d’escalade est saturé de substances nocives dans des proportions qui inquiètent les chercheurs.
Et le cas ne semble pas isolé, en témoignent les résultats similaires de leurs analyses menées dans neuf salles différentes en Autriche, en Suisse, en France et en Espagne. Plus surprenant encore, le responsable de cette pollution qui n’est autre que… les chaussons d’escalade.
Les chaussons, responsables de la pollution intérieure
Les chaussons sont développés et conçus pour adhérer aux moindres aspérités. Cette performance repose sur des gommes techniques contenant des additifs dérivés du caoutchouc (Rubber-Derived Chemicals ou RDCs). Lors de l’usure des semelles contre les prises, ces substances se libèrent sous forme de particules fines, contaminant l’air ambiant des salles.
Parmi les 15 molécules identifiées figure le 6PPD, un additif chimique particulièrement prisé dans l’industrie du caoutchouc pour ses propriétés antioxydantes, et que l’on retrouve donc dans la semelle des chaussons.
Lorsque ce dernier se retrouve en contact avec de l’ozone – que l’on retrouve également au sein des salles d’escalade – il se transforme en 6PPD-quinone, un dérivé extrêmement toxique dont la dangerosité pour la santé et l’environnement est avérée, notamment pour les organismes aquatiques.
L’absence de recherches concernant les impacts de la 6PPD-quinone sur les êtres humains ne permet pas aujourd’hui de connaître l’étendue de la menace qu’elle représente. Mais des études naissantes, principalement réalisées sur des rongeurs, mettent en avant les dommages au foie, aux poumons, aux intestins, au système nerveux, au système reproducteur et au cœur que pourrait entraîner cette molécule sur les mammifères.
Malgré le peu de connaissances sur le sujet, Thilo Hofmann, l’un des co-auteurs de l’étude, alerte sur le fait que « ces substances n’ont rien à faire dans l’air que nous respirons. Il est donc sensé d’agir avant même d’en connaître l’impact exact. »
Une exposition prolongée et insidieuse
À la différence des environnements extérieurs, les salles d’escalade présentent des volumes clos, parfois peu aérés, et où des dizaines de grimpeurs se retrouvent quotidiennement. La pollution y est donc concentrée et plus difficilement évacuée.
Les concentrations en RDCs dans l’air des salles d’escalade sont préoccupantes : jusqu’à 28,4 nanogrammes par mètre cube d’air (ng/m³) pour les particules respirables et 7,81 ng/m³ pour les particules fines, atteignant les alvéoles pulmonaires. Ces niveaux dépassent ceux mesurés dans des environnements urbains très pollués.
« Les niveaux que nous avons mesurés sont parmi les plus élevés jamais documentés dans le monde, comparables aux routes à plusieurs voies des mégapoles », précise Thilo Hofmann.
Il est donc nécessaire de se pencher sur cette nouvelle problématique afin de s’assurer que les personnes les plus vulnérables – comme les enfants, ou les personnes travaillant dans ces structures plusieurs heures chaque jour – ne subissent pas d’exposition répétée qui pourrait avoir des effets cumulés à long terme.
Des alternatives possibles
Loin de se limiter à un simple constat inquiétant, l’étude propose également des solutions concrètes et directement applicables pour améliorer la situation.
Tout d’abord, les différents modèles de chaussons n’émettent pas les mêmes quantités de polluants. Sur la trentaine de modèles analysée, les chercheurs ont constaté que certains libèrent jusqu’à 1000 fois moins de particules que d’autres. Le choix de l’équipement pourrait donc être un levier important.
Cependant, le manque de règlementation et d’informations quant à ces accessoires et à leur contenu représente une contrainte pour permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé. D’autres pistes sont toutefois envisageables, et sur lesquels l’étude apporte une importance toute particulière :
- Aérer régulièrement les espaces clos : assurer un bon renouvèlement de l’air permet de diminuer significativement la présence de composés chimiques émis par les chaussons. Cette responsabilité incombe alors aux responsables de salles qui sont encouragés à renforcer leur système d’aération et de filtration.
- Nettoyer les prises et les sols pour réduire l’accumulation de poussières : l’entretien régulier associé à des protocoles d’hygiène rigoureux dans les espaces partagés permet de freiner considérablement l’accumulation de particules fines contenant des RDCs.
- Repenser la conception même des chaussons d’escalade : cette fois, la balle est dans le camp des fabricants, que l’étude interpelle directement. L’objectif ? Développer des semelles toujours aussi performantes en termes d’adhérence, mais avec une composition chimique beaucoup plus sobre. Cela suppose une remise à plat des matériaux utilisés, et sans doute l’exploration de nouvelles formulations plus respectueuses de la santé et de l’environnement.
Un enjeu sanitaire et environnemental émergent
Cette étude soulève des questions plus larges sur la qualité de l’air dans les environnements sportifs clos, souvent négligée. Elle rappelle aussi que les objets du quotidien, même dans des activités perçues comme saines, peuvent être porteurs de pollutions insidieuses.
Les salles d’escalade devront désormais intégrer ces enjeux pour assurer un environnement réellement sain à leurs usagers. En attendant, la responsabilité repose sur les fabricants, les gestionnaires de salles… et les grimpeurs eux-mêmes.
C’est la mobilisation des tous les acteurs de cette pratique qui, à terme, permettra de la rendre plus responsable, tant sur le plan de la santé publique que de l’écologie.
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