Fin janvier, le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France est tombé : notre pays compte 4 millions de personnes « mal logées » et 12 millions de personnes « en situation de fragilité » par rapport à leur logement. La tendance est à la hausse face aux années précédentes, ce qui prouve que nous traversons actuellement une véritable crise du logement, qui ne risque pas de s’arranger.
La France, pays du mal-logement
Dans le dernier rapport sur le logement de la Fondation Abbé Pierre, étayé par des enquêtes et des sondages de terrain, les chiffres sont graves et les analyses sombres. Sur les quatre millions de personnes mal logées, environ 900 000 sont dénuées de logement personnel, qu’elles soient sans domicile, hébergées chez des tiers, ou contraintes de vivre dans des habitations de fortune.
Bien qu’il n’existe aucun chiffre récent en cette matière, on estime que le nombre de personnes sans domicile fixe serait de l’ordre de 150 000 en France. D’autre part, près de trois millions des « mal-logés » résident dans des habitations surpeuplées ou privées de confort, à savoir sans eau courante, sans chauffage, sans électricité ou sans cuisine, ou encore tout cela à la fois. Enfin, 250 000 personnes vivraient en centre d’hébergement d’urgence ou d’accueil des demandeurs d’asile, des structures complètement saturées.
Dans la catégorie des personnes « en situation de fragilité », on trouve par exemple des locataires en impayés de loyers ou de charges (1 210 000), des résidents devant faire un effort financier excessif pour leur logement, à savoir au-delà de 35 % de leurs revenus (5 732 000), ou bien des personnes modestes en situation de surpeuplement « modéré », auxquelles il manque une pièce pour vivre décemment (4 299 000). Lorsque le total de personnes des deux catégories est recoupé sans double-compte, on aboutit au nombre dramatique de 14 620 000 individus se trouvant dans un état de précarité par rapport à leur logement.
L’habitat indigne ou insalubre, quant à lui, concerne 600 000 logements, un phénomène ne frappant pas seulement les locataires mais également une part croissante de propriétaires, incapables de financer des rénovations ou vivant dans des copropriétés en difficulté.
Récemment, la situation des habitations délabrées et des logements insalubres a été mise en lumière par l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne à Marseille, le 5 novembre 2018, qui a provoqué la mort de huit personnes et scandalisé une bonne partie de la société française. Depuis cet événement tragique, l’État, les collectivités locales et les marchands de sommeil n’ont pas cessé de se renvoyer la balle, alors que 13 % de l’habitat marseillais est jugé indigne, d’après la Fondation Abbé Pierre.
Celle-ci souligne en outre que les personnes célibataires représentent de nos jours 35 % des ménages et 65 % des sans domiciles, tandis que la politique du logement, pensée pour la famille, ne s’est pas adaptée à ce changement de mœurs. Résultat pour les personnes seules : une pénurie de petits logements, des prix au mètre carré supérieurs, une priorité donnée aux familles, une impossibilité d’être hébergé pour ceux qui sont à la rue et un isolement relationnel qui sape la cohésion sociale et la défense du droit au logement.
Aujourd’hui, il devient évident que la France traverse une crise du logement dont on mesure mal l’ampleur, tant une réponse politique forte se fait attendre.
Malgré tout, il faut noter que 70 000 personnes ont été relogées en 2018 et 81 000 en 2019, grâce au plan Logement d’abord, qui prouve qu’une action politique adéquate pourrait résoudre la situation et inverser tous les compteurs actuellement à la hausse. En effet, s’il donne d’une main, le gouvernement semble reprendre de l’autre, en procédant à « des coupes budgétaires inédites dans le domaine du logement », indique le rapport.
Depuis 2017, presque quatre milliards d’euros ont été retirés aux aides personnalisées au logement (APL) et le financement des habitations à loyer modéré (HLM) a baissé de manière inquiétante, leur nombre passant de 125 000 en 2016 à 108 000 en 2018.
Les « catégories modestes », de leur côté, semblent bel et bien « abandonnées au jeu d’un marché du logement non régulé ». Or le rapport de 2017-2018 produit par l’Observatoire national de la pauvreté (ONPES) démontre que « pauvreté et mal-logement sont étroitement liés dans notre pays ».
Contrairement à ce qui fut longtemps la norme, les ménages les plus modestes accèdent de moins en moins à la propriété, les deux tiers d’entre eux demeurant locataires, alors que six ménages français sur dix sont propriétaires. Les classes précaires et modestes de la population subissent un phénomène de « décrochage » et « se distinguent du reste de la population », dont les classes « plus aisées voient leur part des locataires diminuer depuis 1996 ». Les personnes modestes vont vivre de plus en plus dans les zones urbaines, bien que le marché immobilier des villes soit « sous tension » et que les prix aussi bien à la location qu’à l’achat ne cessent d’augmenter.
En France, trois millions de logements sont inoccupés
À Paris, mais aussi dans de nombreux chefs-lieux, le prix du mètre carré connaît une inflation sans précédent. Dans la capitale, le mètre carré coûte désormais en moyenne 10 000 euros, après une augmentation de 248 % depuis 2000.
Attractives pour les personnes âgées, désertées par les ouvriers, par les étudiants et les jeunes familles, les villes s’embourgeoisent sur le modèle de Paris, tandis que les logements inoccupés ou destinés à la location saisonnière du type Airbnb croissent sans interruption depuis des années.
En 1999 à Paris, il y avait 75 000 résidences secondaires, contre 120 000 aujourd’hui, autant de logements soustraits au marché de la location et participant à l’inflation inexorable des prix. Selon l’Insee, la France compte trois millions de logements inoccupés, presque 10 % de l’ensemble du parc résidentiel ; parmi ces lieux de résidence vacants, 900 000 sont situés en ville, dans des zones sous tension qui connaissent également des pénuries de logement. Par ailleurs, en Île-de-France, il reste 2,9 millions de mètres carrés de bureaux vides…
Et pourtant, la France construit à tour de bras. Entre 2010 et 2015, le nombre d’habitations neuves a augmenté en moyenne de 1,1 % par an, ce qui s’explique par le fait que les ménages préfèrent les logements mieux équipés, spacieux, lumineux, dotés d’un parking et bien souvent en périphérie, plutôt que les appartements anciens des centres-villes.
Cette frénésie de la construction est au fondement même du processus d’artificialisation des sols dénoncé en juillet dernier par l’Observatoire national de la biodiversité (ONB) : les ménages cherchent à la fois la ville et la nature, provoquant un « mitage » du territoire, c’est-à-dire un « éparpillement diffus d’habitats et de constructions sur un territoire initialement rural », au lieu d’exploiter, de rénover et d’enrichir le bâti existant, notamment à travers la rénovation énergétique, d’une nécessité absolue à l’heure du changement climatique.
Favorisé fiscalement par l’État, le développement du secteur de la construction nous conduit à n’acquérir que du neuf et à grignoter de plus en plus sur les zones naturelles, si bien qu’aujourd’hui, seulement 52,7 % du territoire français n’est pas encore anthropisé.
Quelle est la moralité de toutes ces résidences vacantes et de tous ces bureaux inoccupés, quand tant de Français vivent dans la rue ou dans une situation précaire ? Pourquoi nous étendons-nous toujours plus loin dans les terres, plutôt que de rénover les bâtiments existants tout en les rendant résilients ?
Quand les gouvernements successifs cesseront-ils ce deux poids deux mesures du logement, qui prive les uns d’habitation et dote les autres de plusieurs résidences, tout en favorisant les grands projets qui détruisent la nature ? Il ne semble pas que 2020 répondra à ces questions.