Montreuil, tout près de Paris : une de ces banlieues très denses de la couronne parisienne, un de ces lieux soumis aux pics de chaleur sur des sols bétonnés et à de fortes concentrations de circulation. À Montreuil, passent des automobilistes qui travaillent partout en Ile-de-France, des bus en nombre insuffisant, bondés et irréguliers et des cyclistes pas encore assez nombreux !
L’avenue Gabriel Péri est une voie importante qui jusqu’à une date récente, était bordée de marronniers âgés de 50 à 80 ans dont l’ombre rafraîchissante permettait aux riverains de sortir même pendant les journées caniculaires. Ces arbres offraient un repère de saisonnalité à tous ceux dont la situation financière était trop précaire pour envisager des vacances.
L’histoire commence en 2019 lorsqu’un projet d’aménagement de l’avenue est envisagé et qu’un des marronniers tombe. Ses racines, maintenues dans l’eau par des canalisations vétustes, ont pourri. Le département, responsable de cette voie, fait effectuer un diagnostic : les coups répétés des voitures sur le tronc des arbres les affaiblissent et sont susceptibles de laisser l’armillaire (un champignon) s’installer.
Mais « Lors des diagnostics, nous n’avons pas observé la présence des fructifications de ce champignon armillaire. » précise le rapport.
Malgré tout, 20 arbres sont désignés comme malades ou faibles.
Aucune protection
À ce moment-là, rien n’est fait pour protéger les arbres. En 2020, 19 arbres sont abattus et les riverains en sauvent un. Mais, à la faveur du Covid-19, des pistes cyclables, dites transitoires, avaient été tracées et voilà que l’institution opposait cyclistes et défenseurs des arbres, quand de toute logique, ils devraient se comprendre et s’entraider.
Dès l’été 2020, on comprend que la décision est prise puisque la présentation du projet de réaménagement indique : « cette avenue se caractérise également par la présence d’un alignement d’arbres qui doit être renouvelé ». Une consultation suivie d’un bilan avait pourtant été annoncée, mais de bilan, il ne sera plus question.
Et pourtant, en 2021, une magnifique Charte de l’arbre municipale, inscrite dans le Plan Canopée 2020-2030 du département, est votée à l’unanimité et redonne espoir au collectif des riverains. La douche est glacée lorsque leur est annoncée l’abattage des 66 marronniers restants.
Au conseil municipal, deux élus se font l’écho de la détresse du collectif : Choukri Yonis et Pierre Serne, de gauche et écologistes mais dans l’opposition municipale. Les représentants EELV de la majorité soutiennent le projet d’abattage.
« On oppose de façon assez cynique les mobilités douces qui sont l’avenir pour réduire la place de la voiture en ville, au Vivant et donc au arbres. » s’insurge Choukri Yonis.
Le GNSA en renfort
Thomas Brail, créateur du Groupe National de Surveillance des Arbres se déplace sur les lieux et constate que les arbres ont été affaiblis par les coups des voitures mais qu’ils sont encore vaillants, et qu’il est donc possible de les conserver en les protégeant. Louis Vallin, également membre du GNSA, spécialiste des espaces verts depuis 4 décennies, confirme que seuls 7 arbres étaient malades sur ceux déjà abattus, en août 2022.
“De plus, ces marronniers ne faisaient courir aucun risque. Ils étaient taillés très petits, à peine plus de 5 mètres alors que ce sont des arbres qui peuvent monter à 25 mètres sans problème.” précise Thomas Brail.
Des référés se succèdent en vain puisque les abattages se font illégalement, c’est-à-dire dans le mépris des obligations juridiques et des formes démocratiques. Les autorisations préfectorales sont absentes ou arrivent le jour même, interdisant tout recours.
Les 24 août, 12 septembre et 7 octobre 2022, le bruit des tronçonneuses résonne de nouveau avenue Gabriel Péri.
Les expertises phytosanitaires commandées par le département se succèdent sans parvenir deux fois aux mêmes conclusions, et elles sont invalidées par le GNSA.
Aux référés, des raisons d’abattre toutes plus loufoques les unes que les autres sont opposées : la mineuse du marronnier, présente partout en France, qui ne tue pas les arbres ; l’armillaire, une affection que personne n’a constaté ; l’ustuline, idem ; et enfin, l’évocation de racines des arbres qui empêcheraient la rénovation des canalisations. Or, des canalisations avaient été rénovées en présence des mêmes arbres quelques temps plus tôt apportant la preuve par les faits.
La Police de l’environnement envoyée par l’Office français de la biodiversité pendant l’été, constate et documente la présence de nids, donc d’oiseaux.
À la veille de l’abattage final, et de nuit, 50 nids de chauve-souris, espèce protégée, sont bouchés, pour s’assurer qu’aucun animal ne sera présent. Mais la loi précise qu’on ne doit pas détruire leur habitat.
Condamnés à mort
Condamnés, ils l’ont été dès l’origine. Malgré la Charte de l’arbre, malgré le plan Canopée, malgré la loi, bien qu’on ne cesse de répéter à quel point les arbres sont indispensables pour éviter les îlots de chaleur, pour accroître la biodiversité en ville et pour le bien-être des citoyens.
Abattus, ils l’ont été, ce 26 octobre dernier, malgré la bataille du Collectif Gabriel Péri, l’intervention du GNSA, malgré l’illégalité dans laquelle tournaient les tronçonneuses, malgré le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité.
Disparus, ils le sont et avec eux une intelligence du Vivant. Et ce ne sont pas les petits arbres, éventuellement replantés, qui les remplaceront. Car, Monsieur de La Palisse aurait pu l’énoncer : il faut cinquante ans pour faire un arbre d’un demi-siècle ! Et avec les canicules qui se multiplient, on sait à quel point il est difficile de faire grandir de jeunes arbres en ville.
« Il va falloir penser l’urbanisme autour du Vivant, et non l’inverse. » dit Thomas Brail. On commence quand ?
Un reportage d’Isabelle Vauconsant, co-fondatrice d’Hortus Focus : un magazine indépendant, en ligne, qui traite d’écologie, de jardin et de patrimoine végétal.