Très différent des poissons osseux, le moyen reproducteur de nombreuses espèces de grands requins les fragilisent et aggravent leur disparition, face à la surexploitation humaine.
Une lente reproduction
Les requins ont une reproduction unique dans le monde marin : la fécondation interne. Un processus plus complexe et contraignant puisque le mâle doit introduire sa semence directement dans la femelle. Comme le raconte Eric Clua, chercheur et vétérinaire au laboratoire CRIOBE de Moorea en Polynésie dans un épisode du podcast de Mécanisme du Vivant :
« On compte sur la femelle pour protéger les embryons, même si leur nombre peut atteindre 50, voire une centaine. On est évidemment loin des millions d’œufs produits par les poissons osseux ».
Cette lenteur biologique se retrouve aussi dans la gestation, qui dure entre 12 et 18 mois selon les espèces. Certaines femelles ne peuvent d’ailleurs se reproduire qu’un à deux ans après une portée.
Le grand requin blanc incarne parfaitement cette vulnérabilité : les mâles atteignent leur maturité sexuelle autour de 26 ans et les femelles vers 33 ans. Une reproduction aussi tardive retarde le renouvellement des générations et freine toute possibilité de reprise démographique après un déclin.
La fécondité des requins est dérisoire comparée à celle des poissons osseux. Il faut savoir que dans la nature, deux grandes stratégies de reproduction coexistent : produire un très grand nombre de jeunes sans s’en occuper, en misant sur la survie d’une minorité ; ou au contraire, avoir peu de descendants, mais leur offrir protection et soins pour maximiser leurs chances de survie.
Les requins appartiennent à cette seconde catégorie de population, dite K-sélection. Une population constituée de beaucoup d’adultes et moins de jeunes, qui fonctionne pourtant dans des milieux relativement stables, avec une faible mortalité adulte. Pour les requins, cela représente un désavantage biologique majeur et les place aujourd’hui en position de faiblesse.
Le requin bleu est l’une des espèces les plus prolifiques : une femelle peut mettre au monde plus d’une centaine de petits, alors que la plupart des autres espèces du même genre n’en comptent qu’une dizaine par portée.
« À cause de l’homme et de sa capacité à pêcher ces espèces, le requin bleu est classé en voie critique d’extinction et en danger critique d’extinction en Méditerranée », souligne le chercheur Éric Clua.
Ce constat met en évidence un paradoxe majeur : même les espèces capables de produire une centaine de petits ne survivent pas à la pression humaine.
L’hyper-prédation humaine sur les requins
La biologie naturellement lente des requins ne leur permet plus de suivre le rythme effréné imposé par la surpêche industrielle, les captures accidentelles et la destruction des habitats. Ce décalage entre leur cycle de reproduction et la pression humaine accélère l’effondrement de leurs populations.
Lorsqu’un requin adulte est capturé avant d’avoir eu le temps de se reproduire, ce sont des générations entières qui disparaissent et il faut parfois plusieurs décennies pour qu’une population se rétablisse.
Chaque année, entre 63 et 100 millions de requins sont tués dans le monde, selon une étude publiée dans Marine Policy en 2013. Si une partie de ces captures alimente encore, malgré les interdictions, le commerce lucratif des ailerons, la majorité provient de prises involontaires. Les requins sont piégés dans les filets ou accrochés aux palangres destinées à d’autres espèces. Ces prises accessoires peuvent représenter jusqu’à 25 % des captures dans certaines pêcheries pélagiques.
Une étude internationale menée par MacNeil et al., publiée dans Nature en 2020, a analysé 371 récifs dans 58 pays et révélé que 20 % des récifs étudiés étaient totalement dépourvus de requins. Considérés comme prédateurs de haut niveau, l’effondrement de leur population a des répercussions directes sur la santé des océans. Les écosystèmes deviennent écologiquement instables, moins productifs et plus vulnérables aux impacts du changement climatique.
Pourtant, des solutions concrètes et efficaces existent : protéger les individus matures capables de se reproduire, sécuriser les zones de nurseries où grandissent les jeunes requins, ou encore réduire les captures accidentelles grâce à des modifications des engins de pêche, comme l’utilisation d’hameçons circulaires ou de lignes en monofilament, qui peuvent diminuer la mortalité des requins de 40 %.
Les requins ne peuvent biologiquement pas s’adapter à la vitesse de l’exploitation humaine. Alors si rien ne change, certaines espèces auront disparu de vastes zones de l’océan d’ici quelques décennies.
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