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En Éthiopie, H&M et Calvin Klein payent 23 euros par mois leurs ouvriers

Les salariés des usines de vêtements en Éthiopie sont les moins payés du monde : 23 euros par mois. Le pays envisage de devenir le principal centre manufacturier d’Afrique. Et l’argument est de taille : les travailleurs éthiopiens coûtent trois fois moins cher que les travailleurs du Bangladesh… c’est dire ! Les investisseurs chinois, indiens et sri-lankais accourent.

C’est dit : la priorité est à la relance économique. Les amis, il est urgent de reconsommer pour aider votre prochain ! Dans les magasins les vendeurs vous attendent. Et que cela fait du bien de pouvoir à nouveau s’acheter de nouveaux vêtements ! Oui, sauf que le monde n’a toujours pas changé en quelques mois : et la reprise des usines de fabrication de vêtements pour beaucoup de nos marques, signifient dans de nombreux pays la reprise de l’exploitation de milliers d’ouvriers. Quand encourager les commerçants de nos quartiers peut vouloir dire encourager l’exploitation à l’autre out du monde, que faire ? 

Beaucoup de reporters nous ont montré les conditions de travail des hommes, des femmes et des enfants parfois dans ces usines : nombre d’heures effroyable exigé, pas de pause, rythme effréné, manque de sommeil, pas de congés maladie, conditions de logement déplorable, harcèlement des femmes, menaces et sanctions… 

Au Bangladesh, les ateliers ont rouvert depuis avril dernier, malgré les interdictions et les plans de confinement nationaux. Car selon l’association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh, ce sont près de 3 milliards de dollars de commandes qui ont été annulées dans un pays où les vêtements représentent 80 % des exportations nationales et permettent à quatre millions de personnes de travailler.

Crédit photo : Pinar Alver

On se souvient (ou pas !) de la catastrophe de l’effondrement d’un complexe industriel au Bangladesh en 2013. Plus de 1000 personnes avaient perdu la vie. Cette tragédie devait être la grande leçon pour revoir les conditions de travail dans certains pays : des accords avaient été annoncés pour obliger les usines locales à respecter les normes de sécurité, des dénonciations publiques étaient brandies pour celles qui ne le feraient pas, des organes indépendants d’inspection ont été créés. Mais ce programme a été racheté par l’Association des manufacturiers et des exportateurs du textile du Bangladesh. La vaste mobilisation des travailleurs et travailleuses au début de l’année 2019 n’a mené qu’à une très forte répression. 

Le problème n’a fait que se déplacer ailleurs : les coûts de la main d’oeuvre augmentant, on cherche toujours d’autres pays en Asie où les conditions seraient plus avantageuses. Et le déplacement s’est fait loin : jusqu’en Afrique. Les salariés des usines de vêtements en Éthiopie sont les moins payés du monde : 23 euros par mois. Le pays envisage de devenir le principal centre manufacturier d’Afrique. Et l’argument est de taille : les travailleurs éthiopiens coûtent trois fois moins cher que les travailleurs du Bangladesh… c’est dire ! Les investisseurs chinois, indiens et sri-lankais accourent.

Ce ne sont pas les marques qui possèdent les usines où leurs produits sont fabriqués. Elles sous-traitent à des entreprises locales, ce qui permet de décharger la responsabilité d’éventuels accidents sur elles. 

Mais le problème n’est pas aussi simple, car aussi indignes que soient les conditions de travail à nos yeux, ces usines ont aussi permis à des millions de personnes de trouver du travail, y compris des femmes, souvent issues de milieux ruraux, qui ont pu acquérir une certaine indépendance, et beaucoup payent ainsi les études de leurs enfants pour leur permettre de pouvoir sortir de leur condition.

Crédit photo : Pinar Alver

L’emprise de la mode est ancrée très loin dans les moeurs de nos sociétés. Il ne s’agit pas seulement de se dire que ceux qui ont besoin de changer de vêtements sont superficiels, et que d’autres sont des gens profonds. Ce besoin d’être en accord avec ce qui est à la mode est une exigence sociale : dans nos rapports, dans les normes sociales, nous sommes jugés sur notre apparence. Nous avons si bien intégré ces normes que beaucoup de personnes ont même besoin de s’acheter des vêtements pour se sentir mieux dans leur peau, après un événement traumatisant par exemple. Que ce besoin parmi les plus puissants de nos sociétés ait été intégré à notre modèle économique, il n’y a là rien d’étonnant.

Ce qui semble plus étonnant en revanche, c’est qu’il semble que l’argument écologique fonctionne mieux que l’argument de l’exploitation du travail pour qu’une part des consommateurs cherchent à s’assurer que les vêtements qu’ils achètent sont produits dans de bonnes conditions. Sans doute parce que nous ressentons directement les effets du réchauffement climatique, alors que l’exploitation d’êtres humains à l’autre bout du monde ne nous atteint pas.

Côté pollution justement, le textile est le cinquième plus gros émetteur de gaz à effet de serre, le second plus gros occupant des sols et le troisième plus gros consommateur d’eau. Ce sont là les résultats de la mode, c’est-à-dire le phénomène de rendre un type de vêtement, une coupe, une couleur, attractive, mais seulement dans un temps très limité. L’industrie du vêtement est sans doute celle qui a le mieux réussi à imposer le court-terme du produit acheté : d’abord en reprenant la longue tradition de la mode, et ensuite en la joignant à une pauvre qualité des textiles. Donc deux raisons pour ne pas garder longtemps un vêtement : il se délave, s’étiole, s’agrandit, et de toute façon il n’est plus fashion l’année suivante. De plus, le vêtement est un produit qui continue à polluer après son achat, par la fréquence des machines à laver.

Crédit photo : Pinar Alver

Sous la pression de la nouvelle demande écologique des consommateurs, 147 marques ont inventé le Fashion Pact. En 2019, Adidas, Carrefour, Chanel, H&M, Zara, signent un pacte s’engageant à des actions compatibles avec l’objectif d’atteindre zéro émission nette de CO2 en 2050. L’initiative était née de… l’Élysée. Il s’agissait de « make the planet great again ». Dans cette charte, aucune action spécifique n’est indiquée.

Chaque groupe est libre de choisir les actions à mener et n’a pas de compte à rendre, car aucune sanction n’est prévue. La relocalisation de la production de vêtements n’est pas à l’ordre du jour ni la remise en cause de la fast fashion ou la multiplication des collections. Cette opération de communication aura servi à rassurer les consommateurs et ne pas les amener à une réelle remise en question de leurs choix. 

À croire qu’il n’y aura que les consommateurs pour décider, au sortir de cette crise qui nous a rappelé l’importance du local et de notre indépendance industrielle, qu’acheter un vêtement à 30 ou 50 euros à un commerçant du coin qui fabrique en France, plutôt que 3 ou 5 vêtements à 10 euros fabriqués à l’autre bout du monde, fera plus de bien au commerçant, au fabriquant, au consommateur qui aura le plaisir de voir que son vêtement dure, et à la planète. Mais peut-être faudra-t-il inventer des mesures incitatives, des récompenses pour achats encourageant les industries locales et respectueux de l’environnement, car il n’est pas sûr que les mentalités changent suffisamment vite. 

Sarah Roubato

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