Alors que des personnes dorment dans la rue en plein hiver, les bureaux des entreprises restent en partie chauffés en dehors des horaires de travail. C’est ce constat qui a poussé une quinzaine d’entrepreneurs nantais à créer l’association Les Bureaux du Cœur. Entretien sur cette démarche solidaire avec Pierre- Yves Loäec, son fondateur.
« Il y a deux ans j’avais un parking dans le centre-ville de Nantes pas loin de mon bureau », raconte-t-il. « Je croisais une femme qui dormait près d’une bouche d’aération. Je me suis dit : c’est pas possible j’ai des bureaux qui sont chauffés, une douche…Elle serait tellement mieux là. Mais j’ai manqué de courage et je l’ai pas fait. Je l’ai recroisé plus tard et cette fois j’en ai parlé à des collègues ».
Ceux-ci se mettent à interroger des associations pour savoir si l’initiative pourrait les aider. En novembre 2019, l’agence de communication dirigée par M. Loäec accueille sa première invitée, une femme victime de violences conjugales.
« Elle avait fui son logement et dormait dans sa voiture. On l’a accueilli le temps qu’elle retombe sur ses pieds. On n’a pas inventé l’idée », note M. Loäec. « Par contre on est sans doute les premiers à s’organiser pour convaincre d’autres gens de faire pareil ».
L’association veut faire comprendre que les bénéfices d’une telle démarche sont multiples. D’abord pour les personnes hébergées, comme le décrit Souleymane Diarra, logé depuis le mois d’octobre après 2 ans dans la rue :
« Ce n’est pas qu’un logement. Il y a une certaine autonomie mais il y a aussi des règles à respecter. Les Bureaux du Cœur, c’est une opportunité et un coup de pouce pour avancer et se projeter. Le matin, lorsque les salariés arrivent, c’est convivial et ça donne la pêche ! ».
Pour les entreprises également, le bénéfice est réel.
« Avec mes collaborateurs, on vit une expérience de vie assez unique », témoigne M. Loäec. « On rencontre des gens avec qui on n’aurait jamais parlé. Certains sont sortis de prison, d’autres ont fui leur pays en passant par la Lybie… Je suis convaincu que c’est un bénéfice pour eux individuellement ».
Les salariés échangent avec les invités, et les aident parfois pour des démarches administratives ou pour refaire leur CV.
« Ici, on ne me juge pas par rapport aux difficultés que j’ai eu par le passé », constate S. Diarra. « On me pousse vers le haut, ça m’encourage à aller de l’avant ! ».
Depuis le début de l’aventure, environ 150 personnes ont été hébergées.
« Tous les gens passés chez nous ont connu un mieux après », se réjouit M. Loäec. « Certains ont intégré un programme de résinsertion. Souleymane, qui a eu affaire à la justice, a intégré une autre association. Il vit dans un appart et peut maintenant héberger sa fille. Notre vraie satisfaction c’est ça. »
« C’est d’une simplicité immense », continue-t-il. « Vous donnez les clés à quelqu’un, vous lui dites de venir en fin d’aprèm, vous vous croisez en partant. Il a une armoire où il peut laisser ses affaires, il peut se doucher, regarder la télé, stocker sa nourriture dans le frigo. Le lendemain, on lui demande juste d’être prêt à 8h et le week-end, c’est chez lui. Il n’y a jamais eu de problème ».
Les Bureaux du Cœur s’appuient sur des associations comme Saint Benoit Labre ou Permis de construire pour choisir les personnes à accueillir.
« On ne peut pas gérer des gens avec des problèmes psychologiques, ou avec des problèmes d’hygiène, ou des animaux…Ça représente donc une petite partie des gens dans la rue, peut-être 20 à 30%. Mais on libère 20 à 30% de lits dans les accueils d’urgence ».
Le coût d’un lit d’urgence dans un centre d’accueil est de 10 000 euros par an. « Quand on héberge quelqu’un chez nous on fait économiser à la collectivité », conclut M. Loäec. « On fait de la solidarité sans faire de chèque ! ».
Deux ans après la première personne accueillie, l’association s’est étoffée de nouveaux et nombreux bénévoles. Plus d’une vingtaine de délégations ont ouvert à travers toute la France grâce à l’engagement de 80 personnes. Une montée en puissance de la solidarité, lorsque l’on sait qu’en 2021 ils étaient seulement sept.
“Ce serait mentir que de dire que toutes les expériences aux bureaux permettent aux bénéficiaires de pérenniser leur situation, mais dans la majorité des cas nous avons de belles histoires, qui nous donnent envie de poursuivre cette aventure parce qu’on y croit dur comme fer” raconte Elia, salariée de l’association
Les chiffres permettent d’avoir un indicateur quantitatif de la réussite du projet, mais l’association s’intéresse surtout à la qualité de cette expérience pour les bénéficiaires. Au final, les Bureaux du Coeur doivent leur permettre de reprendre confiance en eux.