En ces temps où nos modes de consommation sont remis en question par l’urgence de la dégradation du vivant, le végétarisme reprend de la vigueur et de nouvelles formes se déploient : végétarien, végétalien, flexivore. Parmi ces modes de consommation où chacun tente de trouver un équilibre entre sa conscience et ses besoins, le pesco-végétarisme pose plusieurs questions.
La pesco-végétarisme consiste à ne plus manger de viande mais à continuer à manger du poisson et des crustacés. Le prix du bon poisson étant très élevé, c’est souvent du poisson d’élevage qui est consommé. Dans les raisons invoquées pour cette pratique, la santé : les vertus du poisson sont en effet nombreuses, et satisfait ceux qui s’inquiètent de carences en protéines ou oligo-éléments. Mais une autre cause est à chercher dans ce qui motive le choix de ne plus consommer d’animal : le refus de la souffrance animale dans le cadre de l’élevage de masse.
Les vidéos des conditions d’abattage d’animaux ont en effet fait le tour des réseaux sociaux et ému plus d’un : la souffrance des poulets, vaches, veaux, et agneaux nous émeut. Qu’en est-il de la souffrance des poissons ?
La douleur est liée aux récepteurs sensoriels cutanés qui sont présents chez tous les vertébrés. Si les poissons ressentent la douleur autant que les mammifères, l’expression de cette douleur nous est plus étrangère. Les poissons ne crient pas et ne s’effondrent pas dans un nuage de poussière. Si la chasse récréative est souvent décriée, il n’en n’est rien de la pêche récréative.
Les poissons sont des êtres doués d’intelligence. Nous sommes en train de découvrir la complexité de leur vie sociale. L’élevage intensif de poissons représente le même stress et les mêmes souffrances que dans les abattoirs. Ils sont entassés, affamés, abattus sur terre ou sur glace, électrifiés ou gazés. Mais les campagnes des ONG sont moins nombreuses et ont surtout moins d’impact que pour les grands mammifères. La raison ? Notre curieuse mais naturelle préférence pour les grands mammifères.
En tant que mammifères nous pouvons plus aisément nous identifier à leur souffrance qu’à celle des poissons ou des insectes. Mais un autre critère vient s’ajouter, en ces temps où la sensibilisation à la souffrance animale passe par les images des réseaux sociaux et les campagnes visant à émouvoir : un critère esthétique. Aujourd’hui mieux vaut être un animal avec de grands yeux, les traits doux, de belles couleurs, et des formes arrondies qu’un animal velu ou visqueux. Tant pis pour les vers de terre, les mollusques ou les poissons.
Nous nous émeuvons de certains attentats qui ont lieu dans des pays proches des nôtres ou dans des pays dont les destins sont médiatisés. Mais d’autres passent à la trappe. Pour les 42 civils assassinés au Burkina Faso dans un attentat terroriste la veille de Noël, point de hashtag “Je suis Burkinabé” ni de photo de profil facebook virant au noir. Cette injustice n’est pas à condamner car elle est normale dans le principe même de l’évolution : nous avons à faire des choix préférentiels.
La nature n’est pas égalitaire. Mais notre intelligence nous permet de sortir de nos présupposés et de comprendre le langage d’autres créatures. À l’heure où nous nous émouvons de “l’intelligence” des arbres, nous pouvons aussi apprendre à nous émouvoir de la souffrance des poissons, car notre émotion entraîne une modification de nos comportements de consommation et donc de la protection de ces animaux. Nos choix de consommation sont aussi des choix culturels. Il serait peut-être temps de remettre sur un pied d’égalité tous les êtres vivants dans notre symbolique, car notre survie dépend de chacune.