Les lichens sont des organismes très anciens et résistants. Pourtant, ils sont très sensibles aux pollutions humaines : leur présence ou leur régression est aujourd’hui observée pour détecter les polluants.
Les lichens, à l’origine du monde
Les lichens ont été parmi les premiers organismes à s’épanouir sur la terre ferme, participant à la formation des écosystèmes terrestres. Avec environ 20 000 espèces dans le monde dont plus de 3 000 en France, ils sont aujourd’hui présents dans la quasi-totalité des milieux terrestres : de l’Antarctique aux déserts sableux, des hauts sommets aux bords de mer.
« Un lichen est une association symbiotique d’une algue et d’un champignon, explique Clother Coste, lichénologue au Conservatoire Botanique National des Pyrénées et de Midi-Pyrénées, pour La Relève et La Peste. Ce sont des organismes pionniers. Ils colonisent des surfaces où les autres végétaux ne peuvent pas se développer, notamment les rochers. »
L’une des raisons de cette adaptation à des milieux pourtant hostiles aux autres plantes et champignons ? Les lichens ne puisent pas les nutriments dont ils ont besoin dans les sols : ils n’ont d’ailleurs pas de racines.
« Le champignon extrait dans l’eau qu’il reçoit, tous les éléments minéraux qu’il fournit à l’algue, explique Clother Coste pour La Relève et La Peste. L’algue fait la photosynthèse et fournit des éléments organiques au champignon : ce qui permet de développer cette structure qui s’appelle le thalle. »
Malgré leurs besoins en eau, les lichens sont aussi extrêmement résistants aux sécheresses. Organismes « reviviscents », ils sont capables d’arrêter tout métabolisme lorsqu’ils sont secs puis de reprendre une activité au contact de l’eau. Une fois déshydratés, les lichens deviennent cassants. Ils peuvent alors se fracturer au contact d’un animal et ainsi reformer de nouveaux individus.
Les thalles forment eux-mêmes des écosystèmes à part entière. « Fans le même lichen, sur une surface de quelques centimètres carrés, il peut y avoir de tout, affirme Clother Coste. Des animaux, des végétaux, des bactéries, des virus, des champignons ».
Ils constituent également un premier maillon de la chaîne alimentaire : puisqu’ils sont consommés par des insectes, des crustacés, des escargots, mais aussi des mammifères. Les lichens servent également de structure à la pousse de nombreuses plantes et champignons et sont utilisés par des oiseaux pour confectionner leurs nids.
Un arbre couvert de lichen
Des bio-indicateurs de pollution
Ainsi, la présence de lichens est essentielle au bon fonctionnement des écosystèmes. Mais elle permet aussi de constater les variations des niveaux de pollution.
Dans la seconde moitié du 19e siècle, le botaniste finlandais William Nylander répertorie les lichens du Jardin du Luxembourg, à Paris. Alors qu’il compte une trentaine d’espèces en 1866, ces dernières ont toutes disparu trente ans plus tard. Le botaniste est alors le premier à faire le lien entre disparition des lichens et pollution de l’air au dioxyde de soufre, rejeté par la combustion de charbon.
Du fait de leur alimentation par captage d’eau et absorption de l’air et leur croissance lente, les lichens sont des éponges à polluants : « Tout ce qui rentre dans le lichen y reste : c’est un bioaccumulateur des substances que l’on trouve dans la nature » confirme Clother Coste
Ainsi, des collectivités territoriales font aujourd’hui appel à des lichénologues pour évaluer la qualité de l’air. Clother Coste se déplace ainsi pour constater l’évolution des populations de lichens sur des « placettes » qu’il délimite sur des arbres :
« Ce sont des espaces sur les troncs, à hauteur de vue, où on imagine une ligne d’environ 30 centimètres de large, avec des carrés de 10 cm à l’intérieur. On regarde spécifiquement dans chaque carré ce qu’il y a comme espèces. »
Le naturaliste revient ensuite pour constater les évolutions du nombre d’espèces, mais aussi de la densité d’individus. Il tente ensuite d’en tirer des conclusions en fonction des caractéristiques de chaque lichen.
« Dans une ville, le long d’une rivière, les lichens avaient régressé de façon dramatique, raconte Clother Coste. J’ai finalement compris qu’il y avait un incinérateur à 2 km, dont les fumées, poussées par les vents dominants, suivaient le corridor formé par les berges de la rivière. »
Si certaines espèces de lichens peuvent ainsi totalement disparaître d’une zone en quelques mois, d’autres au contraire, se développent du fait de la pollution humaine. Dans les années 1970, le développement des engrais chimiques provoque une forte concentration en azote qui conduit à la prolifération de lichens nitrophyte – qui apprécient le nitrate – sur la basilique Notre-Dame de l’Épine, dans la Marne.
Les évolutions de peuplement de lichens permettent également de constater les effets du changement climatique ou encore de mesurer la radioactivité. Malgré cela, Clother Coste, constate que la France compte encore peu de lichénologues.
« On n’est pas beaucoup, mais le Conservatoire Botanique National commence à embaucher des lichénologues pour travailler sur le terrain, se réjouit-il. Et des communes nous demandent de suivre la qualité de l’environnement. »
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