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Les lémuriens aussi font des tubes et ils risquent de disparaître

Et si les lémuriens étaient mélomanes ? Une théorie originale, non formalisée dans le cadre de l’étude, révèle des similitudes rythmiques entre les vocalisations des indris et l’introduction du morceau « We Will Rock You » de Queen. Sans surprise, cette idée a rencontré un certain écho médiatique.

Un groupe d’une quinzaine de scientifiques, pour l’essentiel issu·es de l’Université de Turin et du Groupe d’Étude et de Recherche sur les Primates de Madagascar (GERP) à Antananarivo, a étudié les caractéristiques rythmiques du chant de l’indri – l’une des plus grandes espèces actives de lémuriens, habitant les régions forestières et montagneuses malgaches. Leurs observations ont été publiées en 2022, à l’occasion d’un numéro spécial de la revue francophone de primatologie. Selon l’article, les primates disposeraient de capacités de communication remarquables, sous certains aspects similaires à celles des oiseaux chanteurs et des êtres humains.

Une espèce menacée

Au fil du temps, l’indri (ou babakoto) s’est forgé une solide réputation, puisqu’il s’avère être le seul lémurien à appartenir au groupe des primates chanteurs. À Madagascar, les habitant·es le considèrent comme un animal sacré, voire « totem », à l’image de la tribu Betsimisaraka. Son culte, entretenu à travers la mémoire orale et documenté par des ethnologues et des naturalistes à partir du XIXe siècle, a fortement contribué à son estime populaire. Bien que le recours aux fady – terme spirituel local désignant un ensemble d’interdictions et de tabous – ait protégé l’indri durant des décennies, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) le classe, depuis 2012, parmi les espèces en danger critique d’extinction.

D’après les spécialistes, au plus fort des estimations, 10 000 individus peupleraient l’île, répartis de façon hétérogène dans certaines forêts tropicales humides et réserves naturelles situées à l’est – de 5,2 ind/km² à Mantadia jusqu’à 26,7 ind/km² à Analamazaotra. L’érosion des tabous a certes contribué à l’accélération des cas de braconnage et donc à la raréfaction de l’espèce, mais d’autres causes appellent des changements structurels profonds. Rio Heriniaina, primatologue et enseignant-chercheur à l’École des Sciences Agronomiques et Environnementales de Diégo à Madagascar (ESAED), s’inquiète de l’exploitation des ressources naturelles associées à l’habitat de l’indri : 

« Dans notre pays, les industries minières sont en pleine activité. Et l’État prévoit désormais de construire une autoroute traversant un corridor écologique qui abrite des espèces sensibles telles que l’indri indri. Bien que des politiques environnementales existent, la mise en œuvre effective de la conservation repose encore largement sur l’engagement et les efforts conjoints des différentes parties prenantes », analyse-t-il, pour La Relève et La Peste.

À cela s’ajoutent les coupes illégales d’essences de bois, comme Ocotea, qu’utilise l’indri à la fois dans ses trajets arboricoles et son alimentation, ensuite transformées en ameublement – poussant ainsi les animaux à l’exode.

Un indri installé au sommet d’un arbre – Crédit photo : Leejiah Dorward

À l’écoute de l’indri

Depuis vingt-cinq ans, le groupe de recherche scientifique actuellement coordonné par Marco Gamba, professeur de zoologie à l’Université de Turin en Italie, tente de percer à jour les mystères des lémuriens. À la lumière d’observations réalisées à Madagascar au début des années 2000, ses membres ont considéré l’opportunité de rédiger une étude sur le chant « stupéfiant » de l’indri. « Chaque nouvelle publication scientifique stimule l’enrichissement des connaissances sur cette espèce, tout en renforçant les arguments scientifiques en faveur de sa protection », abonde Rio Heriniaina, pour La Relève et La Peste.

Ce projet s’est finalement structuré grâce à des fonds privés ayant permis la création d’un centre de recherche polyvalent et d’une aire forestière protégée sur l’île. Sitôt installé·es, les expert·es ont entrepris un travail d’analyse méthodique : de longues sessions de huit à neuf heures en forêt, consacrées à l’enregistrement des vocalisations des indris et à l’analyse de leurs comportements sociaux et spatiaux. 

Avec le souci de respecter l’intimité des animaux, ce qui excluait à la fois tout contact physique et la pose de colliers électroniques. Enfin, la seconde phase de l’opération a consisté à mettre en place, entre 2017 et 2022, un suivi acoustique passif de la forêt via la technologie AudioMoth – étape à laquelle a pris part Rio Heriniaina, en effectuant notamment des enregistrements à Mahatsara, dans la région d’Andasibe, en binôme avec Walter Cristiano, doctorant à l’Université de Turin. En outre, des études vocales complémentaires sont prévues sur d’autres sites afin de consolider leurs données – inédites.

Pour l’heure, les échantillons recueillis par le groupe de scientifiques nous apprennent que le chant de l’indri, fait de rugissements et de notes plus longues, permet des connexions à longue distance, et que la majorité est émise entre 6 h et 13 h. En dehors de cette plage horaire, les communications se voient réduites au cercle familial ; la nuit, les animaux, silencieux, veillent à se tenir éloignés du fossa, l’un des mammifères les plus dangereux de Madagascar.

En cas de prédation terrestre ou aérienne, l’indri utilise des cris d’alarme, le chant étant réservé à des fonctions spécifiques : signaler sa présence en un lieu donné, engager des confrontations vocales avec des groupes voisins, et retrouver ses congénères, égarés durant la période d’alimentation.

 « Nous étions si enthousiastes […] que ces résultats nous ont poussé à étudier d’autres espèces. Nous avons commencé à examiner les gibbons huppés et les singes titi, ce qui nous a permis de composer une mosaïque d’ensemble que nous espérons compléter dans les années à venir », indique Marco Gamba, pour La Relève et La Peste.

Forêt humide du Parc national de Masoala – Crédit : Frank Vassen

Sur le son de Queen

Et si les lémuriens étaient mélomanes ? Une théorie originale, non formalisée dans le cadre de l’étude, révèle des similitudes rythmiques entre les vocalisations des indris et l’introduction du morceau « We Will Rock You » de Queen. Sans surprise, cette idée a rencontré un certain écho médiatique. « C’est une excellente piste de recherche que nous avons lancée il y a plusieurs années avec des collègues de l’Université de Rome, La Sapienza », commente Marco Gamba, pour La Relève et La Peste. Cette comparaison s’appuie sur trois séquences temporelles – la première pareille au son d’un métronome (1:1), et les deux autres constituées d’intervalles présentant des variations rythmiques successives (1:2 et 2:1).

À ce titre, l’étude spécifie que « les indris chantent à un tempo isochrone légèrement décroissant, similaire à un ritardandomusical ». De cet examen minutieux découle une interrogation pratique – sans doute fantasmée : l’oreille absolue est-elle un prérequis ? « Je suis un grand fan de heavy metal, mais je ne chante ni ne joue d’un instrument ; j’ai utilisé mes connaissances musicales de manière efficace, en lisant des articles scientifiques et en collaborant avec des ami·es, des étudiant·es et des chercheurs et chercheuses de talent. Quelques bases en programmation m’ont aussi beaucoup aidé », explique Marco Gamba.

Un lémurien gagné par la musique ? – Crédit : Nicolas Cegalerba

Du 20 au 25 juillet, Madagascar accueillera le 30ᵉ Congrès international de la Société de primatologie. Cet événement se déclinera sous la forme de conférences scientifiques et d’ateliers thématiques sur des espèces de chimpanzés, de gorilles, d’orang-outans et bien sûr de lémuriens. Il s’agira entre autres d’instruire les élites politique et financière, ainsi que des personnalités du monde associatif, à l’urgence écologique. « La conservation des primates ne dépend pas uniquement de la production scientifique ; elle nécessite une volonté de l’État comme des partenariats avec des universités, des journalistes et surtout des communautés locales, gardiennes de la forêt », déclare Rio Heriniaina, pour La Relève et La Peste.

Rodolphe Lamothe

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