Dans 2 rapports, l’ONG Reclaim Finance décrypte comment les 4 plus grandes banques françaises continuent d’investir dans les énergies fossiles, dont le charbon. L’occasion d’explorer quelques failles des politiques environnementales des 4 plus grandes banques françaises - BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE/Natixis - et de se tourner vers des alternatives durables.
Vers un désengagement des énergies fossiles ?
En 2020, Oxfam France sonnait l’alarme : « l’empreinte carbone des 6 principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, Banque Populaire Caisse d’Epargne, Crédit Mutuel et la Banque Postale – représente près de 8 fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière ». Alors qu’en 2015, les banques françaises s’étaient engagées à s’aligner sur l’Accord de Paris, Oxfam constatait qu’entre 2019 et 2020, les 4 plus grandes banques françaises – BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE/Natixis – avaient augmenté de 22 % leurs financements aux entreprises actives dans les énergies fossiles.
Suites à de nombreuses pressions de la part des ONG puis des principaux acteurs étatiques et financiers, ces 4 banques adoptent en 2020 des politiques de désengagement des secteurs polluants, notamment celui du charbon. Pourtant, quatre ans plus tard, les analyses de Reclaim Finance sur les transactions de ces banques entre 2021 et 2023 révèlent de nombreuses failles au sein de ces politiques supposément vertueuses. L’ONG, fondée en 2020 avec pour objectif de mettre la finance au service de la justice sociale et climatique, affirme en effet que les banques françaises donnent une image trompeuse en affichant une « sortie du charbon ».
L’impact de ces politiques
Quel rôle jouent ces politiques dans la réduction des financements au charbon et celle des émissions de CO2e qui y sont associées ? Pour Reclaim Finance, celui-ci est essentiel.
« Les financements (prêts et émissions d’actions et d’obligations) des quatre banques françaises aux entreprises du secteur listées dans la Global Coal Exit List (GCEL) ont ainsi baissé de 59% entre 2019 et 2023. Une étude de l’université d’Harvard publiée début 2024 estime que les politiques charbon des banques internationales ont permis une réduction des émissions de CO2e issues du charbon d’une gigatonne, soit presque l’équivalent des émissions de la France et de l’Allemagne en 2022 », indique le rapport “Banques françaises et charbon : l’art de noyer le poisson”.
Les politiques charbon des banques ont donc pour effet de réduire considérablement les émissions carbone. Cependant les financements des banques françaises aux entreprises du secteur, s’ils ont été réduits, n’ont pas été supprimés.
Double-discours
Entre 2021 et 2023, les 4 plus grandes banques françaises ont ainsi soutenu 9 groupes développeurs de mines ou centrales à charbon, 11 groupes sans date de sortie publique du secteur et 12 groupes avec des dates de sortie publiques du secteur non alignées avec la science sur le climat. Parmi ceux-ci, 20 groupes s’avèrent soutenus par BNP Paribas et 11 groupes par le Crédit Agricole.
Pour Reclaim Finance, « Les banques françaises se glissent dans les failles de leurs politiques sectorielles pour continuer à accorder des financements au charbon. Du fait du caractère incomplet ou imprécis de ces politiques, ces soutiens problématiques peuvent difficilement être caractérisés comme étant en infraction de celles-ci ».
L’ONG voit également un écart entre les pratiques des banques et les objectifs affichés, capables de tromper les investisseurs ayant ainsi une perception plus « vertes » de ces politiques.
TotalEnergies et les obligations
Alors que les agissements des plus grandes banques françaises se révèlent problématiques concernant le charbon, les mêmes noms se retrouvent dans les financements de Total Energies. La Société Générale, le Crédit Agricole et BNP Paribas figurent en effet parmi les 8 banques ayant le plus participé aux émissions d’obligations de TotalEnergies en 2024.
Cette année, la multinationale a émis avec succès des « obligations sur des durées anormalement longues » pointe Reclaim Finance dans le rapport “TotalEnergies et les marchés financiers : Le secteur financier s’engage pour des décennies de pollution”. Via ces obligations dont certaines s’étendent jusqu’à 2064, Total Energies a emprunté plus de 7 milliards de dollars, qui ne seront remboursés que dans plusieurs décennies.
Un nombre croissant de banques renoncent désormais à financer directement de nouveaux projets gaziers et pétroliers. Cependant, celles-ci se révèlent peu nombreuses à réellement cesser de soutenir les entreprises pétro-gazières. Les obligations constituent en effet une source de financement avantageuse pour les entreprises comme pour les banques, puisqu’à la différence des prêts, elles ne figurent pas sur le bilan des banques.
« La porte reste donc ouverte pour TotalEnergies et les autres entreprises du secteur, qui profitent de cette faille majeure dans les politiques sectorielles des banques », note le rapport.
Sur quoi misent les banques ?
Soulignons enfin que de nombreux scientifiques ainsi que le GIEC – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – rappellent qu’il est impératif de mettre un terme aux nouveaux projets d’exploitation des énergies fossiles. Or, un changement de contexte dans ce sens ne manquera pas d’augmenter le coût des infrastructures fossiles, d’impacter l’offre et la demande d’énergies fossiles ainsi que de générer des charges pour les entreprises du secteur fossile et leurs investisseurs.
« Compter sur les capacités de remboursement de TotalEnergies à très long terme constitue donc un pari risqué pour ses investisseurs », conclut le rapport.
« À l’inverse, s’ils font le choix d’investir dans TotalEnergies à très long-terme en connaissance de cause, cela laisse entendre qu’ils misent sur l’échec de l’action climatique et des réglementations qui en découleraient, tout en affirmant publiquement leur engagement en sa faveur ».
« La première empreinte carbone individuelle, c’est notre compte en banque »
En France, plusieurs banques « éthiques » ont émergé. « Si aucune banque n’est parfaite », peut-on lire sur le site changedebanque.org, quelques alternatives « sortent du lot et offrent des garanties crédibles sur leur volonté de répondre à l’urgence climatique ». Aux côtés de Green Got, Helios ou La Banque Postale, se retrouve le Crédit coopératif, première banque de financement de l’économie sociale et solidaire.
Coopérative financière fondée en 1988, la Nef revendique elle aussi « une finance saine et transparente », en choisissant de financer uniquement « des projets à plus-value écologique, sociale ou culturelle ». Citons enfin une autre manière de reprendre le contrôle sur son épargne : la placer directement dans des entreprises sociales et solidaires. À titre d’exemple, le mouvement Terre de Liens permet à une nouvelle génération paysanne d’acquérir des terres agricoles et d’installer des fermes en agriculture biologique, grâce aux fonds qui lui sont confiés.
Sources : “Banques françaises et charbon : l’art de noyer le poisson” et “TotalEnergies et les marchés financiers : Le secteur financier s’engage pour des décennies de pollution”.