À Lons-le-Saunier, dans le département du Jura, la Société Fromagère filiale du groupe Lactalis avait fait l’objet, en 2021, d’un « plan de vigilance renforcée » de la part du Ministère de la transition écologique. Sur 13 sites recensés, elle est désormais la seule de France à camper ce statut. Ses rejets d’eaux industrielles ne sont toujours pas en conformité, malgré une mise en demeure émanant de la préfecture fin 2022. Une situation loin d’être singulière pour les filiales de la multinationale. À ce titre, France Nature Environnement (FNE) et Jura Nature environnement lancent aujourd’hui une « campagne de surveillance et d'action en justice » contre l’ensemble des usines du groupe et dénoncent leur impunité.
Les valeurs limites de rejets dépassées
Avec près de 40 000 tonnes de produits à base de fromage fondu élaborés par an, la fromagerie de Lons-le-Saunier pèse lourd dans la croissance du groupe Lactalis. Comme bon nombre de ces homologues françaises, à l’image des filiales de Raguin-Vercel ou Xertigny, le site a été placé en « vigilance renforcée » en 2021 par le Ministère de la transition écologique. Ce dernier devait ainsi rendre conforme « la compatibilité de ses rejets d’eaux industrielles dans la rivière ». Or, trois ans plus tard, ces mêmes eaux ne sont toujours pas aux normes.
En outre, après trois inspections des enquêteurs des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), ayant révélé que les taux d’azote, phosphore, cuivre, zinc et chrome étaient anormalement élevés, un arrêté de sanction a été pris en décembre 2022 par le préfet. Ce dernier exigeait, là encore, des rejets conformes sous 1 an maximum. Face à ces ingérences, FNE et Jura Nature Environnement portaient plainte contre la filiale en 2023.
Mais depuis près de deux ans, l’exploitant de la fromagerie n’a eu de cesse de demander davantage de temps, sans jamais rendre ses eaux conformes aux taux demandés. En novembre 2024, la préfecture a tout de même ordonné une amende administrative de 30 000 euros pour la pollution engendrée par les eaux usées.
« La mise en demeure elle-même est déjà bien trop tardive. Les rejets sont non conformes depuis de nombreuses années, et, normalement, le préfet doit intervenir rapidement. Dans ce cas, pourtant, ça ne paraît pas très grave, on attend. Cette action de l’État, c’est un mauvais signal, parce qu’il ne faut pas mettre trois ans pour une mise en demeure. Ils étaient désormais obligés de réagir avec cette amende, survenue en novembre. Tout cela devrait intervenir dans des délais beaucoup plus courts pour se mettre en conformité, parce qu’ils ont les moyens de le faire », explique Anne Roques, juriste chez FNE, à La Relève et la Peste.
Une complaisance administrative ?
Pour l’association, Lactalis mène une stratégie de report, négociation sur certaines normes, bien que la fromagerie du Jura soit à l’heure actuelle en train de réaliser des travaux pour se mettre en conformité.
« Pendant ce temps, ils rejettent ce qu’ils veulent. C’est à ce titre qu’une enquête judiciaire nous paraissait importante, afin de saisir les parquets. Si nous ne portons pas plainte, en tant qu’association, les parquets ne sont même pas informés de ces affaires. Les agents de la DREAL doivent réaliser des procès verbaux lorsqu’il y a ce type de problème, mais ils n’en font jamais. D’autant que dans le Jura, comme dans le Doubs, il y a une grosse problématique liée aux fromageries. Des condamnations pénales ont été rendues pour certaines d’entre elles mais pas pour d’autres, visiblement », précise Anne Roques à La Relève et la Peste.
« Une carte de France visible sur le site de FNE montre bien que les ICPE dont on exigeait une remise en conformité ont été soit condamnées, soit se sont remises aux normes. La seule où le problème n’est pas réglé, c’est celle du Jura », ajoute la juriste.
Aujourd’hui, l’association attend des poursuites de la part du procureur de la république. Le non-respect des mises en demeure étant délictuelles, FNE espère désormais que la fromagerie franc-comtoise répondra pénalement de ses actes.
Pour rappel, le groupe Lactalis compte aujourd’hui parmi les 10 premiers groupes alimentaires mondiaux et représente le premier groupe laitier à l’échelle mondiale. Mayenne 2013, Ille-et-Vilaine et Isère 2019, Vosges 2021, Doubs 2023… la firme est régulièrement condamnée pour pollution des eaux, mais d’autres sites semblent n’être que peu ou pas inquiétés. La campagne FNE de « surveillance et d’action en justice face à la multinationale qui bénéficie souvent d’une complaisance de l’administration à son égard », espère ainsi faire cesser ces agissements.
Comme l’évoque Anne Roques, « les industriels doivent respecter le code de l’environnement. En cas d’infraction, l’exploitant doit être mis en demeure de la faire cesser par l’administration. Dans les faits, l’État est souvent trop permissif, comme avec le géant laitier. En 2023, moins de 20 % des arrêtés de mise en demeure ont débouché sur des sanctions administratives. Notre mobilisation sur Lactalis démontre que cela est insuffisant ».
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