Dans son projet de loi d’orientation et de programmation de la justice (2023-2027), le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti souhaite légaliser l’activation à distance des téléphones portables à des fins d’enquête.
Outre qu’il généralise la possibilité de perquisitionner la nuit, le texte débattu ce mardi 23 mai au Sénat prévoit, en son article 3, l’« extension des techniques spéciales d’enquête pour permettre l’activation à distance des appareils connectés aux fins de géolocalisation et de captations de sons et d’images », comme le stipule l’exposé des motifs.
Si elle est promulguée, cette loi créera un nouvel article dans le Code de procédure pénale grâce auquel les enquêteurs pourront, sur décision d’un juge, allumer à distance, sans le consentement du suspect, tout appareil susceptible de le localiser ou de l’espionner.
Si le ministère de la Justice vise surtout les téléphones portables – véritables fenêtres sur la vie privée –, d’autres objets seraient concernés, par exemple les ordinateurs de bord dont disposent désormais la plupart des nouvelles voitures.
Cette activation à distance ne pourrait être autorisée que dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction portant sur « des crimes et des délits passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement », un critère plutôt large regroupant certes le meurtre ou le viol, mais aussi l’escroquerie, le blanchiment, les violences contre les personnes et les biens – dont certaines peuvent survenir en manifestation…
Ces mesures, enfin, ne concerneraient pas les parlementaires, les journalistes, les avocats, les magistrats et les médecins, et le juge ne pourrait ordonner qu’on écoute ou observe un mis en cause lorsqu’il se trouve chez son avocat.
Atteinte aux droits fondamentaux
Dans un communiqué publié le 17 mai, le conseil de l’ordre des avocats de Paris, qui représente la moitié de la profession, s’est attaqué au projet de loi de la place Vendôme, en particulier son article 3 jugé « contraire à la Constitution […] et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».
« Cette possibilité nouvelle de l’activation à distance, écrivent les avocats, unanimes, de tout appareil électronique dont le téléphone portable de toute personne qui se trouve en tout lieu constitue une atteinte particulièrement grave au respect de la vie privée qui ne saurait être justifiée par la protection de l’ordre public. »
Le conseil de l’Ordre dénonce également des dispositions qui, selon lui, « n’interdi[raien]t pas, par leur collecte, l’écoute des conversations dans son cabinet, entre l’avocat et son client, même si leur transcription est prohibée ».
« Il s’agit-là d’une atteinte inadmissible et contraire au secret professionnel et aux droits de la défense », ajoute-t-il, appelant à demi-mot le ministère à modifier son projet de loi.
De l’exception à la règle
Ces dix dernières années, toutes les mesures d’exception ont fini, d’une manière ou d’une autre, par entrer dans le droit commun et s’étendre à l’ensemble de la population. De l’état d’urgence de 2015 aux lois antiterroristes et de surveillance numérique adoptées sous les mandats d’Emmanuel Macron, cette règle s’est toujours confirmée.
Un tel constat devrait nous inciter à la prudence quant aux lois restreignant les libertés, les droits, la vie privée ; et pourtant, ni le gouvernement, ni les institutions ne semblent décidés à sortir de la logique sécuritaire.
Dans son avis sur le projet de loi du ministère de la Justice, rendu le 3 mai dernier, le Conseil d’État a ainsi suggéré « de limiter l’autorisation à une durée maximale de quinze jours renouvelable une fois lorsqu’elle émane du juge des libertés et de la détention », mais a par ailleurs approuvé le reste du texte, faisant de ce fait tomber un garde-fou.
La chancellerie, pour sa part, a répondu que sa mesure régulariserait des techniques spéciales d’enquête qui existent depuis des années, et que celles-ci ne seraient pas systématiquement pratiquées.