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Laura Pfeiffer, lanceuse d’alerte dans l’affaire Tefal : « Je suis fatiguée, j’ai beaucoup donné, mais si c’était à refaire, je le referais »

En 2013, Laura Pfeiffer est au début de sa carrière. En poste à Annecy (Haute-Savoie), l’inspectrice du travail, alors âgée de 34 ans, découvre lors d’un contrôle chez Tefal que l’entreprise oblige ses agents de maîtrise à “signer des conventions de forfait afin de ne pas payer leurs heures supplémentaires, en se basant sur un accord illégal”.

Depuis ladite “affaire Tefal”, le combat de Laura Pfeiffer, inspectrice du travail devenue lanceuse d’alerte, a été largement médiatisé. Rencontre, dix ans après le début de cette affaire hors-norme.

À la Maison des sciences de l’homme de Paris Nord, à Saint-Denis, nombreuses sont les silhouettes à faire leur apparition en ce samedi matin pluvieux de novembre. Toutes ont fait le déplacement afin d’assister aux huitièmes rencontres annuelles des lanceurs d’alerte, organisées du 10 au 12 novembre par la librairie indépendante Le Presse Papier et plusieurs associations partenaires.

L’objectif de l’événement : montrer que “l’alerte est l’affaire de tous” et que “les lanceurs et lanceurs d’alerte sont des gens ordinaires”, expliquent les organisateurs, mais aussi revenir sur les droits et protections dont ils peuvent bénéficier.

Invitée à témoigner aux côtés, entre autres, d’Inès Léraud et Irène Frachon, il est aux alentours de midi lorsque Laura Pfeiffer prend la parole. Inspectrice du travail, cette dernière a vu son nom faire la une des journaux dans le cadre de “l’affaire Tefal”. Une affaire qui a débuté il y a dix ans et qui a pour le moins bouleversé son existence.

Des années de bataille judiciaire

Retour en arrière. En 2013, Laura Pfeiffer est au début de sa carrière. En poste à Annecy (Haute-Savoie), l’inspectrice du travail, alors âgée de 34 ans, découvre lors d’un contrôle chez Tefal que l’entreprise oblige ses agents de maîtrise à “signer des conventions de forfait afin de ne pas payer leurs heures supplémentaires, en se basant sur un accord illégal”.

Sans se douter un instant des répercussions que cela va avoir, l’inspectrice enjoint la filiale du groupe Seb à régulariser la situation.

Je savais que ma demande n’allait pas leur plaire, entame Laura Pfeiffer pour La Relève et La Peste, mais en tant qu’inspecteurs du travail, on sait que pour ces grosses boîtes, on est comme un caillou dans la chaussure. Ce n’est pas un problème en soi. Le vrai souci, c’est quand notre hiérarchie ne nous soutient pas…

Dès lors, pour la jeune inspectrice, c’est la descente aux enfers. Suite aux pressions de son supérieur hiérarchique, qui l’intime de revoir sa demande, Laura Pfeiffer tombe en dépression.

En arrêt maladie, elle est alors contactée anonymement par un salarié de l’entreprise, Christophe M, qui vient de découvrir des documents attestant d’échanges entre la direction de Tefal et celle de Laura Pfeiffer qui, de concert, cherchent à se débarrasser d’elle.

À ce moment-là, je décide de saisir le Conseil national de l’inspection du travail, explique-t-elle, et je transmets à mes syndicats les documents qui m’ont été envoyés par le salarié de Tefal.

Des documents qui fuitent dans la presse, marquant le début de “l’affaire Tefal”. Très vite, à la suite d’une plainte de Tefal contre X pour vol de documents, Laura Pfeiffer et le salarié impliqué sont poursuivis devant le Tribunal correction d’Annecy.

À l’issue du procès, tous deux sont condamnés : lui pour vol, elle pour recel de documents confidentiels et violation du secret professionnel. Une condamnation confirmée en 2021 par la Cour de cassation, après sept ans de procédure. En parallèle, la plainte que Laura Pfeiffer avait déposée à l’encontre de sa direction pour harcèlement moral est, elle, classée sans suite.

“Beaucoup pensent que j’aurais mieux faire de me taire”

Dix ans après le début de l’affaire, dans cet amphithéâtre de Seine-Saint-Denis, Laura Pfeiffer ne cache pas sa fatigue. La dernière carte qu’elle avait en main, celle de voir son dossier examiné par la Cour européenne des droits de l’homme, a été rejetée en février dernier. Une décision dont elle dit avoir mis plusieurs mois à se remettre.

Je me suis battue jusqu’au bout parce qu’en tant que juriste, je suis persuadée que le droit est un outil de lutte, lâche-t-elle, mais cette décision a été très dure à avaler, surtout qu’ils ne m’ont pas donné d’explication.

Pourtant, l’inspectrice du travail est catégorique : prendre la parole, devenir lanceuse d’alerte presque malgré elle, “si c’était à refaire, je le referais. De toute façon, je n’aurais pas été capable de ne rien dire, même si beaucoup pensent que j’aurais mieux fait de me taire, que ça m’aurait épargné beaucoup de souffrances.

Des souffrances dont elle sait quelque chose. Pour avoir pris la parole et refusé de se plier à sa hiérarchie, l’inspectrice du travail a enduré de longues années de dépression, fait face à des répercussions importantes tant sur sa vie conjugale et familiale que vis-à-vis de sa carrière professionnelle.

Je n’ai plus le droit de faire de contrôle en entreprise, précise-t-elle. Ce n’est pas écrit noir sur blanc, mais dans les faits, ils ne m’ont plus jamais remis à ce type de poste.

Vers une adaptation cinématographique de son combat ?

Aujourd’hui, Laura Pfeiffer exerce à Lyon après cinq années passées en Guadeloupe.

“Je suis fatiguée, j’ai beaucoup donné, mais je continue de faire mon travail, à saisir le procureur quand j’estime que c’est nécessaire, lâche-t-elle. Mais je ne peux pas en vouloir à tous ceux qui ne veulent plus faire ce métier… Avant, on pensait que la justice était de notre côté, mais mon affaire a prouvé que les magistrats ne sont pas toujours bienveillants ni enclins à nous soutenir, qu’il faut se méfier.

Un constat amer, dans un contexte où une “salve de répression s’abat sur les syndiqués de la profession”, regrette Laura Pfeiffer, faisant notamment référence au combat d’Anthony Smith, inspecteur du travail à Reims qui a été suspendu puis muté d’office pour avoir saisi la justice face à un employeur qui ne protégeait pas assez ses salariées contre le Covid-19.

Dans un contexte, aussi, où les lois avancent, continue Laura Pfeiffer, avec la transposition, en 2022, de la directive européenne dite de protection des lanceurs d’alerte, “mais pas assez vite”. Pas de quoi enlever pour autant à la mère de famille la force qui la caractérise, elle qui a été approchée récemment pour adapter son histoire à l’écran.

Une façon, espère-t-elle, de faire connaître son combat et celui des lanceurs d’alerte auprès d’un large public, à l’image de celui d’Inès Léraud, adapté avec brio dans le film Les Algues vertes, d’ailleurs projeté pendant ces rencontres annuelles des lanceurs d’alerte.

Cecile Massin

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