Une étude change notre regard sur les bonobos. Après avoir observé six communautés de bonobos (Pan paniscus) pendant presque trente ans en République Démocratique du Congo, les conclusions sont que les femelles s'allient pour maintenir ou conquérir le pouvoir dans leurs groupes.
Les études regorgent de multiples données dont il est intéressant de faire le tour et c’est avec Benoit Grison, Docteur en Sciences Cognitives, biologiste et sociologue des sciences, que nous allons nous livrer à cet exercice.
Benoit Grison s’intéresse à l’évolution de la cognition et de la culture animale. Cette étude publiée par Martin Surbeck de l’Université de Harvard ne lui avait donc pas échappé. Dès le début de l’entretien, il insiste sur le fait que s’il est exact que les femelles bonobos savent s’allier pour contrôler des mâles agressifs, ce n’est pas tout. Cette étude montre également que ces femelles créent des coalitions d’intérêt.
« Ces coalitions d’au moins deux femelles sont très stratégiques. Elles ne sont pas liées aux amitiés, ni aux réseaux d’affinités mais montrent qu’elles savent anticiper, élaborer des hypothèses sur ce que pense l’autre et construisent des scénarios dans le temps. C’est ce qu’on appelle la cognition sociale qui associe raisonnement et stratégie » explique le biologiste Benoit Grison pour La Relève et La Peste.
Les femelles bonobos, reines en puissance
La nouveauté dans cette étude est donc cet aspect particulier : la cognition sociale. Chez la plupart des mammifères sociaux, les mâles dominent les femelles. Chez les bonobos, les rapports de sexes sont fondés sur une dynamique des forces très différente.
« Chez les bonobos, on sait depuis une vingtaine d’années qu’une femelle peut prendre le leadership du groupe. Lorsqu’une coalition de femelles prend le pouvoir, la plupart des mâles se rallient au pouvoir en place, ce qui ne signifie pas que ce pouvoir soit stable. Il peut être remis en cause tous les jours. »
De fait, les femelles parviennent à maintenir un statut social élevé, souvent supérieur à celui des mâles. Et ce qui restait inexpliqué s’éclaire.
Les femelles peuvent monter des coalitions dans le seul but d’agresser les mâles, montrant par là une égalité quasi parfaite, y compris dans l’agressivité. Leurs victoires les élèvent en matière de rang social dans le groupe. C’est donc par la solidarité qu’elles parviennent non seulement à se protéger mais aussi à gravir des échelons dans leurs groupes.
L’étude de Martin Sturbeck montre que dans 85 % des coalitions observées, les femelles qui ont attaqué collectivement les mâles ont pu les forcer à se soumettre. Il s’agit jusqu’ici de la première preuve que la solidarité féminine peut inverser la structure de pouvoir dominée par les mâles, typique de nombreuses sociétés de mammifères.
« Toutes ces études relativisent la vision des bonobos un peu naïve que l’on avait il y a 20 ou 25 ans. On considérait alors que les bonobos faisaient baisser les tensions sociales seulement par la sexualité. »
De nombreuses espèces de mammifères, surtout des primates, présentent un dimorphisme sexuel en faveur des mâles en termes de taille et d’aptitude au combat. Les bonobos n’échappent pas à la règle. Pour autant, le rapport sexuel n’est pas forcé, les femelles peuvent s’y opposer bien que les mâles soient dotés d’une plus grande force.
« Elles développent tout un tas de stratégies qui leur permettent de s’accoupler essentiellement avec les mâles qui les attirent » précise le biologiste Benoit Grison pour La Relève et La Peste.
Bonobos – Crédit : NauticalVoyager / Wikimedia Commons
Stratégies d’influence
Ensuite, les femelles leaders savent mettre en œuvre des dynamiques de lignée pour leurs rejetons mâles qu’elles poussent à rencontrer le plus grand nombre de jeunes femelles afin de maîtriser les dynamiques de pouvoir pour l’avenir. Il s’agit de maximiser le nombre des descendants afin d’influencer les luttes de pouvoir. Elles les utilisent comme des pions génétiques.
En clair, les femelles écartent certains mâles aux profits de leurs propres descendants. Pour cela, on a constaté qu’elles préfèrent la ruse à la violence. Ces stratégies sont plus ou moins couronnées de succès sur le long terme mais force est de constater qu’elles projettent leur pensée et imaginent celle de l’autre pour manœuvrer et intriguer. C’est également comme cela qu’elles constituent leurs coalitions de contrôle des mâles.
Sur le plan des dynamiques sociales, leurs capacités cognitives leur permettent donc de raisonner et de concevoir des logiques de domination, fondées sur la prise de pouvoir ou sur l’influence, dans un temps long.
C’est une réelle différence avec les grands chimpanzés dont les groupes sont dominés par les mâles les plus agressifs et qui pratiquent une coercition sexuelle souvent violente vis-à-vis des femelles.
Un petit bonobo de 3 ans sourit – Crédit : William H. Calvin / Wikimedia Commons
Les bonobos, société non patriarcale
Alors qu’on opposait les bonobos avec les grands chimpanzés, très agressifs et les rapprochait des humains, on sait depuis que les bonobos et leurs coalitions savent être très agressifs qu’ils soient mâles ou femelles. Les coalitions de femelles peuvent même être très violentes avec certains mâles qu’elles veulent contrôler. Dans le cadre de certaines stratégies de pouvoir, elles vont jusqu’à les blesser.
« Le monde des bonobos n’est pas le monde non-violent qu’imaginent les gens. Toutefois, comme on peut le voir chez les grands chimpanzés et chez les humains, il n’y a pas d’acharnement sur les vaincus. Ils se soumettent au pouvoir de la coalition et la rejoignent qu’ils soient mâles ou femelles, validant ainsi une forme de démocratie particulièrement musclée » analyse le biologiste Benoit Grison pour La Relève et La Peste.
Le fait que le patriarcat ne soit pas une évidence est mis en valeur par cette étude qui, s’ajoutant aux précédentes, dessine une société de mammifères capables de s’organiser de façon quasi égalitaire malgré la dysmorphie physique qui attribue plus de force aux mâles.
Clairement, la construction de coalitions et la mise en œuvre de collaborations fondées sur une vision stratégique permet au pouvoir de tourner entre les groupes et les sexes.
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