Dans cette tribune, les parlementaires de l’Alliance Ecocide, une alliance internationale de parlementaires pour la reconnaissance du crime d’écocide, appellent la communauté internationale à soutenir les efforts entrepris par plusieurs associations pour enquêter sur les nombreux crimes environnementaux commis en Ukraine. Ils exhortent le procureur en chef de la Cour Pénale Internationale à enfin prendre en compte ces crimes environnementaux, de plus en plus documentés, dans son enquête pour crime de guerre. Enfin, ils appellent à reconnaître le rôle crucial de la protection de l’environnement pour maintenir la paix, et à ainsi inscrire le crime d’écocide dans le droit international.
L’invasion militaire russe en Ukraine a passé son troisième mois. Durant cette période, nous avons été témoins de violations effroyables du droit humanitaire, du droit international et de l’ordre international. Cette invasion a entraîné non seulement de graves conséquences humanitaires mais aussi des coûts environnementaux à long terme.
Depuis le début de l’invasion, une série de rapports ont documenté les attaques contre les infrastructures civiles, notamment pour l’eau, l’énergie, l’industrie et les transports, dont certaines sont susceptibles de causer des dommages étendus, à long terme et graves à l’environnement naturel. Nombre de ces attaques semblent ne pas avoir de cible militaire précise et pourraient donc violer les lois de la guerre.
Les chercheurs universitaires et la société civile ont mis en évidence la destruction de l’environnement en Ukraine, comme en témoignent la déclaration commune à l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement de plus d’une centaine d’organisations de la société civile, ainsi que la lettre ouverte de l’Environmental Peacebuilding Association.
Le procureur ukrainien, la Cour pénale internationale (CPI) et de multiples parquets nationaux enquêtent actuellement sur la responsabilité pénale des actions de la Russie en vertu du principe de compétence universelle.
Nous, membres de l’Ecocide Alliance, une alliance parlementaire internationale pour la reconnaissance de l’écocide, nous sommes engagés à construire la paix par la protection des écosystèmes et de la diversité biologique. Nous sommes convaincus que la sécurité environnementale est une condition préalable à la sécurité nationale et internationale.
Toutefois, la poursuite de la responsabilité pénale individuelle pour les atrocités environnementales a été largement ignorée et insuffisamment poursuivie, tant au niveau national qu’international. Par exemple, le Bureau du Procureur de la CPI n’a à ce jour jamais poursuivi de crimes de guerre en vertu de l’article 8(2)(b)(iv) du Statut de Rome, qui protège explicitement l’environnement naturel.
Le Bureau du Procureur n’a pas non plus poursuivi des allégations de crimes contre l’humanité dans le contexte d’atteintes massives à l’environnement, concernant des pays comme le Cambodge ou le Brésil. Et ce, malgré la publication de son document d’orientation de 2016, dans lequel il s’engageait à donner la priorité à de telles affaires.
Par conséquent, nous appelons la communauté internationale à : soutenir les efforts locaux de surveillance des dommages environnementaux (par exemple Ecoaction, ou d’autres agences) ; mettre en place des mécanismes de collecte et de partage des données, qui pourraient servir de preuves dans des affaires potentielles concernant des crimes environnementaux ; et soutenir les organisations qui analysent et construisent des affaires pénales basées sur ces données, comme le Climate Counsel.
L’Ukraine est l’un des nombreux pays où les conflits armés détruisent l’environnement de manière grave et généralisée. Son invasion est un moment charnière que les institutions internationales et nationales peuvent saisir pour s’attaquer enfin aux crimes internationaux liés à la destruction de l’environnement.
Mais la manière la plus efficace d’appliquer la responsabilité pénale à long terme est toutefois de modifier le Statut de Rome afin d’inclure explicitement l’écocide comme un cinquième crime contre la paix – non limité au seul temps de guerre. Cela permettrait à la CPI et aux systèmes judiciaires nationaux de s’attaquer aux crimes environnementaux les plus graves et de réduire l’une des racines des conflits, à savoir la rareté et la répartition inéquitable des ressources naturelles.
Le moment est venu pour la communauté internationale de tracer enfin une ligne rouge morale mondiale concernant les atrocités environnementales et de mettre fin à l’impunité pour les écocides.
Lire aussi : L’écocide : d’un crime contre l’humanité à un droit pour la Terre
MEMBRES DE L’ALLIANCE ECOCIDE :
Rodrigo AGOSTINHO, député à l’Assemblée fédérale (Câmara Federal), Brésil
Alejandro AGUILERA, député à l’Assemblée nationale, Venezuela
Parlementaires de l’ASEAN pour les droits de l’homme (ASEAN Parliamentarians for Human Rights)
Alexandra ATTALIDES, membre de la Chambre des représentants, Chypre
Natalie BENNETT, Membre de la Chambre des Lords, Royaume-Uni
Saskia BRICMONT, Membre du Parlement européen (Belgique)
Samuel COGOLATI, Député fédéral, Belgique
Eufemia CULLAMAT, Membre de la Chambre des représentants, Philippines
Rosa D’AMATO, Membre du Parlement européen (Italie)
Eleonora EVI, Membre du Parlement européen (Italie)
Leah GAZAN, membre du Parlement, Canada
Simon HOLMSTRÖM, membre du Parlement d’Åland (Finlande)
Andrés Ingi JÓNSSON, Membre de l’Alþingi, Islande
Rebecka LE MOINE, membre du Parlement, Suède
Monica LENNON, membre du Parlement, Écosse
Caroline LUCAS, Membre du Parlement, Royaume-Uni
Raphaël MAHAIM, Membre du Parlement du canton de Vaud, Suisse
Elizabeth MAY, Membre du Parlement, Canada
Patrick McHEFFEY, élu municipal, Patchogue, New York, États-Unis
Sirpa PIETIKÄINEN, Membre du Parlement européen (Finlande)
Josep PUIG I BOIX, Membre du Parlement Catalan, Espagne
Janet RICE, Sénatrice, Australie
Caroline ROOSE, Membre du Parlement européen (France)
Inés SABANÉS, Députée, Espagne
Lindsey SCHROMEN-WAWRIN, Conseiller municipal, Port Angeles, Etat de Washington, USA
Marie TOUSSAINT, Membre du Parlement européen (France)
Lammert VAN RAAN, Député, Pays-Bas
Larissa WATERS, Sénateur, Australie
Susanne ZIMMER, Membre du Parlement, Danemark
Crédit photo couv : Ukrainian President’s Office