En 10 ans, la population de maquereaux s’est effondrée dans le Nord-est de l’Océan Atlantique. Pour enrayer cette catastrophe, les scientifiques du Conseil international pour l'exploration de la mer préconisent de baisser les quotas de pêche de 70 % pour l’année 2026. Une recommandation qui soulève des questions de justice sociale.
L’effondrement des maquereaux
Fin 2024, le Marine Stewardship Council (MSC), organisme délivrant un label de pêche durable, avançait des chiffres alarmants : « Le stock de maquereau est passé de 7,26 millions de tonnes en 2015 à 2,8 millions de tonnes aujourd’hui, et se rapproche du seuil critique. »
Or, du fait du changement climatique, la distribution des populations de maquereaux évolue au large de l’Europe. « Ils se répartissent maintenant plutôt au nord de leur aire de répartition », explique Didier Gascuel, professeur émérite en écologie marine à l’Institut Agro Rennes-Angers, pour La Relève et La Peste.
« Auparavant très peu présents sur leurs côtes, l’Islande, la Norvège et les iles Féroé voient de plus en plus de maquereaux et réclament aujourd’hui une plus grosse partie des quotas de pêche ».
Tous les ans, les quotas de pêche sont négociés entre les États membres de l’Union européenne et les autres pays européens.
« On s’était mis d’accord sur les droits historiques de chaque pays », explique Didier Gascuel à La Relève et La Peste. « Tout d’un coup les pays du nord de l’Europe remettent en cause ce pourcentage au titre du changement climatique. Mais l’Union européenne ne veut pas bouger. Chacun s’attribue les quotas de pêche auxquels il pense avoir droit : cela fait donc plusieurs années que la somme des quotas nationaux dépasse l’avis scientifique ».
Cette absence d’accord entre les États conduit à une surexploitation des maquereaux. L’ONG britannique MSC estime que 6 millions de tonnes de maquereaux ont été pêchées en trop ces dernières années. En se focalisant uniquement sur le renouvellement du stock disponible pour les pêcheurs, le mode de gestion de pêche européenne ne tient pas compte de la place des poissons au sein des chaînes alimentaires et dégrade l’écosystème.
« On fait comme si les espèces n’interagissaient pas, déplore Didier Gascuel. Mais le maquereau nourrit les prédateurs : les grands poissons pélagiques, les mammifères marins et les oiseaux et probablement un certain nombre de poissons de fond. On calcule les quotas sans tenir compte de l’impact que va avoir la diminution des populations de maquereaux sur la population de tous les prédateurs. Et quand on le répète sur toutes populations c’est l’ensemble de l’écosystème qui fonctionne mal. »
Un constat partagé par l’ONG Bloom : « La situation est critique, car ces espèces dites “fourrages” sont à la base de la chaîne alimentaire : indispensables à la bonne santé des écosystèmes, leur surpêche déstabilise toute la chaine trophique. »
Les ravages des grands armateurs industriels
Pour différents chercheurs, ONG environnementales et associations de préservation de la petite pêche côtière, la baisse des quotas relance le débat sur les inégalités sociales au sein de la pêche.
« Pendant des années, les multiples alertes des scientifiques concernant l’état du stock de maquereau ont été ignorées afin de préserver les quotas de pêche des grands armateurs industriels », dénonce l’association Bloom. « La politique d’attribution des quotas de maquereau a mis en lumière un aveuglement manifeste des pouvoirs publics concernant la nécessité de soutenir la pêche côtière et d’engager la transition sociale et écologique du secteur. »
Les logiques du productivisme, basé sur la réduction des coûts et la rentabilité maximale, conduit au gigantisme des navires de pêche en même temps qu’à la réduction du nombre de bateaux et de pêcheurs à leurs bords. Ainsi, « la rente économique de la nature est captée par un nombre toujours plus faible d’acteurs » explique Didier Gascuel pour La Relève et La Peste.
« Le maquereau à la particularité d’être péché à la fois par des petits pécheurs côtiers et par des navires industriels », constate-t-il. « D’énormes chaluts pélagiques, notamment hollandais, qui viennent pêcher dans la Manche ».
L’ONG Bloom dénonce un « pillage légal » : « Ils ne débarquent pas en criée en France, mais à IJmuiden, aux Pays-Bas, dans les entrepôts de la multinationale Cornelis Vrolijk, l’un des Big Five qui détient l’armement France Pélagique. »
L’association estime ainsi qu’en 2024 « les deux navires-usines de l’armement France Pélagique, le Scombrus et le Prins Bernhard », ont capté « 90 % du quota de maquereau alloué à l’Organisation de producteurs (OP) FROM Nord, qui reçoit elle-même 60 % du quota national. »
Privilégier la petite pêche côtière
Au-delà de la pression qu’ils exercent sur les écosystèmes marins, ces navires industriels impactent également les petits pécheurs côtiers.
« En venant chaque hiver exploiter les eaux de la Manche jusque dans la bande côtière, ces navires industriels opèrent une concurrence déloyale avec les navires côtiers français, qui dépendent de ces écosystèmes pour perpétuer leur activité », estime l’association Bloom.
C’est pourquoi différents acteurs du monde de la pêche appellent à faire peser la baisse des quotas de pêche aux maquereaux davantage sur les gros armateurs. Cette solution avait notamment été proposée par l’association Pleine Mer en février 2024, à la suite d’une manifestation à Saint-Malo contre le plus grand chalutier pélagique du monde.
Pleine Mer propose que « la France attribue ces quotas supplémentaires de maquereau et hareng aux petits pêcheurs côtiers », en parallèle de la diminution de l’attribution de quotas aux « super chalutiers. »
« Une bonne politique, garante de l’intérêt public, devrait privilégier la petite pêche côtière et essayer d’atténuer un minimum la baisse des quotas pour les petits bateaux côtiers », estime également Didier Gascuel. « D’autant plus que les grands bateaux peuvent aller pêcher plus loin et d’autres poissons que le maquereau : ils ont plus de capacité d’adaptation ».
« Je pense que les critères de durabilité des pêches doivent inclure des critères économiques et sociaux », poursuit-il. « On sait que la richesse et l’emploi produit sur les territoires côtiers sont plus forts pour les petits bateaux côtiers que pour les grands navires industriels. »
Le scientifique appelle en effet à maximiser l’utilité sociale et économique des pêches. Selon lui, faire bénéficier le plus d’humains possibles et créer un maximum d’emplois et d’activités pérennes sur les littoraux contribuerait à « réconcilier les sociétés humaines et l’écosystème marin ».
« Plus on retarde les décisions difficiles, plus on organise le déclin et la catastrophe à venir », conclut-il.
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