C’est la fin du Laboratoire écologique zéro déchet (LEØ), en tout cas en ce qui concerne son implantation à Pantin. Nous l’avions suivi dans son combat judiciaire contre son expulsion il y a 2 ans. Le délai accordé par la justice et le bénéfice de la trêve hivernale sont arrivés à leur terme le 16 avril dernier. La police peut débarquer à tout moment, menaçant la sécurité alimentaire des personnes qui dépendent des distributions du lieu.
L’ancienne friche industrielle qui sert de local au squat s’est en partie vidée.
« On a mis toutes nos affaires à l’abri », nous expliquent les fondateurs du lieu, en prévention de leur future expulsion. « Si tout va bien, une ville voisine va nous délivrer une convention », mais ils le savent bien, le temps administratif est un temps long.
Un immense écoquartier va venir s’imbriquer en lieu et place de l’ancienne zone industrielle et ferroviaire. Quelques 137.000 m² de logements dont 33% de logements sociaux, 126.500 m² d’activités, de services, et de bureaux ainsi que la plantation de 5 hectares d’espaces verts (dont un parc de 2,5 hectares) sont prévus par l’EPFIDF (Établissement public foncier d’Île-de-France), le propriétaire des lieux.
Le LEØ est passé devant le conseil municipal en décembre dernier. Thibault Noel, élu de la liste Nous Sommes Pantin, un collectif citoyen qui s’est présenté aux dernières élections, a soulevé la situation du squat, son action d’aide-alimentaire et les difficultés de logement à Pantin, mais le maire a acté une fin de non-recevoir.
Le socialiste Bertrand Kern qui, dans un élan de féminisme, a renommé sa ville « Pantine » pour une année, a en revanche accordé une autorisation d’exercer à la Cité fertile qui se trouve également sur la zone de l’écoquartier.
La Cité Fertile « c’est ESS », un projet à impact, « c’est une histoire de priorisation des publics », selon les fondateurs du LEØ, « parce que ce n’est pas le même public, au LEØ on est vraiment sur des familles en grande précarité qui ne vont jamais fréquenter la Cité Fertile ».
Le LEØ se trouve sur un périmètre où les travaux ne devraient pas commencer avant 2024 selon les derniers zonages qui datent « déjà d’il y a un an ou deux ».
« Si la mairie avait levé le petit doigt, on pouvait rester » se désolent-t-ils. « Clairement le maire veut que ce quartier soit ultra gentrifié ».
Contactée par La Relève et La Peste, l’équipe municipale de Pantin n’a pas souhaité répondre à nos questions.
La Réserve des arts, une entreprise conventionnée qui remet au goût du jour des vieux décors de théâtre et qui se situe juste derrière le LEØ va également se faire expulser.
Pour sécuriser et authentifier ses partenariats avec les associations, entreprises ou organismes locaux, le LEØ ne travaille que par mail. Du jour au lendemain, les PMI (Protection maternelle et infantile) qui collaborent avec le squat ont refusé de communiquer par mail pour ne passer que par téléphone.
En clair, « continuer de bénéficier de nos services sans laisser de traces, ce que j’ai refusé », explique l’une des gestionnaires du lieu, « on n’a plus de nouvelles depuis, on sent la pression politique ».
« On ne mesure pas l’impact des squats sur le tissu associatif et solidaire »
Pourtant, le LEØ avait créé autour de lui un tissu associatif nécessaire aux personnes en situation de précarité. En décembre, au moment du dernier recensement, plus d’une vingtaine d’associations étaient directement liées au lieu. Beaucoup plus y ont résidé depuis l’origine du squat il y a quatre ans.
Le LEØ, c’est « une vingtaine d’associations par semaine qui passent faire une réunion ou qui ont une réelle activité ou un stockage » selon les fondateurs du lieu.
Avec la fermeture du squat, certaines associations arrêtent définitivement leurs activités.
D’autres se sont déplacées vers divers squats et collectifs. C’est notamment le cas de la Cyclofficine de Pantin, une association qui promeut l’auto réparation des vélos et leur utilisation comme moyen de locomotion, qui a trouvé un autre lieu conventionné. Certaines associations font, elles, une pause « en attendant de pouvoir être admises dans un nouvel espace ».
Malgré l’expulsion imminente, les cuisines ont été conservées, en tout cas le strict minimum, des réchauds et des casseroles. Cela permet à deux associations de continuer leurs activités jusqu’au bout : Entraides Citoyennes, qui vient en aide aux sans-abris et aux personnes démunies, et Solidarité Migrants Wilson qui apporte un soutien psychologique, matériel et alimentaire aux migrants.
Les deux organisations ont un autre lieu d’accueil si besoin est, mais dans un squat différent qui pourrait se faire expulser dans quelques jours.
« Cette précarité rend la tâche compliquée pour les associations. Entraides Citoyennes se fait livrer au LEØ, donc changer les adresses de livraison c’est compliqué. Cela sous-entend réorganiser les maraudes. Un peu de stabilité permet une bonne planification. » expliquent les créateurs du LEØ. Entraides Citoyennes c’est 500 repas à chaque maraude, si elle n’est pas là « les gens n’ont pas à manger ».
Au total plus de 1000 personnes par semaine vivent avec les distributions alimentaires du LEØ, ou grâce au tissu associatif structuré autour du LEØ. Le squat leur offre de la stabilité.
« On essaye d’instaurer une entraide entre associations. Si on a quelque chose, cela appartient à tout le monde et pas uniquement à nous ».
De toute façon, in fine, les récupérations alimentaires aideront les mêmes personnes, « donc autant que cela aille le plus vite possible à ces personnes en ayant multitude de relais associatifs » analysent les deux occupants du lieu, « les denrées circulent beaucoup, on évite de faire de la rétention. Il faut que cela parte aux bons endroits, aux bonnes personnes le plus vite possible. »
Il y a également une hiérarchisation des priorités, les personnes qui n’ont pas de logement sont prioritaires, puis viennent les familles vivant dans des hôtels sociaux, puis vient le tour des squats.
« On sait que les squats ont d’autres sources alimentaires, donc c’est la fin de notre chaîne mais ils sont utiles parce qu’ils prennent des choses périmées que l’on ne donne pas aux familles. Tout cela permet d’avoir une organisation hyper cohérente. On utilise les restes pour jardiner. »
Le LEØ a choisi de continuer tout ce qui était en lien avec l’alimentation dans son local de Pantin malgré l’imminence de l’expulsion.
Les fondateurs du lieu nous confient qu’« il y a une très grosse pression sur les récupérations alimentaires en ce moment, on sait pertinemment que si on fait une pause on va perdre nos récupérations, qui sont énormes ».
Le LEØ se fournit auprès de multiples sources. Avec l’inflation certaines se tarissent, d’autres pas. Linkee ne va plus livrer qu’une fois toutes les deux semaines au lieu d’une fois par semaine précédemment. Les autres sources continuent de travailler d’arrache-pied avec le squat : Bio c’Bon de Pantin, La Vie Claire à Romainville, Totem, une société qui fait des plats préparés pour les entreprises.
« On est en lien avec deux grosses associations qui font de la distribution alimentaire ».
Une d’entre elles vient d’obtenir des rentrées de thé et de café en quantité astronomique. En échange le LEØ fournit à l’association les denrées dont elle dispose en nombre. Paradoxalement les récupérations « de luxe », notamment de « produits bios », se font plutôt facilement.
Selon les occupants du LEØ « la fermeture des squats », accélérée par la loi Kasbarian, « va être un drame sur le tissu associatif, sur l’évolution de la société aussi parce qu’il y a beaucoup de choses qui sont créées dans les squats ».
Avoir un grand lieu permet « d’accueillir une multitude d’assos », « ça lisse les problèmes. Quand une asso n’a plus à manger parce que sa source est tarie, les autres compensent. »
Combien de personnes en situation précaire vont être impactées ? « Si nous ne sommes pas là, ils n’ont pas à manger ».