À quelques kilomètres de Concarneau, dans le Finistère, un vieux château du XVIIe siècle niche au milieu des chênes centenaires. Depuis quelques années, ce lieu patrimonial s’est métamorphosé en un espace d’accueil, d’art, d’agriculture et d’expérimentation pour créer une société écolo, low-tech et conviviale.
Art & agriculture
« Le château accueille une résidence d’artistes, et on développe un projet agricole en parallèle qui s’appelle Cyclo-Farm », précise Dominique Leroy, artiste associé et co-initiateur de Kerminy.
« En tant qu’artiste, on considère le travail de la terre et la nourriture comme un projet artistique. Donc on n’est pas uniquement dans une logique de rentabilité sur la production. On va avoir une réflexion sur l’outillage, sur la technique, penser l’outil comme prolongement du corps. Et aussi une recherche sur les gestes, le corps, menée par Marina qui fait des recherches en danse et en somatique ».
Inventer des outils
Implanté sur un territoire marqué par son dynamisme concernant la low-tech, Kerminy se pose également comme un lieu de réflexion et d’expérimentation dans ce domaine.
« La notion de low-tech est déployée sur différents projets, puisqu’il y a différentes entités dans le même lieu », poursuit Dominique Leroy.
« Avec Cyclo-Farm, on réinvestit les outils agricoles et on en invente de nouveaux avec le gisement de matériaux qu’on a aujourd’hui. On a tout un tas de matériaux qui sont mis au rebut, donc moi j’adore faire les recycleries, les décharges à métal, les décharges PVC… Je puise dans le gisement de matériaux transformés pour inventer des outils utiles pour notre lieu de maraîchage ».
Revaloriser les matériaux
Cette volonté se retrouve dans les tables chauffantes pour faire lever les semis, qui ont besoin d’une température de 20°C.
« Les maraîchers, habituellement, achètent leurs plants en industrie. Nous, on va essayer de détourner des matériaux et s’inspirer des techniques industrielles pour mettre au point nos techniques manuelles. On a récupéré des bacs en résine lorsqu’on a démonté l’ancienne piscine de Rosporden, c’était des placards des années 1970. On en a fait des bacs chauffés par le solaire plutôt que par l’électricité ».
La low-tech se déploie également sur d’autres aspects du quotidien à Kerminy.
« Concernant la vie dans le château, on fait tout un travail d’expérimentation sur l’énergie. On s’éclaire avec des lanternes LED. On démonte et on récupère des centaines de batteries d’ordinateur, on obtient des bâtonnets qui sont comme des piles rechargeables et on les connecte sur de petites boîtes qu’on a dessiné. Ce sont des éclairages mobiles, on s’éclaire comme à l’époque de la bougie, et les LED ne consomment quasiment rien ».
Pour les rénovations du château, le bois de la forêt de Kerminy est utilisé pour les charpentes. Celles-ci sont réalisées par les membres de l’association, avec l’aide d’un menuisier qui travaille manuellement le bois.
Un lieu d’accueil
Le lieu se caractérise par un va-et-vient incessant. Quatre personnes y vivent en permanence, et d’autres viennent régulièrement sur place. Environ 8 fois par an s’organisent des chantiers liés à l’aménagement du château ou aux travaux agricoles, proposés aux bénévoles de l’association.
Ceux-ci viennent apprendre le maraîchage ou des techniques de rénovation comme le bâti ancien. Il y a enfin les résidents, dont près de 300 artistes par an qui viennent séjourner sur des durées variables, pour travailler sur des projets personnels ou collectifs.
Au tout début, c’est la création d’une SCI – Société Civile Immobilière – qui a permis d’acheter le lieu. Celle-ci s’est d’abord constituée de plusieurs associés de la même famille, rejoints par d’autres venus financer davantage les rénovations. Par la suite, plusieurs associations se sont montées, avec carte blanche pour développer leurs projets sur le site.
« Comme nous sommes propriétaires et en même temps initiateur des projets associatifs à l’intérieur, on peut avoir une stabilité, on ne dépend pas des politiques », note Dominique Leroy.
L’écosystème low-tech
Installé depuis 3 ans avec sa compagne Marina, celui-ci semble faire pleinement partie de l’écosystème qui s’est créé autour de Concarneau.
« On est en recherche d’autonomie et de création de lien avec d’autres acteurs du territoire, pour voir si une solidarité peut se construire. On est en lien avec le Low-Tech Lab, l’Atelier Z, Kerbouzier et tout un tas de structures locales, avec lesquelles on essaie de mutualiser nos ressources et nos savoirs. L’idée de l’autonomie n’est pas de rester renfermé sur soi-même, mais d’être en création de lien avec un réseau de solidarité ».
Un réseau qui commence déjà à franchir les limites des régions.
« On essaye de connecter notre territoire de Cornouailles et on propose des ateliers inter-territoires, avec des gens qui vont venir se former et expérimenter ici, et vice-versa. Il y a beaucoup de projets d’éducation populaire qui se mettent en place, comme la pluriversité, avec des questions intéressantes proches des low-tech”.
Les membres de Kerminy se trouvent également impliqués dans l’École Hirsute, un projet plus artistique.
« C’est comme un Blablacar de la formation, où les gens qui ont des savoirs à transmettre proposent un atelier, un chantier, à d’autres personnes qui s’inscrivent comme pour un covoiturage, à prix libre. Les low-tech pourraient se greffer sur ce type d’initiative d’éducation populaire. Si ce genre d’idée irrigue tous les territoires, ça promet de belles choses ».
Une approche culturelle
À l’échelle du territoire, Kerminy se trouve impliqué dans l’ambitieux projet mené par le Low-Tech Lab.
« Pour moi c’est la transversalité des secteurs qui peut permettre un déblocage, et un essaimage de la question écologique et des low-tech. Pour mieux diffuser les low-tech il faut peut-être réfléchir au contexte dans lequel elles peuvent se déployer, ne pas rester dans une approche technique ».
Au niveau agricole, l’idée de faire des ateliers communaux de transformation alimentaire a émergé. Ceux-ci pourraient être un moulin ou un pressoir communal fonctionnant aux énergies renouvelables.
« Avant il y avait des moulins à marée dans le coin qui fonctionnaient avec le courant des marées. On pourrait refaire des ateliers communaux qui utiliseraient ces sources d’énergie. Et ce serait hyper intéressant au niveau culturel : comment tu redécouvres des vieux moulins bretons, et comment on réinvente aujourd’hui, avec nos technologies et nos ressources actuelles, des moulins low-tech.
Il y a des milliers de projets à réaliser. Des moulins, des pressoirs, de l’artisanat, de l’imprimerie, fabriquer soi-même ses vêtements, sa vaisselle… Il s’agit d’être dans une approche écosystémique où la low-tech n’est plus seulement vue sous un aspect technique, mais culturel ».
Un projet ambitieux à suivre pour découvrir comment le déploiement de libres pratiques artistiques, scientifiques et agricoles sur un micro-territoire rural peut contribuer à transformer nos regards sur le monde et à façonner une société solidaire.