À l’occasion de la sortie d’ANIMAL, son cinquième livre-journal, La Relève et La Peste brosse le portrait des huit auteurs qui ont contribué à faire de ce numéro « le seul tour d’horizon aussi complet du monde animal ». Aujourd’hui, nous vous présentons Thomas Lepeltier, docteur en astrophysique, essayiste spécialisé en histoire et philosophie des sciences ainsi qu’en éthique animale. Philosophe végétalien, son dernier ouvrage s’intitule « Les Véganes vont-ils prendre le pouvoir ? »
LR&LP : Comment en êtes-vous venu à étudier les animaux ?
La raison est simple : grâce aux livres. Je ne m’intéressais pas particulièrement à ce sujet et c’est en commençant à lire, par hasard, des livres sur la question animale que j’ai été happé par cette problématique.
Ce qui m’a d’abord frappé, c’est la souffrance que l’on inflige aux animaux. J’avais vaguement en tête les conditions des animaux dans les élevages industriels et j’avais vu des images que j’avais rapidement chassées de mon esprit, mais avec ces livres je découvrais un univers bien plus abominable que je ne me l’imaginais.
En plus de mon travail de réflexion, je suis devenu végane puisque j’ai découvert qu’il est très facile de se passer de produits animaux et qu’il est injuste de ne pas le faire. Je ne voulais plus participer à ce grand massacre des animaux.
C’est donc un travail intellectuel qui m’a ouvert aux animaux. Beaucoup de gens empruntent un chemin inverse : ils aiment bien les animaux et ça les amène à se poser des questions philosophiques. Pour ma part, initialement, je n’avais pas d’attrait particulier envers les animaux ; mais en découvrant ce qu’on leur faisait subir, j’ai réalisé que ce n’est pas parce que je ne me passionnais pas pour eux que j’allais continuer d’accepter qu’on leur fasse autant de mal. C’était un vrai sentiment d’injustice profonde.
Maintenant, je regarde les animaux avec plus d’intérêt, d’étonnement et d’attendrissement… J’ai beaucoup plus d’empathie pour ce monde animal, sa fragilité et la dureté de ses conditions de vie.
LR&LP : Est-ce la décision qui a motivé l’écriture de votre premier livre sur le sujet La Révolution Végétarienne (2013) ?
Effectivement, j’ai voulu convaincre mes contemporains que l’arrêt de la consommation de produits d’origine animale serait, pour notre société, une mesure de justice. Je ne dis pas qu’adopter une alimentation végétalienne est la seule chose à faire en ce qui concerne la cause animale. Mais c’est quand même très important puisque c’est pour la consommation qu’il y a le plus grand nombre d’animaux maltraités.
LR&LP : Depuis le début de votre cheminement, comment percevez-vous l’évolution de la société par rapport au bien-être animal et aux droits des animaux ?
Il y a une évolution positive, c’est incontestable. La question est devenue d’actualité et elle fait maintenant partie du débat politique. Désormais, il est impossible de dire publiquement que l’on se fiche de la condition animale, alors qu’il n’y a pas si longtemps que ça les gens pouvaient vous rire au nez en France quand vous disiez que vous vous souciez du bien-être des animaux. Il est aussi bien plus facile de manger végétalien. Il y a donc une évolution très positive dont je me réjouis.
Cela étant dit, il y a aussi des résistances énormes qui apparaissent en face des revendications véganes. J’oscille donc entre l’optimisme et le pessimisme quand je vois la difficulté que les animalistes ont à faire passer leur message et à entamer un dialogue constructif avec le reste de la société.
Il est toujours impossible d’avoir un débat sérieux autour de la condition animale tellement cette question cristallise des tensions.
Ce verrouillage d’idées se ressent aussi bien dans le monde journalistique, qu’intellectuel ou politique. L’imposture intellectuelle des carnivores, le titre d’un de mes précédents livres, paru en 2017, passait ainsi en revue les arguments sans fondement que les milieux « intellectuels » opposent au véganisme.
Mais on a le même phénomène au niveau des politiques. Par exemple, tout récemment, le Ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a réagi au développement des viandes cellulaires à Singapour en disant que ce n’est pas naturel.
Or cet argument ne tient pas la route ! Il est complètement absurde : beaucoup de maladies sont naturelles et mauvaises. Le fait que quelque chose soit « naturel » ne signifie donc pas qu’il est bon. En plus, on pourrait dire que la viande d’élevage n’a rien non plus de naturel, si on entend par là un produit qui n’aurait pas subi d’intervention humaine.
LR&LP : Selon vous, quel est le plus grand enjeu pour coexister avec les animaux au cours des prochaines années ?
La chose qui me paraît la plus importante à faire, c’est d’abolir les abattoirs dans un avenir proche. En France, on égorge quotidiennement 3 millions d’animaux par jour ! Ce massacre ne devrait pas continuer.
Sur un plan technique, c’est relativement facile à mettre en œuvre. Bien sûr, cela signifie que l’on arrêtera de manger des animaux. Mais la nourriture végétalienne est excellente et nutritive. Les consommateurs ne doivent donc pas s’inquiéter sur ce plan-là.
Pour les éleveurs, on pourrait sans trop de difficultés les accompagner dans une reconversion ; il suffit d’une volonté politique pour pouvoir opérer cette transition. N’oublions pas qu’être éleveur est un métier extrêmement difficile, qui implique d’être présent pour ses bêtes 24h/24 et, en plus, d’être souvent mal rémunéré. Avec des aides généreuses, les éleveurs auraient donc tout intérêt à se reconvertir.
Surtout, il faut arrêter d’opposer véganes et agriculteurs puisque les véganes, ce qu’ils veulent, c’est manger des produits végétaux. La société française n’a donc pas à craindre sa véganisation. Arrêter d’égorger 3 millions d’animaux par jour serait un progrès anthropologique formidable et changerait radicalement notre manière d’être au monde.