Sur huit jours, 10 personnes ont parcouru 250km à vélo pour aller à la rencontre d’écolieux solidaires, qui ont fait du soin humain leur raison d’être. Nos cyclistes aventuriers ont découvert une nouvelle définition du sens de la communauté.
Des écolieux solidaires et inclusifs
Elles et ils s’appellent Anne, Cynthia, Géraldine, Lise, Mary, Roxana, Tamer, Ivan, Yannick, William. Elles et ils sont architecte, urbaniste, sociologue, éducatrice spécialisée, socio-anthropologue, épidémiologiste, chargé de mission numérique, vidéaste, photographe, directeur de projets de tiers-lieux et en transition professionnelle, et se sont rencontrés lors du Festival Oasis, en été 2023.
Un an après, après des mois de préparation, la joyeuse bande a enfourché ses vélos pour parcourir 250km à la rencontre d’écolieux ayant une forte dimension sociale et solidaire. L’équipe a sélectionné les lieux visités selon trois critères : l’inclusion de personnes en précarité ou vulnérables, la présence d’habitantes et d’habitants sur place, et l’existence d’une activité économique et/ou de création de lien.
« Ce sont vraiment nos critères principaux, précise Lise, membre du projet. Ensuite, on a toute une série de critères secondaires : l’insertion en milieu rural, une gouvernance partagée et inclusive des personnes vulnérables… »
« Les endroits visités ont en commun de questionner le rapport aux institutions et arrivent à créer des alternatives. L’innovation se niche aussi souvent dans les modèles de gouvernance, dans la façon d’intégrer les résidents pour recréer du lien et de la fraternité », ajoute William.
Une soixantaine d’adresses ont ainsi été identifiées à travers la France, et le groupe a décidé de porter son premier coup de projecteur dans la région Sud-Est, sur quatre lieux : la communauté de la Celle à Roquedur, la Ressourcerie du Pont au Vigan, le Village, à Cavaillon et l’écohameau solidaire de Saint-François à Draguignan. Au programme : deux jours d’immersion dans chaque lieu grâce à un itinéraire tracé par Ivan, ancien salarié de l’Alter’tour, qui déniche les meilleures pistes cyclables.
La communauté de la Celle
Au départ de Nîmes, cap sur la communauté de la Celle, dans les Cévennes. Après une journée à pédaler, le groupe est chaleureusement accueilli par Magali et Guy, d’ancien routards qui ont fondé la communauté il y a 40 ans après avoir reçu le terrain en donation.
Anne raconte : « On est arrivés dans un endroit très étonnant, composé de très grands bâtiments, d’un immense terrain, de forêts, d’une rivière, de cabanes, de caravanes, de jardins, de potagers, et d’activités variées comme des ateliers voitures… Jusqu’à 90 personnes peuvent loger sur place, sans qu’on sache précisément combien sont là. J’ai été vraiment marquée par la mixité et la variété des personnes accueillies. Ça allait de la petite fille de 5 ans à des personnes de 70 ans. Certains étaient de passage et d’autres installés depuis plus de 20 ans ».
« Au départ, ils pensaient accueillir des nomades, des routards qui allaient se poser là quelques temps et repartir. Mais en faisant de l’accueil inconditionnel, ils se sont rendus compte que les personnes qui se présentaient étaient majoritairement cabossées et n’avaient pas d’autre endroit où aller. Magali m’a beaucoup touchée lorsqu’elle m’a dit : je n’ai aucune compétence, je ne suis pas infirmière ni travailleuse sociale, mais j’apprends tout le temps », ajoute Lise.
« Ce lieu donne un ancrage à celles et ceux qui n’en ont plus », ajoute Yannick.
Alain, qui a connu la communauté en 2007, témoigne : « j’ai pu venir à bout de mes problèmes d’addiction. J’ai quitté la communauté un temps, puis j’y suis revenu. On s’y sent libre. On arrive à trouver du temps pour soi, pour la maison et les compagnons ».
Autre facteur de surprise pour les visiteurs, la gestion du lieu, qui fonctionne sans salarié, et qui s’organise autour de 4 règles aussi importantes les unes que les autres. La première : participer à deux réunions quotidiennes. « Une à 8h00, avec des lectures des textes de la Bible. Et l’autre à 18h30, où les gens peuvent amener des poèmes, des textes qui les ont touchés, partager des projets ou échanger sur des difficultés », raconte Lise.
Autre règle : réaliser des services le matin et l’après-midi, à la mesure de ce qu’ils peuvent faire. « Il n’y a personne qui vient contrôler. Cela peut être du ménage, du jardin, de la mécanique auto ou vélo, de la construction… ».
De plus, chacune et chacun doit suivre un principe de sobriété. Enfin, ceux qui le peuvent contribuent financièrement. Mais s’ils n’ont rien, alors c’est la communauté qui leur donne un petit pécule. Tout le monde, y compris les membres fondateurs, suivent ces règles. Et le ciment de tout ça, c’est la fraternité.
Anne prend l’exemple du potager pour illustrer la fluidité de la gestion du lieu. Certaines parcelles sont ouvertes, d’autres privées, sans que cela ne pose de problèmes. « Les gens sont accueillis, logés, nourris, blanchis. Le ménage est fait, les sanitaires sont propres, les activités se réalisent. On ne peut pas dire qu’il n’y ait pas de tensions, mais en tous les cas, tout se déroule d’une manière assez simple et tranquille. Cette visite a été bouleversante, conclue-t-elle. On avait du mal à en partir ».
La Ressourcerie du Pont
L’équipe a ensuite rejoint la Ressourcerie du Pont, au Vigan. Depuis sa création en 2014, la Ressourcerie du Pont s’appuie sur le collectif pour préserver les écosystèmes et soutenir les personnes dans le besoin. L’objectif : mêler création d’emploi, sensibilisation à l’environnement et mise en réseau à l’échelle du territoire.
« Ils ont un dynamisme fou, raconte Anne. Ils nous ont montré les montagnes qu’ils étaient capables de soulever. Dès mon arrivée, j’ai eu l’impression d’être dans un tourbillon ». Les cyclistes ont été accueillis dans l’habitat du collectif, qui veut accueillir à terme des personnes âgées et handicapées.
« Leur lieu de vie, ils le conçoivent comme un endroit propice au repos des gens vulnérables, bien sûr, mais aussi des gens qui se battent, qui militent dans le social et l’écologie et qui ont besoin d’espaces pour se rencontrer ou besoin de prendre soin d’eux pour pouvoir continuer à lutter », ajoute Lise.
La ressourcerie, elle, est une usine de 3 500m2 où l’on collecte, répare, revalorise, revend et sensibilise à la réduction des déchets. « On a vu un lieu impressionnant d’organisation, rempli d’objets farfelus. L’objectif n’est pas simplement de vendre ce qui est récupéré, mais de réfléchir à tout le cycle de vie d’un objet », souligne Anne. Le lieu est organisé en deux plateaux : un plateau de tri et un atelier où les gens apprennent à donner une seconde vie à ce qui est collecté, sur le mode de l’artisanat. 15 salariés travaillent sur place.
Pour Uto, l’un des fondateurs du lieu : « il ne faut pas que les ressourceries s’arrêtent au stade du réemploi, elles sont les réels leviers de territoires “zéro déchet” si elles se donnent le défi d’accompagner la population pour qu’elle s’investisse et développe des solutions ».
« Tout, dans leur parcours, est inclusif, à commencer par le lâcher prise sur la partie matérielle et financière. Ils ont réussi à acheter la ressourcerie sans emprunt bancaire et créer des emplois pour des personnes éloignées du monde du travail. Ils savent aller chercher des subventions pour se développer, tout en gardant leur indépendance et leur objectif d’une transition écologique, sociale et économique. Cela leur donne une force incroyable d’être portés par un projet plus grand qu’eux ». explique Lise,
Ces artistes projettent également de créer un tiers-lieu culturel sur place, sous forme de résidence où décors, costumes etc. seraient créés à partir de matériaux réemployés.
Le « Village »
Après deux jours d’immersion, l’équipe enfourche à nouveau ses vélos avec un défi : réaliser 100km en un jour, pour rejoindre le « Village » (voir photo de couverture) à Cavaillon. « Après deux séjours dans des lieux magnifiques dans la forêt, les abords du lieu nous ont un peu inquiété. On est arrivé par la départementale, et on a découvert des bâtiments plus froids vus de l’extérieur, près d’une gravière Lafarge avec ces énormes machines. Cela contrastait avec les lieux précédents ! »
Mais tout de suite, la qualité de l’accueil détonne avec cette première impression. Deux résidents offrent à dîner à l’équipe, et s’ensuit une joyeuse soirée de fête de la musique « maison » à base de ukulélé-canapé au clair de lune. « Le fait d’arriver à vélo nous a permis d’une part de créer un lien fort entre nous, mais aussi d’arriver avec humilité dans les lieux où nous allions. Après 100km, on est fragiles et cela cultive un regard bienveillant chez nos hôtes », précise Tamer, qui a rejoint le groupe pour cette visite.
Vincent, le salarié-coordinateur de l’association, qui existe depuis trente ans, explique : « On a affirmé notre position de point médian entre un modèle alternatif autonome et un modèle très connecté aux institutions et aux pouvoirs publics. C’est ce qui permet aux personnes d’être connectées au droit commun. Il faut trouver des endroits passerelles pour parler à tout le monde ».
Une trentaine de personnes habitent sur place et participent à l’activité du lieu, avec des salariés en chantier d’insertion sur différentes activités économiques étroitement liées à la transition écologique : agriculture, potager, glanage et transformation alimentaire, fabrique de briques en terre crue et paille en pointe. Le lieu est en lien avec d’autres « satellites » locaux, notamment un restaurant à Avignon.
Sur le choix de cette étape, l’équipe a fait une petite entorse aux critères de départ, car ne vivent sur place que des personnes accueillies et hébergées, et non les salariés et bénévoles de la structure. Mais la dimension sociale du projet et la générosité de l’accueil l’a emporté.
L’écohameau de Saint-François
Suite à cette immersion, la bande se dirige vers sa dernière étape, l’écohameau solidaire de Saint-François à Draguignan. Ils ont été reçus par Nicolas, le coordinateur du lieu, et sa femme Marie-Hélène. L’écohameau est porté par la Diaconie du Var, Habitat et Humanisme, le Secours Catholique Caritas France et Fratelli-UDV. Il est composé de 42 logements dont 22 en pension de famille et 17 logements sociaux gérés par le bailleur social Habitat et Humanisme. 75 personnes vivent sur place. Le lieu a été donné il y a six ans par Mireille qui habite encore sur place et souhaitait que l’endroit perdure avec une dimension sociale.
C’est ce qu’une habitante de l’éco-hameau confirme : « Avec la vue et la beauté du site, on ne pouvait rêver mieux. Moi quand je suis arrivée ici, avec mes problèmes et mon histoire, je me suis sentie accompagnée et en sécurité. Cela m’a beaucoup aidée et je n’imagine pas ma vie si j’étais restée seule en centre-ville ».
« Ces lieux, à la fois fragiles et résilients, ont aussi en commun de reposer sur la force des réseaux pour s’entraider et s’inspirer que ce soit le réseau Oasis, Emmaüs, Lieux à Vivre, Réseau national des Ressourceries… », explique William.
C’est dans cet esprit de renforcement des liens que l’équipe a mis en place un rituel : amener un objet du lieu précédent au lieu suivant : un nid d’oiseau en bois fabriqué à l’atelier menuiserie de la communauté de la Celle, des DVD de l’histoire des guerriers arc-en-ciel de la Ressourcerie du Pont, des produits transformés de l’atelier du Village, une confiture d’orange et un sirop…
Ces objets seront donnés aux prochains lieux visités par le groupe, à l’automne. Une expérience qui s’annonce bouleversante pour les futurs membres du tour, qui s’annonce ouvert à de nouvelles candidatures ! Rdv aux intéressé.e.s au prochain festival Oasis qui se tient à la fin de l’été, du 21 au 25 août, dans l’écovillage de Sainte camelle.