Les gorilles de l’Ouest nous prouvent une fois de plus que les décisions de groupe ne sont pas l’apanage des humains. Ces grands singes, que l’on pourrait croire guidés par un chef tout-puissant, révèlent au contraire une organisation bien plus nuancée, marquée par un véritable processus collectif de prise de décision. Dans une étude récemment publiée dans Proceedings of the Royal Society B, Lara Nellissen, doctorante à l’Université de Neuchâtel, met en lumière une forme de démocratie animale étonnante au sein de cette espèce, ouvrant de nouvelles perspectives sur l’intelligence collective des primates.
Le « vote » des gorilles : une décision partagée
Pour ces gorilles, dont l’existence repose sur un régime riche en fruits et nécessite une connaissance fine et précise de leur habitat, le déplacement est une affaire sérieuse. Ce n’est pourtant pas le mâle dominant, le légendaire « dos argenté », qui tranche seul sur la direction à prendre. Il doit aussi tenir compte des préférences de ses congénères. D’après les observations de Nellissen et de son équipe dans l’aire protégée de Dzanga Sangha, en République centrafricaine, les gorilles vocalisent de manière spécifique avant tout déplacement important. Ces grognements, loin d’être de simples bruits, jouent un rôle crucial : ils permettent aux membres du groupe d’émettre leur avis, à la manière d’un vote
Un consensus vocal : la démocratie des primates
Pendant les cinq minutes qui précèdent le départ, les vocalisations augmentent de manière significative, signe d’une intense concertation collective. « Il est plausible que ces grognements fonctionnent comme des votes sur un projet commun », expliquent les chercheurs. Ce comportement, déjà observé chez d’autres animaux sociaux comme les suricates ou les macaques, laisse penser que les gorilles sont également dotés d’une forme de régulation sociale complexe, où l’opinion collective prime sur la hiérarchie.
Les chercheurs ont en effet constaté que, même si tous les adultes initient parfois un départ en s’éloignant du groupe, la probabilité que celui-ci suive augmente nettement lorsque les grognements se multiplient. Ainsi, plus le nombre de gorilles exprimant leur « avis » est élevé, plus il est probable que le groupe se mette en mouvement, un phénomène qui rappelle un système de « quorum » : une fois qu’un nombre seuil d’individus a « voté » en faveur d’un mouvement, tous s’y rallient.
Une intelligence animale méconnue
Ces résultats nous incitent à reconsidérer notre perception de l’intelligence animale et de l’organisation sociale des grands singes. Bien loin d’être des êtres passifs se pliant aux ordres d’un chef, les gorilles de l’Ouest démontrent une capacité de coopération et d’écoute collective, où chaque individu semble avoir son mot à dire.
Le défi à venir pour les scientifiques est désormais de décrypter plus en profondeur le contenu des échanges entre les gorilles. Que signifient précisément ces grognements ? Les chercheurs espèrent que, grâce à l’aide précieuse des pisteurs Ba’Akas, des chasseurs-cueilleurs autochtones capables de distinguer chaque individu par ses vocalisations, ils pourront percer le mystère de cette forme de communication.
Vers une reconnaissance de l’intelligence collective animale
L’étude de Lara Nellissen, co-supervisée par la primatologue Shelly Masi du Muséum national d’histoire naturelle, marque une avancée significative dans la compréhension des comportements sociaux des animaux. Elle invite à porter un nouveau regard sur des pratiques qui, bien qu’ancrées dans l’instinct de survie, révèlent une sophistication inattendue dans les décisions prises en groupe. Les gorilles de l’Ouest nous montrent ainsi que la démocratie n’est pas qu’une affaire humaine et qu’elle peut être inscrite dans les dynamiques naturelles de bien d’autres espèces.
Alors que notre époque réévalue la relation entre l’homme et l’animal, ces découvertes nous rappellent la richesse et la diversité des intelligences qui peuplent notre planète. Nos cousins gorilles, en nous livrant un aperçu de leur capacité à agir de manière solidaire et concertée, nous donnent une précieuse leçon d’humilité et de respect envers le monde animal.
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