Entre l’explosion de l’offre Airbnb ou la réquisition de logements étudiants, la tenue des Jeux Olympiques à Paris en juillet risque bien d’accentuer une crise du logement déjà tangible en Île-de-France. À ce titre, un sénateur propose de légiférer une « trêve olympique », qui empêcherait toute expulsion locative entre le 31 mars et le 1er novembre 2024.
Les logements Airbnb explosent
En décembre 2023, en pleine période de fêtes, le Conseil d’État validait la réquisition de logements étudiants du CROUS pendant la période des Jeux Olympiques 2024, pour permettre d’accueillir le personnel mobilisé à l’occasion de l’événement, tels qu’agents de sécurité ou soignants.
Au total, le ministère des sports prévoit près de 3000 réquisitions d’habitations ainsi que le relogement de 2000 étudiants, en échange de quoi ceux-ci bénéficieront d’une indemnité de 100 euros ainsi que deux places pour assister aux festivités.
En parallèle, face à la demande accrue d’hébergements pendant la période des épreuves olympiques, le nombre de logements Airbnb nouvellement arrivés sur la plateforme n’en finit pas d’augmenter. 3 000 depuis septembre 2023, soit trois plus qu’en 2022, selon l’Observatoire des meublés touristiques de la Ville de Paris, faisant ainsi « grimper les prix et limitant l’offre locative de longue durée », comme l’analyse la Fondation Abbé Pierre dans son 29e rapport sur l’état du mal-logement en France.
Par ailleurs, la plateforme locative est devenue l’un des partenaires mondiaux des Jeux Olympiques dès 2019. À ce titre, Airbnb a récemment récompensé, dans le cadre de son concours des « meilleurs hôtes », le lauréat de la catégorie « Séjours au cœur des Jeux ». Il serait même probable que les heureux gagnants se voient offrir des billets pour les festivités et le droit de porter la flamme. Airbnb estime enfin que « les hôtes devraient gagner collectivement environ 257 millions d’euros » durant la période des JO.
Une parade on ne peut plus indécente, alors même que la crise du logement est déjà, partout, effective. En France, 4,1 millions de personnes sont dites « mal logées », dont plus d’1,3 million résident en Île-de France.
Une situation due essentiellement, selon la fondation Abbé Pierre, au « rythme des mises en service des logements, notamment des logements sociaux à bas loyer […] nettement insuffisant », mais aussi à un « parc locatif privé de plus en plus cher, obligeant de nombreuses familles à vivre dans les logements trop petits et de moyenne voire de mauvaise qualité ».
La protestation des étudiants
Face à ce fléau qui menace particulièrement les étudiants dans le cadre des Jeux Olympiques, le collectif La Rescrous se mobilise et mène depuis plusieurs semaines des actions pour tenter de se faire entendre.
Le collectif d’étudiants se déclare « contre la réquisition [des] logements qui [les] poussent à l’incertitude ». Une réquisition qui mettra « en péril [leurs] études, [leur] santé, [leur] situation financière. […] Le gouvernement ne prend aucune mesure pour nous venir en aide ».
Une position légitime, quand on connaît l’extrême précarité dans laquelle se trouvaient déjà, bien avant les JO, les étudiants. Comme le rappelle La Rescrous, un quart seulement des boursiers avaient un logement Crous en 2021, 1 étudiant sur 2 saute des repas par manque de moyens et 1 étudiant sur 3 envisage d’avoir recours à l’aide alimentaire, sans oublier la détérioration préoccupante de nombreuses résidences ne permettant plus aux jeunes de vivre dans des conditions décentes.
Une situation déjà critique, donc, qui ne fera que s’aggraver avec de telles décisions prises pour la période estivale.
« Aucune des promesses formulées pour accompagner cette réquisition n’offre de garantie claire et précise. Ce flou entretenu sur nos situations durant l’été alourdit les impacts négatifs que cette réquisition a sur les résidentes et résidents », regrette le collectif.
La dérive du congé pour reprise
Alors, pour tenter d’enrayer le phénomène, le sénateur de Paris Ian Brossat, ancien adjoint au logement à la mairie de Paris, a déposé une proposition de loi « relative à la trêve olympique des expulsions locatives », qui souhaite prohiber « toute expulsion locative d’occupants de bonne foi entre le 31 mars et le 1er novembre 2024 ».
Son objectif, prévenir le phénomène de dérives concernant le congé pour reprise et pour vente, qui prévoit la possibilité pour le propriétaire d’un logement de reprendre le bail d’un locataire, sous conditions.
En temps normal, le propriétaire doit en effet justifier son congé par la volonté d’occuper lui-même – ou d’un parent – son logement, ou de le mettre en vente, ou peut encore invoquer un « motif légitime et sérieux ». Le locataire concerné doit cependant être informé au plus tôt 6 mois avant la date de reprise, pour un logement loué vide, 3 mois pour un meublé.
Or, selon un rapport de l’Agence Départementale d’Information sur le Logement de Paris (ADIL75) datant de novembre 2022, entre 19% et 33% des congés ne respecteraient pas ces conditions.
À l’approche des Jeux Olympiques, et comme le précise la proposition de loi, « certains propriétaires font part de leur intention de louer à prix d’or leur bien sur des plateformes comme Airbnb, ce qui nécessite l’expulsion des locataires actuels pendant quelques semaines », et notamment des étudiants.
Par ailleurs, le contrôle de ces congés prévus dans la loi du 6 juillet 1989 sur les rapports locatifs reste limité. « Seul le locataire peut engager les démarches », complexes, et où « il est difficile de prouver que le congé donné est frauduleux ».
La « trêve olympique » ici proposée empêchera ainsi toute expulsion locative entre le 31 mars et le 1er novembre 2024, sauf si une solution de relogement adaptée est garantie et permet ainsi de « mettre en place des solutions de relogement alternatives au concours de la force publique ».
En janvier, une proposition de loi visant à « remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue » a été adoptée par l’Assemblée nationale. L’objectif, réviser la niche fiscale des meublés de tourisme, permettre aux maires d’abaisser la durée de location à l’année d’une résidence principale ou encore rendre obligatoire le diagnostic de performance énergétique. Le texte doit être discuté prochainement au Sénat.
Sources : « JO : Une proposition de loi au Sénat pour instituer « une trêve olympique des expulsions locatives », Public Sénat, 11/03/24 / « Trêve olympique des expulsions locatives », Sénat, 12/03/24 / « Congé du bailleur », ADIL75 / « Le blog de la Rescrous », Mediapart, 11/03/24 / « JO : le Conseil d’Etat valide la réquisition de logements étudiants à Paris », Libération, 30/12/23 / « Paris 2024 : l’envolée des prix des hôtels se tasse, l’offre « Airbnb » est en plein boom », Le Monde, 15/02/24 / « Ile-de-France : les rendez-vous manqués de la lutte contre le mal-logement », Fondation Abbé Pierre, 10/10/22 / « Meublés de tourisme : l’Assemblée adopte une proposition de loi transpartisane pour rééquilibrer le marché locatif », LCP, 29/01/24