C’est dans le 9e arrondissement de Lyon, rue du 24 mars 1852, que le Bistrot Boulanger – tout comme les cinq autres franchises fondées par Frédéric Hénon – a décidé d’offrir ses invendus aux étudiants les plus démunis. Une initiative mêlant à la fois écologie et solidarité qui tombe à point nommé dans une période de précarisation de la condition estudiantine.
10 millions de tonnes de produits alimentaires jetés chaque année
Si depuis plusieurs années la structure distribuait une partie de ses invendus les lundis, mardis et jeudis aux Restos du Cœur, à des maraudes et à des organismes caritatifs religieux, elle ne parvenait pas à écouler l’ensemble de ses stocks, tant il « est difficile de trouver d’autres associations auxquelles donner les articles », nous déplore Noemye, une des employées de la boulangerie.
Résultats : même s’ils ne sont pas légion pour la boulangerie lyonnaise, certains invendus continuent de finir à la benne, contribuant ainsi à former les rangs des 10 millions de tonnes de produits alimentaires jetés chaque année, d’après les données du Ministère de la Transition écologique.
Pour remédier à ce problème de gaspillage alimentaire, la structure a décidé, en plus des organismes auxquels elles proposaient déjà les invendus, de mettre en place un système de dons pour les étudiants dans le besoin.
Un acte louable qui, outre l’objectif écologique, remplis une fonction éminemment sociale, en particulier dans un contexte d’inflation galopante et de détérioration des conditions des étudiants de l’hexagone.
50 euros pour finir le mois pour 2 étudiants sur 3
Selon la dernière enquête conduite par la Fédération des associations générales étudiantes, le coût de la vie estudiantine aurait connu, depuis 2022, une très forte augmentation (+7,38 %). Une tendance qui s’explique par le poids de l’alimentation et de l’énergie dans les budgets étudiants, volets ayant respectivement vu leur valeur croître de 14,5 % et 14 % d’après l’INSEE.
De quoi précariser la situation de nombre d’étudiants, au point que deux sur trois aient moins de 50 euros pour finir le mois, selon le rapport de l’association de lutte contre le gaspillage alimentaire Linkee.
C’est une situation à laquelle Ourida, une des gérantes du Bistrot Boulanger, est particulièrement sensible.
« Il y a quelques semaines, j’ai vu un reportage à la télévision qui m’a choquée. On voyait une file d’attente d’étudiants qui attendaient de la nourriture, une file d’attente très impressionnante », relaye Ouest-France.
C’est pourquoi, quelques semaines plus tard, Ourida a donné son feu vert au représentant d’une association étudiante qui l’a contactée pour mettre en place le dispositif.
Noemye abonde également dans ce sens. « On a choisi d’avancer main dans la main avec les étudiants car l’on donne déjà à d’autres associations pour un public plus âgé. Or, on voit très bien avec une partie de nos jeunes employés que sans la boulangerie, ils ne pourraient pas payer leur loyer. »
Et de poursuivre : « Avant, on offrait une ristourne de 10 % sur les menus pour les étudiants du quartier, comme l’école d’infirmière Ossélia. Mais maintenant, avec la hausse des prix, ce n’est plus viable pour nous. Notre facture d’électricité a été multipliée par quatre depuis l’année dernière. À la place, on s’est dit que distribuer gratuitement les invendus aux étudiants serait une bonne idée ».
C’est donc une solution gagnant-gagnant à la fois pour la boulangerie, qui parvient à écouler ses stocks sans produire plus, et pour les étudiants qui peuvent obtenir gratuitement des produits alimentaires qu’auparavant ils trouvaient à prix cassés.
Viennoiseries et pizzas maisons
Pour être « éligible » au dispositif, Noemye nous précise qu’il faut se munir de sa carte étudiante. Ce sont les mercredis, vendredis, samedis et dimanches matin et soir que les étudiants peuvent venir chercher les invendus.
Et il y en a pour tous les goûts : le matin, le panier proposé – composé d’invendus de la veille – est principalement composé de pains spéciaux, de brioches et viennoiseries ; le soir, ce sont plutôt des sandwichs et pizzas maisons qui, pour des raisons sanitaires – les articles contenant des produits laitiers ou des protéines animales étant soumis à des règles strictes en matière de vente – sont proposés.
Comment procéder ? C’est simple : « Les jeunes arrivent dans le magasin et disent discrètement qu’ils viennent pour les invendus. Ils attendent gentiment que je termine avec les clients. Puis, je vais leur remplir un petit sac », explique Ourida pour Ouest-France.
Elle préconise aux étudiants de venir récupérer les invendus tôt le matin ou tard le soir, la boulangerie levant le rideau à 5 heures et fermant le comptoir dès 20 heures, afin « d’éviter les heures de trop grosse affluence » explique la gérante à ActuLyon.
Une initiative locale à tendance nationale… ?
Mais si outre les six franchises de Frédéric Hénon à Lyon, Noemye ne sait pas si d’autres boulangeries ont suivi le mouvement, à l’échelle nationale, cependant, plusieurs structures ont initié des mouvements pro-solidarité similaires.
Les premiers ont vu le jour en mars 2021, au plus fort de l’épidémie de Covid-19. À Bourges, cinq étudiants par jour étaient invités à venir chercher un panier alimentaire entre 17 heures et 18 heures, sous réserve d’avoir passé commande avant midi et de présenter sa carte étudiante. À Poitiers, une petite boulangerie localisée dans le quartier de la gare offrait tous les jours ses invendus aux résidences Crous de la ville des sites Descartes, Pierre et Marie Curie ou encore Rabelais.
Une seconde vague s’est élevée en ce début d’année 2023 pour faire face à l’envolée des prix, principale conséquence de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. À Bordeaux, c’est la Maison des étudiants à Pessac qui a pris les choses en main. La Cuvée des Écolos, une association environnementale, a organisé le vendredi 6 janvier une distribution alimentaire gratuite des invendus des supermarchés sur le Campus de l’Université Bordeaux Montaigne. Une initiative prévue plusieurs fois par mois.
Mais celles-ci pourraient être amenées à se multiplier pour faire face au « mars rouge » anticipé par les économistes, sur fond d’échec des négociations entre fournisseurs et grande distribution. « Une augmentation des prix de 20 % par rapport à début 2021 sur les denrées alimentaires » serait même à craindre, alerte la directrice des études à la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, Isabelle Senand.
De quoi compliquer encore plus la situation des ménages et des étudiants, déjà peu reluisante…