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Explosion à Beyrouth : les nitrates d’ammonium, l’un des dangers de l’agriculture industrielle

La France importe la quasi-totalité de ses matières premières pour la production des engrais, faisant de nos ports industriels, par lesquels transitent et sont stockés les produits, de véritables bombes à retardement comme le dénonce l’association les Amis de la Terre.

Le monde est sous le choc du cataclysme qui a soufflé la ville de Beyrouth et tué plus d’une centaine de personnes. Si l’enquête est désormais en cours pour connaître les responsables, c’est bien le stock de nitrates d’ammonium qui a provoqué la terrible explosion. Ce nouvel accident mortel vient s’ajouter à la liste des tragédies causées par les nitrates d’ammonium, principalement utilisés pour fabriquer des engrais. Les Amis de la Terre dénonce l’addiction de l’agriculture industrielle à ces engrais comme un véritable danger public sous-estimé.

Des engrais explosifs

Il n’est pas intuitif de faire le lien entre engrais et explosifs. Et pourtant,le nitrate d’ammonium, produit par millions de tonnes chaque année, sert à la fois d’engrais azoté utilisé pour l’agriculture industrielle, mais aussi d’explosif industriel lorsqu’il est mélangé à du fioul.

Le stock de 2 750 tonnes qui a explosé à Beyrouth mardi 4 août, faisant au moins 100 morts et 4 000 blessés selon un bilan provisoire de la Croix-Rouge libanaise, est un sinistre exemple de ce qu’il peut se produire lorsque ces substances sont entreposées dans de mauvaises conditions.

« Sous l’effet d’une forte température (au moins 210 °C), ce solide assez dense se décompose subitement en différents gaz dans une réaction qui libère une immense quantité d’énergie et crée une onde de choc avec cet effet de souffle monstrueux qu’ont bien montré les vidéos prises dans la capitale libanaise. Le nuage roux observé peu après l’explosion est caractéristique des oxydes d’azote qui, à forte concentration, peuvent provoquer des irritations. A Beyrouth, le déclencheur est probablement à chercher du côté de l’incendie qui a précédé l’explosion sur le port. » explique le journaliste en sciences Pierre Barthélémy, dans un article pour LeMonde

Beyrouth est loin d’être un cas isolé. Depuis près d’un siècle, des explosions de nitrate d’ammonium ont tué dans le monde entier, ainsi que le recense l’association Robin des Bois dans un article. Parmi elles, la catastrophe qui avait causé la mort de 31 personnes à Toulouse en 2001 lors de l’explosion d’environ 300 tonnes de nitrate d’ammonium stockées dans l’usine AZF. 

This file photo taken on September 21, 2001 shows the devastated area at AZF chemical plant near Toulouse, after the explosion of three hundred tonnes of ammonium nitrate stored in a warehouse. (Photo by PASCAL PAVANI / AFP)

Les stocks en France

La France est le premier consommateur d’engrais chimiques à base de nitrates d’ammonium en Europe. En 2014, la France produisait 40 % des engrais de synthèse qu’elle utilise, en importait 35 % depuis des États de l’Union européenne et 25 % hors-Europe.

En revanche, elle importe la quasi-totalité de ses matières premières pour la production des engrais, faisant de nos ports industriels, par lesquels transitent et sont stockés les produits, de véritables bombes à retardement comme le dénonce l’association les Amis de la Terre.

« En France, nous avons des sites qui contiennent beaucoup plus de nitrates que ce qu’il s’est passé à Beyrouth, et ce, sans respect des règles de sécurité ! Le leader mondial des engrais Yara, implanté dans les régions du Havre, de Saint-Nazaire ou encore de Bordeaux, a ainsi fait l’objet de pas moins de 11 mises en demeure depuis 2015 ! Comment ne pas s’inquiéter d’un stockage de 20 000 tonnes de nitrates d’ammonium à proximité de Bordeaux par une multinationale qui ne respecte pas la réglementation et pour laquelle l’État fait preuve de largesses ? » explique Anne-Laure Sablée, chargée de campagne agriculture chez les Amis de la Terre, à La Relève et La Peste

Egalement surveillé par l’association, le groupe Roullier qui stocke et produit ces engrais explosifs au port de Saint-Malo, et est régulièrement mis en cause par des riverain.e.s sur la question du stockage de matières toxiques près des habitations. En France, les sites de production utilisant des nitrates d’ammonium sont classés Seveso seuil haut, tout comme l’était l’entreprise Lubrizol.

Plutôt portées sur la pollution environnementale induite par les activités des industriels, les mises en demeure de l’Etat sont rarement suivies de sanctions contraignantes, une carence gouvernementale en terme d’application de la réglementation qui inquiète les associations au vu de la dangerosité des produits.

Blocage de l’usine Yara en septembre 2019

L’urgence d’en finir avec un modèle alimentaire trop industrialisé

En effet, les risques d’explosion ne sont pas les seuls problèmes causés par l’utilisation des engrais azotés. Dans un article du Monde Diplomatique, l’agronome Claude Aubert détaille les ravages de ces piliers de la « révolution verte » agricole héritée des années 1960 : baisse de la fertilité et acidification des sols, eutrophisation et pollution de l’eau, augmentation du risque d’érosion, multiplication des ravageurs et maladies, extinction de la biodiversité, pollution de l’air…

« L’explosion d’AZF à Toulouse a été causée par des matières premières utilisées pour notre alimentation, mais est-ce que c’est vraiment ce type de système alimentaire industriel que l’on souhaite ? Les citoyens doivent s’en rendre compte : notre agriculture industrielle naît dans des ports via des produits chimiques hautement toxiques. » explique Anne-Laure Sablée, chargée de campagne agriculture chez les Amis de la Terre, à La Relève et La Peste

Pour certains citoyens, la réponse est non. Comme les 500 personnes ayant bloqué l’une des usines d’engrais azotés de Yara en Allemagne en septembre 2019 pour dénoncer l’impact destructeur de l’agriculture industrielle et de l’agrochimie sur les écosystèmes et le climat.

En effet, selon le dernier rapport du GIEC, l’agriculture industrielle est responsable de 21 à 37 % du total des émissions de GES. Ainsi, 82% des émissions de protoxydes d’azote (un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2) sont causées par le système agricole industriel, notamment les engrais azotés.

Plus récemment, les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat ont proposé d’augmenter la taxe sur les engrais azotés pour faciliter le développement d’un modèle agroécologique respectueux du vivant. De fait, l’agriculture biologique n’a pas besoin d’engrais azotés. Ils sont remplacés par des rotations longues en culture et l’apport de légumineuses.

« Une récente méta-analyse a conclu que, au niveau mondial, le différentiel moyen de rendement entre la bio et le conventionnel n’était que de 19 %. Il tombe même à 8 ou 9 % lorsque les techniques bio incluent des rotations de cultures variées. Une autre méta-analyse montre que les cultures associées ou intercalaires — plusieurs espèces cultivées dans le même champ et en même temps — permettent en moyenne une augmentation de la production de 30 %. Nourrir tous les habitants de la planète sans azote de synthèse paraît donc possible, mais suppose un changement radical de modèle agricole. » énonce ainsi l’agronome Claude Aubert

Avec leur campagne « Stop au business des engrais chimiques », les Amis de la Terre vont donc suivre cette dernière proposition de la Convention Citoyenne pour le Climat de très près.

Crédit photo couverture : Mikhail Alaeddin / Sputnik via AFP

Laurie Debove

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