« C’est une nouvelle étape » pour l’Affaire du Siècle explique Cécile Duflot, présidente d’Oxfam France à La Relève et La Peste. La campagne, regroupant Greenpeace, Notre Affaire à Tous et Oxfam France a réussi à faire condamner l’Etat en 2019 et 2021 pour inaction climatique. Mercredi 14 juin, au petit matin, les représentants de l’Affaire du Siècle ont déposé au Tribunal Administratif de Paris un mémoire relatant la passivité écologique du gouvernement ainsi qu’une demande d’astreinte d’un milliard d’euros pour « pousser l’Etat à agir ».
Ce montant est calculé par un cumul des coûts de l’inaction climatique évalué à 120 millions par semestre selon les associations membres de l’Affaire du Siècle. Depuis la première condamnation de l’État en 2019, neuf semestres sont passés, soit un peu plus de 1 milliard d’euros au total.
« Le montant est incitatif », mais il est « loin des 66 milliards d’euros » que l’ensemble des acteurs économiques devraient investir tous les ans dans la transition écologique pour satisfaire les objectifs du Green Deal, selon le rapport Pisani-Ferry.
Le 31 décembre 2022, le délai accordé par la justice à l’État français pour entamer une politique de réduction de ses émissions carbone a expiré. Depuis cette condamnation « nous n’avons pas vu d’avancées » assène Cécile Duflot, « nous demandons que ce jugement soit effectif ainsi que la mise en place de politiques structurelles et systémiques de la part de l’État ».
L’État a « refusé de fournir » des documents sur sa politique écologique pour se mettre en règle, « on nous a répondu que cela pourrait influencer l’issue du procès » explique le délégué général de Notre Affaire à Tous, Jérémie Suissa, à La Relève et La Peste.
« Quand on a quelque chose à se reprocher on garde le silence, l’État a gardé le silence » enfonce l’avocat Arié Alimi.
« L’État crée un endettement climatique, il repousse à plus tard les efforts » indique Jérémie Suissa, « il avance à petits pas ».
Des objectifs « loin d’être atteints »
Un premier mémoire avait été déposé devant la justice en février 2021 identifiant les onze domaines les plus émetteurs de CO2 sur lesquels il faudrait progresser pour atteindre les objectifs de réduction des émissions carbone.
Deux ans après, les objectifs fixés à moins 40% d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 sont « loin d’être atteints » selon l’Affaire du Siècle. L’intention européenne de diminution de 55% l’est encore moins, mais la France s’était désolidarisée du reste de l’Europe pour ramener ses objectifs à seulement 40%.
Sur les onze domaines identifiés, six n’ont bénéficié « ni de mesures suffisantes, ni d’avancées significatives » selon Cécile Duflot.
Parmi ceux-ci : la croissance du trafic ferré et du nombre de passagers par voiture, l’augmentation du nombre de rénovations thermiques, la baisse du nombre de logements alimentés par le gaz, la diminution de la taille du cheptel bovin et la baisse du pourcentage de déjections méthanisées.
Seulement trois domaines sont sur la bonne voie.
Les logements chauffés au fioul devraient être inférieurs à 1,1 millions à l’orée 2030 grâce à l’interdiction des chaudières à fioul pour toute nouvelle installation de chauffage depuis le 1er juillet 2022. La part des légumineuses dans l’alimentation et celle du transport à vélo ont aussi augmenté.
Deux domaines, enfin, connaissent des avancées positives sans pour autant pouvoir atteindre, à ce rythme, les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone d’ici 2030. La part des véhicules à faible émission à l’échelle nationale passerait de 3 à 11% alors que l’objectif fixé est de 15%. La part de l’agriculture biologique dans la totalité des pratiques agricoles françaises est dans le même cas.
Le plan sobriété énergétique « ne prend pas en compte le réchauffement climatique »
En 2022, les émissions carbone nationales ont baissé de 2,5% par rapport à 2021. Mais cette diminution « n’est pas le fruit de l’action de l’État mais d’éléments exogènes » constate Pierre Terras, délégué général Greenpeace.
Trois principaux facteurs liés à cette baisse ressortent : la crise sanitaire, la guerre en Ukraine et l’augmentation des prix de l’énergie.
« Pourquoi la baisse conjoncturelle n’est pas bonne ? » se demande Cécile Duflot, « parce qu’après la crise il y a une forme de rattrapage » répond t-elle.
Pointé du doigt, le plan sobriété, qui répond uniquement à la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, est temporel et « ne prend pas en compte le réchauffement climatique » selon l’ancienne ministre de l’écologie.
Et elle voit juste, à peine la crise sanitaire stabilisée, l’État a relancé l’activité de la centrale à charbon de Saint-Avold. Le terminal méthanier du Havre qui prévoit d’acheminer le gaz de schiste américain sur notre sol national est lui en cours de construction.
« L’État n’agit pas de manière structurelle et structurante » indique Pierre Terras.
Le tribunal a maintenant entre 6 mois et 1 an pour statuer sur la demande des associations et décider de mettre, ou pas, une astreinte d’1,1 milliard d’euros à l’État français. Il peut également décider de réclamer plus ou moins d’argent selon le bilan de l’action climatique de l’État. Une inconnue demeure : s’assurer d’effectivement bien aiguiller la somme en la confiant à un organisme adapté comme l’Agence de la transition énergétique (Ademe). A suivre.