Ce jeudi 25 novembre, les personnels de l’Office national des forêts, soutenus par des associations et de nombreux élus, ont manifesté devant le siège de leur organisation, à Paris. Ils dénoncent les baisses continues de leurs effectifs, la marchandisation des forêts et la « privatisation rampante » de l’établissement public.
Alors que les arbres souffrent des conséquences du réchauffement climatique, le gouvernement assassine l’Office national des forêts (ONF). C’est le constat qu’ont martelé, jeudi 25 novembre, les organisations syndicales, associations et élus rassemblés avenue de Saint-Mandé, dans le 12e arrondissement de Paris, pour protester contre le démantèlement programmé des services forestiers.
Le 2 juillet dernier, l’adoption du contrat État-ONF pour les années 2021-2025 a été perçue comme un énième coup de poignard porté à l’établissement public.
Ce document-cadre, approuvé de justesse par un conseil d’administration divisé, a entériné la suppression de 475 postes supplémentaires en cinq ans, dans un office plus que jamais exsangue.
En 35 ans, l’ONF a perdu près de 40 % de ses effectifs : de 16 000 salariés que comptait l’office en 1986, il n’en reste plus que 8 400, auxquels l’État confie pourtant un nombre équivalent de missions et exige une plus grande rentabilité.
Démantèlement programmé
Ces suppressions de postes continuelles viennent s’ajouter à une série de mesures structurelles dans lesquelles se dessine la stratégie de l’État, sans équivoque : le démantèlement.
Adoptée en octobre 2020, la loi dite d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) a par exemple autorisé le gouvernement à élargir, par ordonnances, « les possibilités de recrutement d’agents contractuels de droit privé », qui pourront désormais « concourir à l’exercice de l’ensemble des missions confiées à l’Office [national des forêts], y compris la constatation de certaines infractions ».
Conjointe au gel, il y a quatre ans, des concours de recrutement de techniciens forestiers, cette réforme devrait permettre, à terme, de vider entièrement l’ONF de ses fonctionnaires, auxquels seront substitués des agents privés plus maniables – et 20 % moins chers.
« En parallèle de cette loi destructrice, des projets de filialisation sont étudiés pour retirer certaines activités à l’ONF, témoigne Loukas Bénard, technicien forestier en Haute-Marne et représentant du syndicat CGT-Forêt, pour La Relève et La Peste. Toute une partie de nos travaux sylvicoles, comme l’élagage, en sera fortement impactée. »
Selon le syndicaliste, présent à la manifestation de jeudi, ce sont les ouvriers qualifiés qui subissent les plus importantes suppressions d’emplois.
« Sur le terrain, déplore-t-il, l’État préfère de plus en plus avoir recours à de l’intérim ou de la sous-traitance, alors que c’est la perpétuation, au sein d’un service public, de ces compétences majeures qui a toujours permis de transmettre les forêts aux générations suivantes. »
Un patrimoine exceptionnel, mais fragile
Les forêts couvrent 31 % du territoire métropolitain, soit 17 millions d’hectares, trois de plus qu’en 1985. Sur ces 17 millions d’hectares, plus de 25 %, les forêts publiques, dépendent de l’ONF, dont les missions vont de la commercialisation du bois à la protection de l’environnement, en passant par l’accueil du public et la prévention des risques naturels.
Les domaines à gérer sont toujours plus grands, les effectifs toujours plus minces : chaque garde-forestier doit aujourd’hui gérer, en moyenne, 2 000 hectares de forêts. C’est 1 200 de plus que dans les années 1980.
Ce fragile équilibre est d’ailleurs compromis par les défis du réchauffement climatique, aussi immenses qu’imprévisibles : dépérissement de certaines espèces, augmentation des incendies et des tempêtes, glissements de terrain, prolifération de parasites tels que les scolytes, qui ravagent les forêts d’épicéas, dans le nord-est de la France.
C’est cette situation qui fait craindre à Loukas Bénard que les fondements mêmes de l’ONF soient en péril.
« Les effectifs sont si réduits que nous ne parvenons pas à réaliser correctement nos missions, confie-t-il, notamment toutes celles qui relèvent de la gestion (suivi des exploitations, contrôle des infractions) et de l’environnement (étude des écosystèmes, surveillance des milieux…). À force, on se dit que l’objectif de nos patrons, c’est la production de bois. »
Vers une marchandisation des forêts
Jusqu’ici, le statut de fonctionnaires permettait aux techniciens de résister, tant bien que mal, aux pressions de l’industrie forestière et aux exigences de rentabilité : espaces multifonctionnels, les forêts devaient avant tout profiter au bien commun, la « valorisation » des domaines n’étant qu’un aspect, parmi d’autres, des mille et une missions de l’ONF.
Mais avec la « privatisation rampante » de l’office public, les syndicats et les associations redoutent que la logique productiviste du gouvernement prenne le dessus sur celle de service et que les forêts se transforment, peu à peu, en « usines à bois ».
En se débarrassant des fonctionnaires, l’État prive ses étendues vertes de gardiens assermentés que des agents contractuels ne sauraient remplacer. D’un statut précaire et révocable, isolés, comment ceux-ci pourront-ils s’opposer à leur employeur, aux préfets réglementant les coupes rases ou aux acteurs du secteur, puissants et organisés ?
Posées par la manifestation de jeudi, ces interrogations resteront une fois de plus sans réponse. Au cours d’un défilé suivi de près par les forces de l’ordre, l’intersyndicale de l’ONF est parvenue, en milieu d’après-midi, devant le ministère de l’Économie (Paris 12e), où elle espérait être reçue. Mais ni l’Élysée, ni le ministère de l’Agriculture, ni Bercy n’ont donné suite à ses revendications.
Approuvé en conseil d’administration, le contrat État-ONF devrait être adopté d’ici peu.
Crédit photo couv : Canopée Forêts Vivantes