En Alsace, l’Arche de Cerise recueille des renards depuis 4 ans, au prix d’une lutte épuisante contre l’appareil administratif et les préjugés. Même s’ils sont soignés, les renards ne peuvent pas retourner à la vie sauvage car ils sont considérés comme une « espèce susceptible d’occasionner des dégâts » et doivent être abattus plutôt que relâchés. Pourtant, leur rôle est précieux pour réguler les milliers de petits rongeurs qui dévastent les champs des agriculteurs. Dans ce havre de paix, ils trouvent une nouvelle vie en toute tranquillité. L’Arche de Cerise est fermée au public pour le bien-être des animaux. Sa fondatrice Mélinda raconte à La Relève & la Peste l’histoire de ce lieu hors du commun.
En 2016, Mélinda s’occupe d’un centre de soin pour la faune sauvage, près de Colmar. Elle accueille des animaux comme les biches ou les chevreuils. Jusqu’au jour où elle se voit confier deux renardeaux, Lulu et Chippie, âgées d’environ 2 semaines. Elle les soigne et les élève en pensant les renvoyer ensuite dans la nature.
Mais au bout de 5 mois, elle apprend que le renard étant considéré comme une « espèce susceptible d’occasionner des dégâts », le terme technocratique qui a remplacé le mot nuisible, il est impossible de les relâcher. Il faut les mettre à mort.
Elle monte alors un dossier pour créer un refuge-sanctuaire, recueillant des animaux handicapés, malades ou trop imprégnés — c’est à dire trop proches de l’homme pour retourner à l’état sauvage.
À partir de ce moment, l’aventure devient un calvaire. Elle reçoit des menaces, des intimidations, on l’informe qu’elle pose problème à quelqu’un de haut placé sans qu’elle sache de qui il s’agit. En janvier 2020, elle est mise en demeure :
« On s’est rendu compte qu’en France il y a un gros vide juridique : un refuge d’animaux sauvages, ça n’existe pas. » explique Mélinda. « On m’avait octroyé un statut qui juridiquement n’est pas reconnu. Maintenant on essaye de faire évoluer la loi. »
Embourbée dans ce problème administratif, Mélinda a aujourd’hui le droit d’accueillir les animaux, mais doit justifier pourquoi elle les garde. L’Arche de Cerise ne compte plus que des renards blessés, orphelins ou malades, uniquement amenés par des centres de soin.
Une association à but non lucratif a été montée, et le centre survit grâce aux dons. Une ligne de vêtements et d’accessoires a été créée et pour l’année prochaine, l’organisation d’un festival musical est envisagée afin de lever des fonds.
« Financièrement, je n’ai pas les mêmes moyens qu’un parc zoologique. » constate Mélinda. « Je suis dans les règles par rapport aux clôtures mais il me faudrait plus de fonds pour faire les choses vraiment correctement ».
Les renards ont besoin d’une quantité conséquente de nourriture, ils reçoivent au refuge une alimentation variée, comprenant beaucoup de fruits et légumes, des croquettes et de la viande.
« On m’appelle parfois dans la nuit parce qu’un renard a été percuté. Mais je ne peux pas tous les sauver ! » La capacité d’accueil est de 6 renards : « pas le droit d’en avoir plus ».
De plus en plus, lorsqu’ils rencontrent des renards mal en point, les habitants semblent chercher d’autres solutions que l’euthanasie.
« Maintenant les gens commencent à changer de regard sur les animaux » affirme Melinda. « Il faut des structures comme celle-là pour les accueillir ».
En France, malgré l’action d’organismes comme l’ASPAS, le renard roux figure toujours sur la liste des « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts ». Les agriculteurs prennent peu à peu conscience du rôle bénéfique du renard sur les écosystèmes.
En Aveyron par exemple, des maraîchers déplorent des dégâts causés par les campagnols, dont le renard est le prédateur naturel. Ce dernier, chassé en masse — on estime que plus de 600 000 renards sont abattus par an, ne peut assurer la régulation de certaines espèces.
À l’Arche de Cerise, les renards vivent dans de larges enclos en pleine forêt. En semi-liberté, il peut s’écouler plusieurs jours sans que Melinda ne les voie. Malgré son travail à côté, celle-ci vit sur place et prend soin d’eux quotidiennement.
« Les renards ont besoin de manger, qu’on s’occupe d’eux tous les jours. Certains doivent être nourris à la cuillère. »
En dehors de Melinda et de quelques vétérinaires, les animaux n’ont aucun contact avec les humains. La relation qu’elle a tissée avec eux est unique.
« Je suis leur repère humain. Si je reste près d’eux, ils peuvent rester sages avec le vétérinaire, alors que ce sont des animaux sauvages. » décrit-elle. « J’ai de la chance. Parfois ils se blottissent contre moi. La relation avec un animal sauvage n’est vraiment pas la même qu’avec un animal domestique. Je pense qu’il y a une reconnaissance, j’ai l’impression qu’ils sentent qu’on fait ça pour les protéger ».
À la différence d’un chien qui viendrait lorsqu’on l’appelle, le renard reste libre :
« S’il n’a pas envie de venir, c’est lui qui décide ».
En recueillant les deux premiers renardeaux, Melinda était loin d’imaginer ce qu’elle allait vivre avec ses pensionnaires ni ce qu’elle allait découvrir en les observant.
« Par exemple il y une renarde qui s’appelle Cerise », raconte-t-elle. « Elle a pris sous son aile un autre renard Ragnar. Elle lui apporte des peluches, le protège. Il y a une vraie entraide. Je ne sais pas si c’est comme ça dans la nature, mais ici c’est fou ».
Aujourd’hui, cette passionnée rêve de changer le regard sur ces animaux.
« Ils sont très joueurs, curieux, drôles. Si je pouvais tout filmer, ce serait magique. Les gens auraient une autre image des renards. »