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François Sarano : « On ne peut pas imaginer la richesse des écosystèmes qui ne sont pas soumis aux agressions humaines »

Il ne faut jamais crier défaite avant l'heure. Nous, on ira soutenir l'idée qu'on pourrait facilement offrir une vie meilleure à nos enfants si on prenait les bonnes mesures. Ce qu'on demande est simple : obtenir des AMP qui le soient vraiment et multiplier leur nombre sur le littoral métropolitain, de la Corse et des Dom

Ancien conseiller scientifique du commandant Cousteau, océanographe et plongeur professionnel, François Sarano est un observateur privilégié des milieux marins. Infatigable défenseur des océans, il milite depuis plus de 50 ans pour leur préservation. Nous l'avons rencontré à Paris début décembre, à l'occasion d'une table-ronde organisée à l'Assemblée nationale autour des aires marines protégées.

LR & LP : Vous militez depuis plus de cinquante ans pour la protection des milieux marins. D’où vous est venue votre passion pour les océans ? 

François Sarano : Elle m’est venue de mon père et ma mère qui m’ont beaucoup emmené au bord de la mer quand j’étais petit. On allait entre Saint-Raphaël et Sainte-Maxime, et je passais mes journées à nager dans l’eau. J’ai découvert un monde riche, merveilleux, complètement différent du milieu terrestre. Je me souviens d’une rencontre incroyable avec un poulpe, dont j’ai  toujours l’image en tête. Ces premières explorations ont forgé mon amour du milieu marin.

Crédit Photo : Pascal Kobeh

Ensuite, j’ai commencé la plongée sous-marine en bouteille. Avec quelques amis et ma sœur, on passait nos vacances d’été à plonger tous les jours. A cette époque-là, les règles de la plongée était très différentes, il y a avait très peu de cartes et on allait vraiment explorer des fonds que personne n’avait jamais vus. On n’était pas Cousteau, mais on allait là où il n’y avait eu que très peu de plongeurs avant nous… C’était incroyable. 

LR & LP : Comment avez-vous décidé de transformer votre passion en métier ? 

F. S. : C’est un peu un hasard de la vie. Peu après le début de mes études, je suis parti en Algérie, en plein désert, pour faire mon service militaire. La mer m’a manquée, même si le désert était un milieu vraiment fascinant. A mon retour en France, je voulais étudier la physiologie cérébrale, mais ça n’a pas pu se faire. A partir de là, je suis  allé à Marseille pour faire de l’océanographie et j’ai rencontré Véronique, mon épouse. Ça a scellé mon entrée dans le milieu marin.

LR & LP : Vous avez ensuite passé treize ans aux côtés du Commandant Cousteau. Comment a débuté votre travail ensemble ?

F. S. : A l’époque où j’ai rencontré Cousteau, je faisais de la recherche. J’avais postulé à l’Orstom [actuel Institut de recherche pour le développement, NDLR], où j’avais été pris. J’avais également postulé au Musée océanographique de Monaco, que Cousteau dirigeait. Quand je me suis présenté pour l’entretien, Cousteau m’a dit qu’à mon âge, il n’était pas question de m’enterrer dans un bureau. Il m’a proposé de venir avec lui sur La Calypso, ce que j’ai accepté, au grand damne de l’Orstom. Refuser un poste de recherche, ça ne se faisait pas trop… 

LR & LP : En quoi ces années à bord de La Calypso ont-elles transformé votre regard sur les milieux marins ?

F. S. : En arrivant sur La Calypso, j’étais encore un biologiste. J’étais attentif au monde, aux animaux qu’on voyait autour de nous, mais j’essayais de les comprendre en les disséquant. J’avais un regard de scientifique. Mon rapport aux océans, aux animaux marins s’est vraiment transformé en étant sur La Calypso, en allant plonger dans des lieux complètement inexplorés vers le Cape Horn ou les Îles Andaman, où on découvrait des milieux d’une richesse formidable. 

Crédit photo : François Sarano

On ne peut pas imaginer la richesse des écosystèmes qui n’ont pas connu de prélèvements, qui ne sont pas soumis à la pêche et aux agressions humaines. Quand vous nagez dans ces endroits, les requins sont énormes parce qu’ils peuvent atteindre leur maturité. Vous êtes immergé dans un monde presque originel, comme si vous arriviez dans les grandes plaines africaines au début du XIXe siècle, au moment où l’Afrique était encore peuplée d’animaux, et que vous vous baladiez à pied… C’est ce que nous faisions en mer. C’était un monde totalement bouleversant à voir. 

LR & LP : Depuis vos premières expéditions à bord de La Calypso, vous avez également pu observer le dépérissement des milieux marins…

F. S. : Des milieux marins dégradés, on en voit partout. Dans les îles Andaman, avant, on plongeait dans des mers de poissons. Les films de Cousteau le racontent très bien et dans ses films, on n’a pas rajouté de poissons, ce sont de vrais documents ! Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Et quand je dis rien, c’est rien. Dans les années 80, j’ai aussi plongé dans les Caraïbes, en particulier à Cuba qui était une référence. Les poissons y étaient si gros que là encore, on disparaissait dans des bancs de gros poissons. Il y avait des mérous, des poissons-perroquets… Même dans les livres, on ne voyait pas ça. Maintenant, c’est  pareil, il n’y a plus rien. 

LR & LP : Pour préserver les océans, il existe des solutions concrètes pour lesquelles vous militez, comme la mise en place d’Aires marines protégées (AMP) qui le soient réellement.

F. S. : On voit bien que c’est nous qui détruisons le monde et en même temps, la vie marine est extrêmement résiliente. Si on ne l’exploite pas, elle revient et on retrouve l’ensemble de ce qui fait la richesse et la solidité d’un écosystème. Les actions à mettre en place sont ultra faciles pour des résultats spectaculaires… Je m’étonne que ça étonne encore, et qu’aucun homme politique n’ait sauté sur l’occasion.

Crédit photo : Pascal Kobeh – Galatee Film

Pour commencer, il faudrait s’assurer que les Aires marines protégées (AMP) le soient vraiment, c’est-à-dire qu’il n’y ait aucun prélèvement ou alors des prélèvements extrêmement modérés, et surtout sans chalutage. C’est l’inverse de ce que nous dit Berville [Hervé Berville. Secrétaire d’État chargé de la mer, NDLR], qui dit protéger les AMP tout en les exploitant. Visiblement, la protection n’a pas le même sens pour chacun d’entre nous… Le parc national de Port-Cros est un exemple exceptionnel. Les règles y sont strictes, les prélèvements très limités en accord avec les pêcheurs et aujourd’hui, ce parc montre la Méditerranée telle que mes parents et grands-parents l’ont connu. Pour restaurer les milieux marins, il suffirait que l’homme arrive à réguler son appétit. 

LR & LP : La France va accueillir en 2025 la troisième conférence des Nations unies sur l’océan. Quels sont vos espoirs et attentes ? 

F. S. : Il ne faut jamais crier défaite avant l’heure. Nous, on ira soutenir l’idée qu’on pourrait facilement offrir une vie meilleure à nos enfants si on prenait les bonnes mesures. Ce qu’on demande est simple : obtenir des AMP qui le soient vraiment et multiplier leur nombre sur le littoral métropolitain, de la Corse et des Dom. En milieu pélagique, nous souhaitons également que dans le sanctuaire Pelagos [créé pour les mammifères marins en Méditerranée, NDLR], la vitesse des bateaux soit limitée dans certaines zones où les cétacés se concentrent. Ça pourrait faire partie des quelques règles élémentaires qui permettraient d’offrir à nos cousins sauvages un petit peu d’air. Sur ce volet là comme les autres, on continuera à se battre.

Cecile Massin

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