Dans les années 90, le conflit autour du TGV Méditerranée a été l’un des déclencheurs pour créer cette institution désormais âgée de 25 ans : la Commission Nationale du Débat Public. Chantal Jouanno, sa présidente actuelle, revient pour La Relève et La Peste sur le rôle de cette institution et surtout la façon dont elle aide à la décentralisation du pouvoir, en impliquant les citoyens dans les décisions prises sur l’aménagement de leur territoire.
LR&LP : En 25 ans, la CNDP a organisé 104 débats publics, garanti 360 concertations et assuré 47 missions de conseil ou d’appui. Entre 2016 et 2019, le nombre de sollicitations a été multiplié par six. Pouvez-vous présenter cette vénérable institution ?
Chantal Jouanno, présidente de la CNDP depuis 5 ans : Cette vieille institution a été créée à la suite d’une conquête sociale pour organiser et garantir les débats publics sur les grands projets ayant un impact sur l’environnement. Elle garantit le droit pour toute personne vivant en France d’être informée de l’existence d’un projet, de pouvoir débattre de son opportunité, le faire ou pas, différemment ou non, et de pouvoir éclairer le décideur sur ce que pense la population dudit projet.
On a aujourd’hui 850 procédures chaque année en France sur des débats, des concertations, des petits projets, des échelles très locales ou des grands projets à une échelle nationale. Et notre rôle est de garantir ce droit, faire en sorte que les citoyens aient toute l’information la plus contradictoire possible, qu’elle soit compréhensible, s’assurer qu’il y ait toutes les modalités de participation possibles pour que chacun puisse s’exprimer, et que le bilan de cette concertation ou de ce débat soit le plus sincère possible.
L’indépendance de la CNDP face au gouvernement est garantie par le fait que ses 25 membres en sont inamovibles pendant cinq ans une fois élus. Les présidents et vice-présidents sont désignés par décrets et la Présidente doit obtenir un vote favorable de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les autres membres sont composés d’un tiers de magistrats, un tiers d’élus et un tiers de représentants des associations environnementales ou syndicats.
LR&LP : Qu’est-il fait des conclusions à ces débats publics ? Quel est le poids du débat public dans la politique française actuelle ?
Chantal Jouanno : Les conclusions sont le témoignage et le reflet fidèle de la parole du public. Obligatoirement, parce que c’est inscrit dans la loi, le décideur, celui qui nous a saisi, doit répondre publiquement et dire ce qu’il retient des propositions du public et des recommandations qu’on peut lui faire, et s’il ne les retient pas pourquoi. C’est vraiment une obligation de reddition qui est faite aux décideurs.
Depuis la création de la CNDP, 60% des projets mis en débats ont été modifiés voire abandonnés comme le projet Montagne d’Or en Guyane qui a été abandonné grâce au débat public.
Au départ, même le Président de la République Emmanuel Macron soutenait Montagne d’Or. Il s’est rendu compte grâce au débat public que ce projet est contraire aux intérêts du territoire et à sa culture.
LR&LP : Sur Montagne d’Or, d’autres projets de ce type pourraient toujours voir le jour en Guyane. Le risque n’est-il alors pas qu’un projet soit abandonné pour le faire autrement sous un autre nom ?
Chantal Jouanno : C’est un risque si ce projet échappe au débat public par le droit. En effet, c’est l’une de ses principales limites, il n’y a pas de vrai droit au débat public aujourd’hui en France, il est assez limité.
C’est à dire qu’il y a une obligation au débat public seulement dans des cas particuliers : il faut que les projets fassent plus de 300 millions d’euros, qu’ils soient inscrits dans des cases bien précises du code de l’environnement. De temps en temps, il y en a donc certains qui essaient d’échapper au débat public en tordant le droit et jouant dans ses interstices.
Le rôle du débat public est de permettre la concertation avant qu’un projet soit validé par un juge dans une Déclaration d’Utilité Publique. C’est pour cela que je plaide pour qu’il y ait un vrai droit au débat public, pour que des collectifs de citoyens puissent avoir la possibilité de demander un débat public et qu’il ait forcément lieu. Aujourd’hui, cela n’existe pas.
LR&LP : Quels sont les grands projets de la CNDP sur ce nouveau quinquennat ?
Chantal Jouanno : Ce nouveau quinquennat est marqué par deux mots : la planification et l’accélération. Nous sommes extrêmement favorables à ce qu’il y ait une démarche de planification pour donner un peu de visibilité aux citoyens sur ce qui est envisagé, où et quand, ce qui manque aujourd’hui.
Nous sommes en faveur d’une planification qui soit véritablement citoyenne, c’est à dire qui vienne du terrain, pensée depuis le terrain et pas qui soit imposée par le national sur les différents territoires.
Le deuxième sujet, c’est le sujet dit de l’accélération où on veut tout le temps mettre entre parenthèses la démocratie du quotidien au motif qu’il faudrait aller plus vite. C’est qui est une erreur comme on l’a déjà vécu dans le passé.
On ne voudrait pas que l’association des mots accélération et planification conduisent en fait à une centralisation du pouvoir qui soit complètement contraire à notre objectif à nous qui est d’approfondir la démocratie
De manière plus concrète, on a les grands chantiers qui sont la mise en débat des nouveaux réacteurs nucléaires, le programme des six nouveaux réacteurs nucléaires dont les deux premiers sont à Penly. On travaille avec le gouvernement pour une concertation nationale sur l’ensemble de la politique énergétique qui nous semble vraiment indispensable. Car quelle est la place du nucléaire dans l’ensemble de la politique énergétique ? Voilà un sujet qui mériterait d’être débattu avec les citoyens.
LR&LP : Comment va se passer ce débat sur la politique énergétique française ?
Chantal Jouanno : Ce qu’on a plaidé en termes de méthode, c’est qu’il y ait une grande facilité pour pouvoir auto-organiser des réunions au niveau local et qu’ont ait des acteurs très diversifiés qui puissent le faire. Si c’est seulement organisé par les élus en place, les opposants n’y viendront pas et on n’aura qu’une forme de parole.
Il faut aussi que ces débats puissent être organisés par des syndicats, des associations, des collectifs de citoyens s’ils en ont envie. Et c’est la collection de l’ensemble de ces données qui permettra d’avoir une vision un peu plus fine de ce que l’on pense dans les différents territoires.
A cela, il faudra ajouter, et on a plaidé pour, qu’il y ait une Convention Citoyenne Jeunes, une assemblée des Jeunesses, c’est à dire des représentants des générations futures en charge de rédiger les délibérations pour qu’ils puissent exprimer quel type de politique et quel type de loi ils aimeraient voir adopter. Ce dialogue entre les générations est aujourd’hui vraiment indispensable.
Un de nos espoirs, c’est qu’à l’issue de cette concertation nationale, il y ait cette idée qu’on puisse au niveau des territoires avoir beaucoup plus de liberté dans la production énergétique, dans l’autoconsommation aussi, et qu’on sorte l’énergie du système extrêmement centralisé dans lequel elle est.
Nous allons également avoir un débat public sur l’eau, spécialement en Ile-de-France mais je pense qu’il aura un impact national. Sur la qualité de l’eau, les enjeux de santé publique, et le prix de l’eau autour d’un projet de traitement de l’eau potable extrêmement coûteux.
La question est de savoir comment mettre en balance le prix de l’eau et la santé publique. La question atour de l’accès à la ressource et du partage de l’eau n’est pas directement liée au projet mais dès lors que nous ouvrons un débat public, ce sont les citoyens qui choisissent les thématiques du débat donc je ne doute pas que cette question du partage de l’eau sera mise au cœur du débat.
Parmi les autres débats publics en cours : le stockage des déchets dangereux à HERSIN COUPIGNY, la création d’un parc éolien à Egreville et d’autres en Normandie, Charente Maritime ou Provence-Alpes-Côte d’Azur, une piscine de combustibles nucléaires usés à La Hague, le projet polémique de CIGEO à Bure, ou encore une Convention Citoyenne pour le Climat à Grenoble.
LR&LP : Aujourd’hui, quels sont les outils à la disposition des élus locaux ou des citoyens pour participer à cette forme ascendante de délibération et de prise en compte des avis des habitants d’un territoire dans son aménagement ?
Chantal Jouanno : Les élus locaux ont une très grande liberté dans la manière de faire de la démocratie citoyenne au niveau local, ils ont vraiment très grande marge de manœuvre. Ils peuvent tout à fait créer des assemblées citoyennes qui auraient un droit de pétition, ou la possibilité d’émettre des vœux ou défendre des propositions devant le conseil municipal.
Et on le voit, on a en France tout un tas de communes qui sont en train de réfléchir à la manière de faire de la démocratie autrement, et de manière extrêmement créative, comme les villes candidates aux « Trophées de la participation ». La plus connue est la commune de Saillans qui a beaucoup travaillé sur ce sujet, mais les Villes de Grenoble et de Paris expérimentent également des choses pour que le citoyen ait vraiment une place déterminante dans la décision publique, et ne soit pas simplement consulté.
LR&LP : Qu’est-ce que vous recommanderiez à un.e citoyen.ne souhaitant plus participer à la vie démocratique mais ne sachant pas par où commencer ?
Chantal Jouanno : Il y a deux éléments que je lui recommanderais : un élément très local, sur le site internet des mairies il y a toujours des démarches participatives qui sont engagées donc de commencer par avoir cette expérience très locale, puis se rapprocher des associations qui travaillent dans le domaine de la démocratie et de la participation.
Et enfin aller voir sur le site de la CNDP les concertations ou débats publics en cours. Cet investissement dans la démocratie participative doit d’abord commencer par l’expérience de ce que c’est. En aimerait qu’on ait plus de suivi de la presse locale : le but c’est vraiment que le citoyen soit vraiment informé de ce qu’il se passe localement. »
Au final, les débats publics présents sur le CNDP permettent aux citoyens de savoir ce qu’il se passe sur leur territoire avant le premier coup de pioche d’un projet destructeur.