Jeudi 23 juillet, des sénateurs et sénatrices ont envoyé une proposition de résolution à la commission européenne visant à déclasser le loup des espèces protégées de la Convention de Berne. L’objectif : ne plus avoir besoin de dérogations pour tirer sur l’animal qui s’approcherait trop près des troupeaux. Les associations environnementales dénoncent une tentative de séduction politique auprès des éleveurs et des chasseurs, et de la propagation de désinformation.
Une proposition de résolution européenne
Ce nouveau coup politique vient s’ajouter à l’âpre débat qui existe entre écologistes et partisans d’une politique de régulation agressive. Ce jeudi 23 juillet, les sénateurs et sénatrices Sylviane NOËL, Frédérique PUISSAT, MM. Michel SAVIN, Jean-Pierre VIAL, Mme Colette GIUDICELLI, M. Cyril PELLEVAT et Mme Martine BERTHET ont adressé une proposition de résolution à la commission des affaires européennes pour déclasser le loup des espèces strictement protégées.
Si l’exposé des motifs présenté fin juin est un peu léger, et fait un amalgame entre Convention de Berne et Directive Habitats, les sénateurs et sénatrices justifient leur demande par « une légère augmentation du nombre d’attaques avec 3790 constats contre 3657 en 2018 avec 12487 animaux morts », en référence aux animaux d’élevage tués par les loups.
L’Assemblée ou le Sénat peuvent adopter des résolutions européennes sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne. Ces résolutions n’ont pas de valeur juridique contraignante ni force de loi, mais servent à exprimer des principes et des recommandations, c’est à dire à faire avancer le débat public dans un sens ou dans l’autre, et à terme la législation.
Et le débat public sur la cohabitation avec le loup n’en finit plus d’animer les passions. Avec environ 530 individus répertoriés sur le territoire, les parlementaires considèrent que « le loup ne peut plus être considéré comme une espèce en voie d’extinction sur notre territoire national ». Une affirmation erronée selon les associations de protection de l’environnement.
L’expansion du loup en France, mythe et réalités
Trois jours avant, l’association One Voice envoyait une lettre à la ministre de la transition écologique Barbara Pompilli pour lui demander d’interdire l’abattage des loups en s’appuyant justement sur leur statut d’espèce strictement protégée grâce à la convention de Berne.
Contrairement à ce qu’affirment les parlementaires dans leur proposition de résolution, One Voice rappelle ainsi que « d’après les derniers chiffres du bilan hivernal du réseau loup-lynx de l’OFB, la croissance de la population des loups en France ralentit. Et leurs territoires au niveau géographique ne se sont pas étendus. »
De fait, une étude menée par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage et le Muséum d’Histoire Naturelle en 2017 précise ainsi qu’il faut une taille minimale de 2500 à 5000 individus pour obtenir une population viable chez les loups.
Une estimation obtenue en se basant exclusivement sur des aspects génétiques qui peut sembler élevée, mais est assez concordante avec les études du même genre selon les experts qui ont mené la recherche. Les 530 loups supposés vivre sur le territoire français sont donc encore loin du compte.
L’abattage, une méthode non-prouvée scientifiquement
Le nombre exact des loups en France est d’ailleurs sujet à débat, puisque leur comptage ne se fait pas grâce au visu d’individus mais plutôt sur les indices de leur présence sur le terrain, comme le précise l’OFB sur son site. En effet, le loup est une espèce discrète et vivant en faible densité, il est donc rarement observé directement.
« Ils annoncent les chiffres officiels de comptage, mais de là à interpréter ce chiffre en disant que la population va bien, c’est faux. Nous sommes en lien avec la Commission Européenne qui nous demande de les tenir informés régulièrement car ils sont inquiets du laxisme français. Là, le gouvernement est en train d’essayer de maîtriser l’expansion et c’est pour ça que le fameux pourcentage d’autorisation d’abattage ne fait qu’augmenter chaque année. Résultat, 100 loups ont été abattus sur 500 ce qui commence à être vraiment limite car la croissance naturelle du loup va sérieusement ralentir. Les personnes plutôt anti-loup dans leur démarche essaient d’agir sur les textes européens pour ne pas être limités dans ce pourcentage d’abattage. » explique Madline RUBIN, Directrice ASPAS, pour La Relève et La Peste
Pourquoi, alors, une telle volonté d’autoriser l’abattage des canidés plus facilement ? Dans son rapport, le sénateur Cyril Pellevat se targue de défendre le pastoralisme français et les éleveurs, ceux qui sont le plus impactés par la cohabitation avec les loups.
En conséquence, il encourage les États membres à mettre en œuvre rapidement les tirs de défense des troupeaux dans les territoires, avec des moyens humains et matériels dédiés significatifs et sans territoires d’exclusion.
« Le plus gros problème dans ce dossier, c’est qu’aucune étude n’a été faite pour connaître les répercussions des abattages de loups. L’Etat continue à autoriser des abattages de plus en plus nombreux alors qu’à l’inverse une étude anglaise dit que tuer les loups pour protéger un troupeau n’est pas efficace. Donc la réponse qu’apporte le ministère n’est pas adaptée. Quand on siège au groupe national loup, on passe assez vite sur tous les moyens de protection non-léthaux et le point le plus discuté reste le nombre de loups à abattre, alors qu’il faudrait se renouveler dans les moyens de protection et faire des expérimentations. C’est complètement ridicule et contre-productif de tirer sur un loup qui passe à côté d’un troupeau car on laisse la place à un autre prédateur dont on ne connaît pas l’agressivité ou le comportement. » raconte Madline RUBIN, Directrice ASPAS, pour La Relève et La Peste
Par comparaison, il y a 1500-2000 loups en Espagne et 1000-1500 en Italie. Ces deux pays ont opté pour une approche moins passionnelle et plus pragmatique. Ainsi, en Italie, les éleveurs sont rapidement et très correctement dédommagés quand une de leurs bêtes est tuée.
Une approche que défendent les scientifiques et les associations environnementales, mais aussi certains parlementaires comme le sénateur Simon Sutour qui explique :
« Au fond, le problème survient si on laisse les moutons vaquer sans surveillance. S’il y a un berger, il n’y a pas d’attaques. Chez moi, il y a des bergers, grâce à un financement tenant compte de la présence du loup. Je préfère cette approche : je ne suis pas un écologiste des métropoles ! S’attaquer à la Convention de Berne serait dangereux, et n’enverrait pas un bon signal. Mieux vaudrait demander de meilleures aides pour les agriculteurs. »
Accompagnement technique et financier, chien de protection, clôtures électriques, et présence humaine sont donc autant de méthodes à regrouper pour une gestion efficace des troupeaux.
Un programme profondément politique que peuvent difficilement mettre en place sans aide les éleveurs qui mériteraient d’ailleurs un soutien psychologique face à la dureté de leur métier selon le professeur Farid Benhammou.
Un débat qui va plus loin qu’une opposition rurale/urbaine
Hasard du calendrier ? Les mandats de certains sénateurs arrivent à échéance avec une élection prévue en septembre 2020 pour 178 sièges, notamment pour la Haute-Savoie. Les sénateurs sont élus par un collège électoral de grands électeurs formé d’élus de cette circonscription : députés et sénateurs, conseillers régionaux, conseillers départementaux, conseillers municipaux, élus à leur poste au suffrage universel.
Et c’est justement l’un de ces électeurs qui a découvert cette proposition de résolution en fouillant le programme des candidats aux sénatoriales. Dans ce coin de la Haute-Savoie, le lobby de la chasse est très puissant, ce qui explique pour le lanceur d’alerte la volonté du sénateur d’offrir des cibles de choix pour les chasseurs qui sont aussi bien souvent des agriculteurs.
« Depuis des années, je me bats contre une bande de chasseurs qui a tout pouvoir et regroupe plusieurs villages environnants. Ils chassent de début septembre à fin mars, les weekends, les jours fériés et les jeudis. Ils se permettent de faire des battues sans qu’elles soient affichées. Tout le monde est exaspéré de leur comportement mais personne n’ose dire quoi que ce soit de peur des représailles. » confie une source dont nous gardons l’anonymat à La Relève et La Peste
Ainsi, le naturaliste Pierre Rigaux est régulièrement la cible de menaces par les chasseurs dont ils dénoncent les pratiques. La cohabitation potentielle avec le loup va donc, dans certains territoires, bien au-delà d’une opposition « urbain déconnecté et vie rurale concrète ».
Pour mener un débat démocratique, encore faut-il que les personnes vivant sur le territoire avec les loups puissent s’exprimer sans crainte. Un constat que partage les associations écologistes.
« Il y a beaucoup de complaisance de la part de l’Etat envers les agriculteurs et les chasseurs par rapport aux écologistes. On n’est sûrement pas assez agressifs, puisqu’on ne va pas venir déverser du lisier ou des carcasses de brebis pour porter nos revendications. Le combat n’est pas équitable. L’Etat doit réaffirmer une position forte en faveur des espèces protégées. » explique Madline RUBIN, Directrice ASPAS, pour La Relève et La Peste
En France, l’opinion publique se sensibilise ainsi de plus en plus pour le respect de la vie des non-humains. Ainsi, le référendum pour les animaux propose parmi ces six propositions d’interdire la chasse à courre, le déterrage et les chasses dites traditionnelles.
Et d’après un sondage IFOP effectué en juillet 2020 : 77% des personnes vivant en milieu rural se déclarent en faveur de ce référendum d’initiative partagée pour le bien-être animal.
Niveau européen, si la Commission Européenne a développé une stratégie en faveur de la biodiversité, le loup inquiète aussi en Allemagne et la Suisse se lance elle aussi dans un débat législatif entre pros de la gâchette et protecteurs du vivant.
Encore une fois, le sort d’une espèce animale se retrouve suspendue à la décision d’humains. Espérons qu’à l’avenir, notre espèce prenne le temps de comprendre l’autre avant de lui tirer dessus.