Le documentaire L’intelligence des arbres nous concerne tous, peut tous nous toucher et changer notre vision des forêts, de leur fonctionnement, mais aussi de leur exploitation et de leur dégradation par les êtres humains. Réalisé par Julia Dordel et Guido Tölke, il montre principalement la convergence des observations d’un forestier, Peter Wohlleben, et d’une scientifique de la British Columbia University au Canada, Suzanne Simard. Avec beaucoup de simplicité, ils montrent que la vie végétale est beaucoup plus intense que ce que l’on imagine généralement.
Les arbres communiquent
La première chose que nous apprend ce documentaire c’est que les arbres communiquent par un réseau dense de mycorhizes : l’association symbiotique des champignons et des racines des arbres. Les champignons sont composés dans leur partie souterraine par des hyphes, des filaments très fins qui deviennent visibles une fois entrelacés et forment le mycélium. Ce mycélium colonise les racines des arbres environnants et finit par relier différentes espèces les unes aux autres, formant un réseau très fourni.
Ils s’échangent ainsi des nutriments, par le biais de ce réseau parfois appelé le World Wide Wood. Même deux espèces différentes interagissent, leurs racines étant en permanence connectées.
« Quand les arbres-mère sont blessés ou mourants, ils envoient aussi des messages de sagesse à la prochaine génération d’arbres (…) pas seulement du carbone mais aussi des signaux de défense. Et ces deux éléments ont augmenté la capacité de résistance des arbres récepteurs aux stress futurs », explique Suzanne Simard dans le TED talk qu’elle a donné en juin 2016.
Ces réseaux mycorhiziens ont des points nodaux, des hubs si l’on veut : les arbres les plus anciens ou « arbres-mère », qui sont une réserve de mémoire sur les maladies, les températures, les périodes de sécheresse ou de froid, en bref une réserve d’expérience de tout ce qui pourrait nuire à la forêt dans le futur.
Des « forêts simplifiées qui manquent de complexité »
Ces connaissances sur les connexions qui relient les arbres entre eux, les constituant en système d’interdépendance, sont très mal connues de l’industrie forestière, et c’est un réel problème tant pour Peter Wohlleben que pour Suzanne Simard qui déplore la pratique de la coupe claire.
« En 2014, l’Institut des Ressources mondiales a rapporté que dans la décennie passée, le Canada avait eu le plus haut taux de perturbation des espaces forestiers du monde. (…) Au Canada, c’est 3,6% par an. Selon mes estimations, c’est environ 4 fois le taux acceptable ».
Lorsque l’on parle de perturbation ou de dégradation des forêts, c’est d’abord aux coupes claires que l’on fait référence, c’est-à-dire l’abattage de la totalité des arbres dans une zone donnée. La déforestation est certes un problème épineux puisque chaque année dans le monde, environ 15 millions d’hectares de forêt disparaissent, mais la replantation est tout aussi problématique et ne peut être résumée à un chiffre qui indiquerait le nombre d’arbres plantés. Il s’agit trop souvent de replanter une ou deux espèces seulement, négligeant la biodiversité végétale initiale de la portion de forêt déboisée, favorisant la propagation de maladies ou l’absence de résistance aux changements climatiques.
Peter Wohlleben compare les monocultures et les forêts intactes, et le constat est assez flagrant :
« Des recherches ont été faites sur des forêts de hêtres. Les chaudes journées d’été, celles laissées intactes sont plus fraîches de 3,5°C en moyenne que celles exploitées ».
Or, selon l’ONF, en 2005 il n’y avait déjà plus que 36,4 % de forêts primaires dans le monde, soit des forêts dont la biodiversité végétale est intacte !
Le mode d’exploitation des forêts doit changer
Peter Wohlleben et Suzanne Simard en sont convaincus, changer notre regard sur les forêts et surtout notre manière de les exploiter est capital avant qu’il ne soit trop tard.
Les engins utilisés pour tracter le bois coupé tassent le sol de manière irrémédiable et il faut attendre la glaciation suivante pour que celui-ci retrouve ses qualités originelles. Ainsi, les chevaux sont de plus en plus préférés aux machines pour ces travaux de tractage. Moins de machines cela signifie également davantage d’emplois.
Peter Wohlleben nous en donne un exemple pratique dans la forêt qu’il gère en Allemagne.
« Dans notre village de 470 habitants, avant de changer de méthode, la forêt engendrait un emploi, celui du forestier. Contre sept aujourd’hui. (…) L’écoforesterie permet également de gagner plus d’argent. Car plus une forêt est saine, plus elle produit de bois, et de plus grande valeur. Notre municipalité perdait 75 000 euros par an, elle en gagne désormais 300 000 à 500 000 ».
L’industrie forestière doit donc profondément se renouveler afin de ne pas continuer à taper à l’aveugle dans une ressource beaucoup plus complexe en profondeur qu’en apparence. Il ne suffit pas de replanter n’importe comment après avoir déboisé, c’est tout le système d’exploitation qui doit être refondé, en supprimant notamment la pratique des coupes claires, désastreuse pour les écosystèmes.
En cela, le documentaire L’intelligence des arbres est absolument capital. Il peut être l’instrument d’une prise de conscience de grande envergure, comme peut l’être également le livre de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres. La liste des séances est disponible ici.
Mémo pour les puristes, aussi parfois appelés haters
Certains critiqueront l’anthropomorphisme apparent du documentaire mais peut-être qu’il faut à un certain moment dépasser des questions de forme pour s’intéresser au contenu des choses plutôt qu’à l’emballage. Pensons simplement un instant aux vers de Lucrèce dans De la nature (traduction d’Ariel Suhamy) :
« Pour donner aux enfants l’absinthe qui répugne,
D’abord les médecins, tout autour de la coupe,
En imprègnent les bords de miel doux et doré ;
Cet âge imprévoyant est joué jusqu’aux lèvres,
Le temps de boire jusqu’au bout le suc amer
De l’absinthe. Ils sont pris, mais non pas pris au piège :
C’est plutôt par ce biais qu’ils recouvrent leurs forces. »
L’anthropomorphisme est évidemment un procédé rhétorique qui a pour but de rendre ce savoir scientifique très pointu beaucoup plus accessible. Peter Wohlleben le dit lui-même dans un entretien accordé à Libération :
« Quand j’ai commencé à animer des visites guidées, j’abordais des notions trop ardues, je décrivais les arbres sans langage imagé, les gens s’ennuyaient. J’ai appris à parler de façon compréhensible, en faisant appel aux émotions. Et on ne peut comparer qu’avec ce qu’on connaît ».